mardi 26 décembre 2017

Congé paternité : paroles de pères frustrés de ne pas pouvoir « prendre leur part »

11 jours... de nombreux pères aimeraient rester auprès de leur nouveau-né plus longtemps. Ils y voient aussi un enjeu d’égalité femmes-hommes.

LE MONDE  | Par 

Premier Baby Museum Tour à La Haye en juillet.
Premier Baby Museum Tour à La Haye en juillet. ROBIN VAN LONKHUIJSEN / AFP

Il y a d’abord eu « l’euphorie et les angoisses » de réaliser qu’il serait bientôt père. Puis ont surgi les questions « pratiques » : « Comment nous organiser, se repartager les tâches quotidiennes, qui fera le ménage, les courses, donnera le biberon, changera les couches, comment se partager les nuits agitées ? », se souvient Jérôme L.
C’est à ce moment-là que l’ingénieur de 42 ans a commencé à se renseigner sur le congé paternité. Et c’est « avec un certain effroi » qu’il a découvert « que non seulement il ne dure que onze jours, mais onze jours consécutifs, c’est-à-dire week-end compris ! ». Certes cumulables avec le congé de naissance, « trois jours, youpi », grince-t-il, ironique.
« Mais comment gérer ce tremblement de terre dans notre vie en seulement onze jours ? S’attend-on vraiment à ce que les pères, deux semaines après l’arrivée de leur enfant, reprennent le travail comme si de rien n’était ? »
Comme Jérôme, de nombreux pères qui ont répondu à notre appel à témoignages sur le congé paternité ont fait part de leur frustration quant à ces congés jugés trop courts pour découvrir leur nouveau-né et s’approprier leur rôle. Mais aussi leur culpabilité de devoir retourner si vite à la vie active en laissant la maman, encore éprouvée par la naissance, « coincée à la maison, obligée de tout gérer ».


« J’ai pris ces onze jours pour la naissance de ma fille mais j’en aurais voulu 111 pour vivre pleinement ces instants uniques »







C’est ce qu’a ressenti Vincent G., ingénieur informatique de 37 ans à Massy, dans l’Essonne, et père de deux enfants, « privé des premiers instants, exclu de cette bulle qui se crée avec la mère », en plus d’y voir une injustice pour sa compagne. Il aurait aimé pouvoir la soulager plus longtemps, « prendre le relais avant la crèche ». Trop court mais aussi peu pratique, estiment certains pères, qui ont eu du mal à faire coïncider leur congé paternité avec la naissance, alors qu’il faut le déclarer au moins un mois à l’avance.

« J’ai pris ces onze jours pour la naissance de ma fille mais j’en aurais voulu 111 pour vivre pleinement ces instants uniques », relate Cédric S., 39 ansFaute d’un congé assez long, ce cadre informatique d’une grande banque a « osé » freiner un peu sur le travail pour privilégier son nouveau rythme familial. Ce qui lui a valu d’être pénalisé pour ne pas « s’être montré dévoué à 120 % à [s]a sacro-sainte société », déplore-t-il.


Réduire les inégalités professionnelles

La paternité peine à faire sa place dans certains milieux professionnels. C’est la raison pour laquelle certains pères souhaiteraient voir ce congé optionnel devenir obligatoire. Cela « lui conférerait une vraie légitimité et permettrait aux hommes de se débarrasser d’une potentielle culpabilité envers leur employeur », estime le magazine Causette, qui a lancé une pétition appelant le gouvernement à s’emparer du sujet et à réformer ce congé. Cédric y voit un enjeu d’« égalité homme-femme », mais aussi d’« égalité entre les hommes dévoués à leur employeur et ceux voulant s’impliquer dans leurs nouvelles responsabilités familiales ».

Pour Hélène Périvier, économiste de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et autrice d’une étude sur le sujet, un congé paternité obligatoire et plus long permettrait de « réduire les inégalités professionnelles entre hommes et femmes », en « rééquilibrant entre les deux parents l’impact d’une naissance sur la carrière » et en « agissant sur la discrimination indirecte qui pèse sur les mères qui travaillent ».

Cela permettrait aussi d’agir sur la charge mentaleen incitant les pères à passer du temps seuls au foyer et à y prendre véritablement leur place. « Depuis quinze ans, l’effort budgétaire a porté sur le développement des modes d’accueil de la petite enfance, ce qui a permis de soutenir le travail des mères, mais n’a pas encouragé les pères à consacrer plus de temps aux tâches familiales », souligne l’économiste, qui appelle à « repenser l’ensemble de l’architecture des congés parentaux, en combinant des durées de congé maternité, paternité et parentaux plus équilibrés ».

« La place du père dans les discours de nos institutions doit être affirmée, les droits renforcés. »






Allonger ou rendre obligatoire le congé paternité n’est pas au programme du nouveau gouvernement, la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, ne s’y montrant pas favorable – un allongement à quatorze jours avait été voté en première lecture à l’Assemblée nationale, en février, mais les élections ont interrompu le processus législatif. Le gouvernement actuel prévoit la mise en place d’un congé maternité unique pour toutes les femmes.

Pour Antoine B., 28 ans, chargé de conseil à la Sécurité sociale qui attend son premier enfant, « les mentalités doivent évoluer » pour espérer que les lignes bougent : « La place du père dans les discours de nos institutions doit être affirmée, les droits renforcés. Il doit être l’égal de la mère quand on parle du bien-être de l’enfant. Le père n’a pas moins de compétences au départ, mais on ne lui laisse pas assez de place pour les développer. »

Jérôme L. regrette que la société « interdise » encore aux pères de « prendre leur part », continuant à envoyer aux entreprises le message « qu’un homme sera disponible quoi qu’il advienne ; les femmes, par contre, à vous de voir ». Une situation que le futur père juge « indigne et frustrante ». « Combien de pères n’ont pas pris ce congé par peur de perdre des clients ou une promotion promise ? », questionne Claude C., enseignant à Mouzillon (Loire-Atlantique), qui s’estime chanceux de travailler dans un milieu plutôt bienveillant sur la question.

En attendant mieux, ces « nouveaux pères » – du nom du modèle du père aimant et présent pour ses enfants, qui s’est progressivement imposé à partir des années 1980 – s’arrangent comme ils peuvent, avec des employeurs plus ou moins conciliants, pour retarder un peu le retour au travail, en cumulant leur congé paternité avec des RTT [réductions du temps de travail], voire parfois un arrêt maladie.

En prévision des naissances de ses fils, Christophe C., 33 ans, s’est débrouillé pour disposer d’au moins un mois entier. Un congé parental ? Ce secrétaire administratif pour la Ville de Paris y a bien pensé, « mais les contraintes financières viennent rapidement peser dans la balance », souligne-t-il, alors qu’il gagne le plus gros salaire du couple. « Faiblement indemnisé et forfaitaire, le congé parental implique un arbitrage financier au sein des couples et demeure peu attractif, surtout pour les pères, cela d’autant plus qu’ils gagnent souvent mieux leur vie que leur conjointe », confirme l’économiste Hélène Périvier.

Qu’importent les difficultés financières : pour « profiter pleinement » de la naissance de ses enfants, Sébastien G., cadre dans une ONG à Crémieu (Isère), a choisi d’arrêter son emploi pour le premier, puis de poser des congés sans solde pour les deux suivants. « Je suis convaincu que ce temps que j’ai pris à leur naissance a été déterminant pour que je me construise et m’épanouisse pleinement en tant que père ». Il vient de demander à son employeur de passer à quatre jours de travail hebdomadaire, préférant « avoir un peu moins d’argent mais plus de temps pour [ses] enfants ».


La France en retard

« La France est clairement en retard par rapport à d’autres pays », regrette Ziad F., consultant en environnement à Nantes, qui vient d’avoir une petite fille. Plusieurs pères citent en exemple l’Islande, la Norvège ou le Portugal, aux systèmes de congés parentaux plus avantageux. Beaucoup espèrent que la France prendra ce chemin.

Designer de 50 ans, Hervé F. a pu comparer la naissance de son aînée, en Suède, et celle de sa cadette, en France : douze mois de congé parental à partager entre les deux parents, plus deux mois pour chacun pour la première, onze jours pour la seconde, alors que le congé paternité venait d’être instauré en France.

Alors qu’il arrive à la moitié de son mois de congé, Ziad F. appréhende déjà la reprise, « triste » de ne pas pouvoir partager avec sa compagne « les joies et découvertes, la fatigue, les questionnements ». Une reprise d’autant plus « difficile et dérisoire », jugent ces pères, qu’ils n’auront de toute façon pas la tête au travail.

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