lundi 13 novembre 2017

Les troubles psychiques, toujours tabous en entreprise

Les schizophrènes, bipolaires ou dépressifs voient leurs chances d’être recrutés réduites comme peau de chagrin. La 21e Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées se tient du 13 au 19 novembre.

LE MONDE ECONOMIE  | Par 

La schizophrénie, affectant la personnalité et les comportements, reste stigmatisée au bureau.
La schizophrénie, affectant la personnalité et les comportements, reste stigmatisée au bureau. MARIA MORI / FLICKR / CC by 2.0

La naissance de sa fille, un déménagement, un transfert de service. Tous ces changements ont plongé Florian (dont le nom a été changé) dans une dépression sévère : « Des conflits au travail ont été la goutte de trop. Le matin, je partais la boule au ventre. Mes proches n’ont pas compris mon état. Ils me répétaient que tout était dans ma tête. » Comme ce comptable, près de 2 millions de Français vivent avec des troubles psychiques, deuxième cause d’arrêt maladie et premier motif d’invalidité.

Cible de stéréotypes


Schizophrénie, bipolarité, autisme, troubles obsessionnels compulsifs, dépressions chroniques… Ces pathologies, affectant la personnalité et les comportements, restent stigmatisées au bureau. Les dépressifs ? Des paresseux. Les schizophrènes ? Des tueurs. Les bipolaires ? Des manipulateurs. Longtemps enfermés dans les hôpitaux psychiatriques, ils sont la cible de stéréotypes. « Ces maladies, rattachées à la folie, suscitent la peur par méconnaissance. Dans l’imaginaire collectif, abreuvé de faits divers, ces individus représenteraient un danger potentiel. Or, leurs accès de violence sont rares », insiste Diane Flore ­Depachtère, du cabinet d’accompagnement en ressources humaines DFD Consulting.


Perçues comme moins polyvalentes, performantes et autonomes, les personnes atteintes de troubles psychiques – assimilés à tort aux maladies mentales qui, elles, modifient les capacités intellectuelles –, voient les portes se fermer. Selon la Fondation Falret, pour 27 % des Français, leur état serait incompatible avec un emploi. « Avec les progrès thérapeutiques, ces personnes sont en capacité de travailler si le stress et le rythme de travail sont acceptables, dément Claire Le Roy-Hatala, sociologue spécialisée sur le handicap. Elles ont souvent un niveau de qualification élevé, les pathologies s’exprimant généralement à l’âge adulte. » Par crainte d’être placardisés ou discriminés à l’embauche, beaucoup n’osent pas dévoiler leurs fragilités, quitte à se priver d’une adaptation du poste de travail.


« Temps, souplesse, écoute »


En effet, ces troubles sont reconnus comme un handicap depuis la loi du 11 février 2005. « Cette avancée a contribué à libérer la parole sur ces troubles, de plus en plus présents dans les entreprises. Celles-ci ont été poussées à s’emparer du sujet et à trouver des solutions pour être plus accueillantes », constate Céline Aimetti, déléguée générale de l’association Clubhouse France, qui lutte contre la stigmatisation et l’isolement des personnes en situation de handicap psychique.

Si des progrès ont été accomplis sur l’insertion des travailleurs handicapés physiques, la marche paraît plus haute à franchir pour les troubles psychiques, instables dans le temps. « Les manageurs redoutent de ne pas savoir les gérer. Alors que l’intégration du handicap moteur passe par des aménagements matériels, celle des troubles psychiques nécessite de revoir les pratiques du manageur et du collectif du travail. Ce qui requiert du temps, de la souplesse et de l’écoute. La place du médecin du travail est essentielle », explique Michel Maury, gestionnaire des Cap emploi Gard et Pyrénées-Orientales.

Gestion des crises


En 2014, l’accord handicap d’Akka Technologies prévoyait de recruter plus de candidats en en situation de handicap, notamment psychique. Mal anticipée, l’une de ces embauches s’est soldée par une démission. « Les équipes n’étaient pas préparées à réagir aux absences subites et aux comportements inappropriés de leurs collègues », raconte Anne Morlon, la responsable diversité de cette entreprise spécialisée en ingénierie et conseil en technologie. Pour ne pas réitérer cet échec, le groupe international a misé sur des formations, une hotline et une distribution de guides sur la gestion des crises.

Avec la multiplication du nombre de burn-out, Clubhouse France est davantage sollicitée pour sensibiliser responsables RH, comité de direction, élus du personnel, manageurs et salariés aux troubles psychiques, à leurs modalités d’accompagnement et à l’identification des signes avant-coureurs d’une rechute (négligence vestimentaire, retards trop fréquents, repli sur soi…). « Tout en restant dans son rôle, et sans se culpabiliser, chacun doit être vigilant. Pour cela, nous donnons des clés de compréhension », précise Céline Aimetti. Pour briser les préjugés, l’association donne la parole aux personnes fragilisées, comme Florian qui s’apprête à retrouver, grâce à une mobilité, le chemin du travail.

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