vendredi 29 septembre 2017

Le pape François sur le divan

A l’âge de 42 ans, Jorge Maria ­Bergoglio a suivi une analyse pendant six mois : c’est l’une des révélations du livre d’entretiens avec le pontife que publie le sociologue Dominique Wolton.

LE MONDE | 30.09.2017 | Par Elisabeth Roudinesco (Historienne et collaboratrice du "Monde des livres")

Dans ses entretiens avec Dominique Wolton, Jorge Maria ­Bergoglio, fils d’émigrants piémontais et attaché au réformisme populiste de Juan Peron, fait un éloge appuyé de la psychanalyse, expliquant, à juste titre, qu’en Argentine la discipline freudienne est une véritable culture et que lui-même fréquente des praticiens ouverts à toutes les sciences, y compris à « l’homéopathie ».

Face à son interlocuteur médusé, il ajoute qu’à l’âge de 42 ans il a rencontré, pendant six mois, à raison d’une séance par semaine, une psychanalyste « juive » qui l’a beaucoup aidé dans des circonstances difficiles. Dans la bouche du pape, l’adjectif « juif » signifie une appartenance religieuse.


Aventure subjective

Avec de tels propos, Bergoglio confirme un fait connu : l’Argentine est le seul pays au monde où la psychanalyse, phénomène urbain, est devenue un fait de société qui ne se réduit pas à une clinique. A Buenos Aires, on ne dit pas « poursuivre une cure » mais « s’analyser ». Autrement dit, dans cette ville en miroir de l’Europe, le passage par le divan est d’abord une expérience de soi qui concerne chaque sujet.

Ainsi la psychanalyse argentine ressemble-t-elle à ses habitants : un superbe flux migratoire incessant où la quête d’une aventure subjective est plus importante que toute forme de médecine. Mais elle est aussi une histoire ­de famille : à Buenos Aires, on est toujours fils, fille, cousin, neveu d’un psychanalyste et, tout au long de la vie, on fait des « tranches » successives chez différents praticiens qui eux-mêmes passent leur vie en analyse. Le psychanalyste porteno (enfant d’émigrants) est une figure familière de la vie quotidienne. C’est bien pourquoi Mauricio Macri continue aujourd’hui à fréquenter le divan de son analyste, alors qu’il a été élu président de la ­République en 2015, ce qui est impensable dans un autre pays.

Terreur d’Etat

En 1978, quand Bergoglio se rend chez son analyste, l’Eglise catholique romaine n’est plus en guerre contre le freudisme : « Nous avons de l’estime pour ce secteur désormais célèbre des études anthropologiques », a souligné Paul VI en 1973. Mais cette analyse de Bergoglio se déroule durant la période de la terreur d’Etat, pire moment de la dictature militaire du général Videla et des « disparus », dont le programme vise, au nom de « l’Occident chrétien », à éradiquer le marxisme, la psychanalyse et la démocratie. Entre 1976 et 1981, l’Eglise argentine préféra rester neutre, au même titre que la plupart des sociétés psychanalytiques. Les jésuites récalcitrants furent persécutés et torturés. On peut donc se demander ce que fut cette analyse menée par une praticienne dont on ne connaît pas le nom avec un jésuite dont on sait qu’il ne fut guère engagé dans le combat contre la plus sanglante dictature latino-américaine.

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