mercredi 13 septembre 2017

Hausse de l’emprisonnement des mineurs en France malgré une délinquance stable

En un an, le nombre de mineurs incarcérés a progressé de 16,6 %. Un record depuis quinze ans. Le phénomène étonne jusqu’au ministère de la justice.

LE MONDE  | Par 

Dans un centre éducatif fermé (CEF) à Saint-Brice-sous-Forêt (Val-d’Oise), en juin 2015.
Dans un centre éducatif fermé (CEF) à Saint-Brice-sous-Forêt (Val-d’Oise), en juin 2015. LOIC VENANCE / AFP

La justice emprisonne de plus en plus de mineurs. Au 1er août, 885 mineurs étaient écroués, dont les deux tiers en détention provisoire, selon la direction de l’administration pénitentiaire. Jamais depuis quinze ans de tels chiffres n’avaient été atteints. Ce mouvement de hausse a été particulièrement rapide ces derniers mois puisque en un an le nombre de mineurs détenus a progressé de 16,6 %, tandis que la population carcérale augmentait de 0,4 %.

Le phénomène étonne jusqu’au ministère de la justice où ni la direction des affaires criminelles et des grâces ni celle de la protection judiciaire de la jeunesse, pas plus que la direction de l’administration pénitentiaire, ne sont en mesure de donner une explication. « Est-ce que cela vient d’une aspiration plus sécuritaire de la société ? Ce n’est pas à moi de l’interpréter », commente Madeleine Mathieu, la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Aucune directive de politique pénale ni réforme n’est venue durcir le sort des adolescents ces dernières années.


Le phénomène des mineurs étrangers isolés


Certes, ce chiffre de détenus ne représente que 1,4 % des mineurs pris en charge par la PJJ. Mais retrouver les niveaux antérieurs à 2002 n’est pas anodin. Cette année-là, la loi Perben créait les centres éducatifs fermés (CEF). L’objectif était d’apporter une solution alternative à la prison pour les enfants multirécidivistes ou multiréitérants. Ces petites structures où les jeunes sont placés pour six mois sont sans barreaux mais ont des contraintes suffisamment fortes pour entrer dans le champ de compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

La montée en puissance des CEF a permis de faire baisser le nombre de mineurs incarcérés. Mais le jeu de vases communicants a été limité et, surtout, il est terminé. Le nombre d’enfants de 13 à 18 ans placés en CEF devrait atteindre, selon les projections de la PJJ, 1 563 à la fin de cette année. 

Un record sans précédent qui n’empêche pas les juges des enfants de recourir de plus belle à l’emprisonnement.
« Il n’y a pas de hausse de la délinquance des jeunes depuis quatre, cinq ans qui pourrait expliquer cela », affirme Laurent Gebler, président du tribunal pour enfants de Bordeaux. Il avance deux hypothèses. D’abord le phénomène des mineurs étrangers isolés. « Certains sont à la rue et commettent des délits de subsistance », explique ce juge, également président de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille.

A infractions équivalentes, les autres enfants ne seraient jamais placés en détention provisoire, mais ceux-là étant SDF, la justice préfère les garder sous la main jusqu’au procès. En un an, le nombre de mineurs non accompagnés suivis par ce juge bordelais est passé de 70 à 330.


La création de nouveaux CEF à l’étude


L’autre explication avancée par M. Gebler est la réduction du nombre de places disponibles dans les CEF. « Nous avons de moins en moins de solutions de placement alternatives à la détention », constate-t-il. De fait, le centre éducatif fermé de Sainte-Eulalie, le seul de Gironde, est fermé après des problèmes de fonctionnement. Et le centre éducatif renforcé (CER), situé juste au-dessous du CEF dans l’échelle des sanctions éducatives, a été fermé par le préfet…

Toute la palette des sanctions pour les mineurs délinquants s’est durcie. « En 2010, nous avions sur Marseille trois foyers de la PJJ pour les 13-18 ans, aujourd’hui il n’y en a plus qu’un et deux CEF », dénonce Vincent Massari, éducateur de la PJJ auprès du tribunal pour enfants de la ville, également cosecrétaire national du syndicat SNPES-PJJ. « La multiplication des condamnations pour rébellion et outrage à agent vient alourdir le dossier pénal au moment où le juge décide l’incarcération », ajoute son collègue Vito Fortunato.

La directrice de la PJJ dément toute idée de manque de place. « Seuls cinq des cinquante-deux CEF sont actuellement fermés », explique Mme Mathieu, selon qui 552 places étaient disponibles en moyenne depuis le début de l’année. Mais ces structures, dont les deux tiers sont gérées par des associations, ont du mal à conserver leur personnel qualifié du fait du climat violent. Peu sont en mesure d’honorer leur capacité théorique. Le ministère de la justice réfléchit à la création de près de cinquante CEF supplémentaires au cours du quinquennat d’Emmanuel Macron.


Le système approche de la saturation


Dernier phénomène qui peut expliquer, mais de façon beaucoup plus marginale, la hausse du nombre de mineurs en prison, la radicalisation terroriste. Le parquet antiterroriste compte 64 mineurs (42 garçons et 22 filles) dans ses dossiers en cours, dont 57 mis en examen. Près de deux fois plus en un an. Mais le recours à la détention provisoire est beaucoup plus fréquent : un mineur sur deux aujourd’hui contre un sur quatre il y a un an.

Au final, le système approche de la saturation. Officiellement, le taux d’occupation dans les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) et dans les quartiers qui leur sont réservés dans les maisons d’arrêt atteint 76 %, bien loin de la surpopulation des prisons pour adultes. Mais la situation dans certaines régions est critique.

Le procureur de Castres a révélé, lundi 11 septembre, que quatre agents pénitentiaires ont été blessés vendredi à la suite d’une rixe dans l’EPM de Lavaur (Tarn). Il fait état, rapporte l’Agence France-Presse, de « violences qui se sont accentuées depuis plusieurs mois à la suite de la prise en charge de mineurs plus violents et d’un taux d’occupation important ».

« Les agressions s’expliquent en partie par ce phénomène de saturation, explique Nathalie Jaffre, directrice de l’EPM de Porcheville (Yvelines) qui a dépassé à deux reprises cette année sa capacité de 60 places. Ce n’était jamais arrivé auparavant. Il est devenu difficile de désencombrer en procédant à des transferts en Ile-de-France. » Or il est délicat de transférer un mineur dans une prison éloignée de sa famille.


Apporter un peu de « fluidité »


Si le principe de l’encellulement individuel des enfants est respecté, sauf situation très exceptionnelle, la gestion de la détention souffre. A Porcheville, où les 60 places sont réparties en six unités plus un quartier pour les arrivants, il n’y a plus de marge de manœuvre pour équilibrer la constitution des groupes, déplore la directrice, « alors que les temps collectifs sont importants ». « Le dernier arrivé va là où il y a de la place ! » Le personnel de Porcheville avait manifesté le 23 février pour empêcher la pose d’un matelas au sol destiné à l’accueil d’un soixante-deuxième adolescent.

« Le ministère a pris la mesure du problème », promet Madeleine Mathieu. La directrice de la PJJ travaille à la finalisation d’une note avec le directeur de l’administration pénitentiaire, pour gérer de façon adaptée et anticipée les transferts de détenus mineurs. De quoi apporter un peu de « fluidité », sans pour autant répondre à la question sur le recours plus fréquent à l’enfermement.

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