samedi 10 juin 2017

« La charge mentale, c’est moi ! »

Témoignage. Cette Parisienne, avocate, a un mari et quatre enfants âgés de 5 à 15 ans. Quand elle a découvert « Fallait demander », la BD en ligne sur ce thème, elle s’est sentie comprise, d’un coup.

M le magazine du Monde  | Par 

JOCHEN GERNER


J’ai eu un fou rire récemment avec une copine. Son mari lui avait demandé si elle n’avait pas parfois des envies d’escapade sexuelle torride avec lui au milieu de la journée. Mais en pleine journée, nous, on pense aux Kellog’s qui manquent ou au cadeau de Victoria qu’il faut acheter, certainement pas à la bagatelle !

Comment pourrait-on avoir la disponibilité de fantasmer, avec tout ce qu’on a en tête ? Moi, quand j’ai une minute dans la journée, j’imprime des fiches sur le Roi-Soleil entre deux dossiers de plaidoirie !

La charge mentale ! Tu es au boulot et tu penses à un milliard de trucs de la maison. En plein milieu d’un dossier, tu t’interromps pour appeler la baby-sitter et lui rappeler que l’horaire du cours de danse a changé. Ou bien pour télécharger des exercices de trigonométrie pour ta fille qui est nulle en maths. Ou encore pour aller acheter les cadeaux d’anniversaire des copains qui ont invité l’un ou l’autre de tes gosses ce week-end… Et puis, il faut aller chez l’orthodontiste qui ne reçoit pas le mercredi, assister au spectacle de danse à 4 heures de l’après-midi !… Mon mari, lui, il n’a pas le quotidien des enfants qui ­entre dans sa sphère de boulot.

« C’est toi qui assures, c’est comme ça, c’est acquis »


Cette question de la charge mentale, l’intrusion de la vie privée qui sollicite le cerveau en permanence, est symptomatique des différences hommes-femmes. Maintenant, cet aspect bien connu de la vie de couple porte un nom. Et ça change tout. Quand Emma, l’auteure de la BD en ligne sur ce thème, Fallait demander, est passée au JT, je me suis dit : « Mais la charge mentale, c’est moi ! » Enfin un mot sur ma condition… Je me suis sentie comprise, d’un coup.

Mon mari était avec moi, il a rigolé. Il a bien conscience que c’est ma vie, cette histoire de charge mentale, même si, jusqu’à maintenant, j’ignorais que ça existait. Je ne suis pas la seule dans ce cas : la plupart de mes copines vivent la même chose que moi.

Pendant l’interview du JT, la dessinatrice disait qu’il y a quelque chose de très ­féminin dans cette manière de vouloir tout gérer. C’est vrai : à force de vouloir montrer qu’on est des Wonder Women, un effet pervers s’installe. Au départ, c’est sympa de montrer que tu gères tout, un enfant, le boulot… Et tu as un deuxième enfant, et le boulot commence à prendre plus de place, puis un troisième, et tu travailles de plus en plus. Mais c’est ancré : c’est toi qui assures, c’est comme ça, c’est acquis.

Il y a quelque chose de sociétal là-dedans, aussi : notre génération a voulu bosser sans renoncer à la maternité. Au bout d’un moment, ce n’est plus possible de modifier les schémas de fonctionnement qu’on a installés.


« Demander de l’aide, ça me met encore plus en rogne »


Quand ma première fille est née, j’avais 25 ans, et je ne gagnais pas très bien ma vie : j’étais avocate et je débutais, c’était légitime que ce soit moi qui rogne sur mon emploi du temps pour m’occuper d’elle. Mais maintenant, je travaille beaucoup, et c’est toujours moi qui me charge de tout.

Les inégalités hommes-femmes commencent dans la sphère professionnelle : c’est plus facile pour une femme de lever le pied, c’est mieux vu, plus ­facilement accepté. Après la période du congé maternité, il faudrait savoir demander de l’aide à son conjoint. Il y a quand même peu de maris qui diraient « ça m’emmerde », si leur femme leur demandait de faire certaines choses.

Moi, je ne fonctionne pas comme ça. D’abord, parce que, dans mon modèle familial, c’est la femme qui prend tout en charge. Et puis, surtout, demander de l’aide, ça me met encore plus en rogne. Après tout, ils le savent bien, les hommes, qu’ils ont des enfants, et qu’il faut que quelqu’un s’en occupe ! Soit ça vient naturellement, soit ce n’est pas la peine.


« Aux fourneaux en talons »


Quand je rentre du boulot, je me mets aux fourneaux en talons, simplement parce que je n’ai pas les cinq minutes nécessaires pour me changer. Pendant que je cuisine, il y en a un qui me récite sa poésie, un autre qui me raconte sa journée.

Alors, à 21 heures, j’ai envie d’être dans une bulle. Il ne faut plus rien me demander. J’ai été sollicitée toute la journée : tôt le matin par les enfants, ensuite par les clients, puis à nouveau par les enfants, sans compter les mille coups de fil… J’ai juste envie d’être seule et que plus personne ne me parle. Pas même mon mari. Ce n’est pas glam, mais c’est vrai.

Je suis bien aidée à la maison, j’ai une nounou jusqu’à 19 heures… C’est l’organisation de la vie de chacun des membres de la ­famille qui me prend un temps fou. J’ai quatre enfants, de 5 ans à 15 ans, je bosse à plein temps.

Je gère une petite PME familiale, en permanence, mon esprit m’envoie des rappels. Lui, il a son cours de maths, il faut payer le prof ; elle, elle a piscine, il faut préparer ses affaires ; la réunion de parents d’élèves, le rendez-vous chez le médecin… Il faut penser à ce qui manque à chacun, bâton de colle et céréales, aux spectacles des petits et aux emplois du temps de ministre des grands…


« Mon mari joue beaucoup avec les enfants »


M’occuper de tout, ce n’est pas vraiment un choix de ma part. C’est quelque chose qui s’est installé. Je considère que je n’ai pas eu des enfants pour qu’ils n’aient pas au moins un de leurs parents à leurs côtés. C’est moi qui suis chargée du quotidien.

Mais les choses évoluent. Mon mari prend plus de choses en charge, maintenant. Avant, quand il les emmenait au parc, il n’imaginait pas qu’ensuite il fallait donner le bain, faire le dîner, coucher tout le monde. Il avait l’impression qu’il avait fait son dû.

On en a parlé, après la naissance du petit dernier, et on a mis certaines routines en place, pour qu’il soit naturel qu’il s’occupe de certaines choses. Les courses, maintenant, c’est lui qui les fait. Avant, je devais porter des kilos de trucs entre le boulot et la maison. Et quand il manquait quelque chose dans la maison, il remarquait : tiens, « on » a oublié d’acheter de la confiture. « On », c’était moi, évidemment.

Et puis, nous sommes très loin du modèle de nos parents, un modèle où la famille est exclusivement un domaine maternel. Par exemple, il joue beaucoup avec les enfants. Il a une vraie relation avec eux. Après, pour le quotidien…

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