vendredi 12 mai 2017

Procès de « l’empoisonneuse de Chambéry » : la quête impossible d’un mobile

LE MONDE  | Par 

Peut-on expliquer, à la place d’une criminelle, les raisons qui la poussent au crime ? Tel est l’exercice délicat auquel se sont livrés les docteurs Patrick Blachère et Daniel Zagury, mercredi 10 mai à la cour d’assises de la Savoie, à Chambéry. Chacun d’eux avait été chargé de mener une expertise psychiatrique de Ludivine Chambet, laquelle se montre toujours, quatre ans après les faits d’empoisonnement qui lui sont reprochés et qu’elle a en grande partie reconnus, incapable de répondre à cette question : pourquoi ?


Au second jour de son procès, les deux experts ont tenté d’embarquer l’audience dans les méandres psychiques de l’accusée, âgée de 34 ans. Mais devant le cas si particulier de cette aide-soignante qui, entre novembre 2012 et novembre 2013, a tué des patients d’une maison de retraite tout en affirmant avoir voulu leur « faire du bien », ils n’ont pas hésité à reconnaître leurs limites : « Il est vain de vouloir fournir une logique claire du passage à l’acte », a prévenu Daniel Zagury, qui s’est déjà frotté à Guy Georges, Michel Fourniret et quelques autres.


Abîmes de perplexité


Les psychiatres ont commencé par évoquer la personnalité « vulnérable » et « immature » de Ludivine Chambet, née prématurée et atteinte de graves complications. Ils ont ensuite souligné sa dépendance envers une mère surprotectrice, « l’effondrement complet de sa personnalité » lorsque celle-ci meurt d’une leucémie en juin 2013, et la possibilité qu’elle ait « calqué » la souffrance de sa mère sur ses victimes.


Quel était son degré de folie aux moments des faits ? S’il n’y a « aucun argument clinique en faveur d’une psychose » et donc « pas lieu de la considérer comme une déséquilibrée », affirme Zagury, Blachère estime qu’elle « n’avait pas toutes ses capacités quand elle commettait les faits ». Tous deux posent le même diagnostic d’une « dépression » et d’une « altération du discernement »« Ça, on en est certainPour le reste, ce ne sont que des hypothèses. »
Patrick Blachère avance celle du « pompier pyromane » – « la décharge pulsionnelle du passage à l’acte, et le plaisir à participer aux secours » –, ou encore une volonté d’exister – « en dehors de sa mère, elle n’existait pas. Quand sa mère n’a plus été là, il a fallu trouver un moyen d’exister ». Les notions de « clivage de la personnalité » et de « déni » sont souvent revenues pour expliquer comment l’aide-soignante avait pu échapper à tout sentiment de honte et de culpabilité. « Elle avait trouvé un mode de fonctionnement qui lui permettait de conserver un équilibre psychique, à un prix très fort », explique encore Blachère.

L’audience a parfois pris un tour de farce tant la complexité du cas Chambet se heurte au besoin de rationalité des avocats et des parties civiles, qui aimeraient saisir à quel point l’accusée avait conscience de ses actes. « Elle a conscience, et pas conscience », a tenté Zagury. Froncements de sourcils dans l’assistance. « Elle l’a fait, elle savait qu’elle le faisait, mais elle n’en avait pas connaissance. 
– Je ne suis plus, répond Me Connille, avocat de plusieurs familles de victimes. Si elle n’a pas connaissance, alors c’est qu’elle souffre d’une abolition du discernement, et elle n’a pas sa place dans un box ! 
– Ecoutez, on me pose des questions complexes, j’essaie d’être à la hauteur. On va encore dire que les psychiatres racontent n’importe quoi, qu’ils cherchent midi à 14 heures. Mais je ne peux pas répondre par blanc ou par noir. »


Voilà qui résume une journée où le jargon et certaines explications absconses ont parfois plongé l’audience dans des abîmes de perplexité. Combien parmi les jurés (et les magistrats, et les parties civiles, et les journalistes) avaient déjà eu vent des concepts de « relation anaclitique », d’« introjection » ou de « destructivité » ? « Ce n’était pas clair du tout, ça n’a pas apporté de réponse », se plaignent en chœur la fille et le petit-fils d’Anne-Marie, l’une des dernières victimes, qui savent déjà à quoi s’en tenir quant au mobile de Ludivine Chambet : « On le saura jamais. »

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