lundi 30 janvier 2017

Rompre avec les pseudo-vérités sur l’immigration

LE MONDE  | Par 

« L’Immigration en France, mythes et réalité », d’El Mouhoub Mouhoud (Fayard, 200 pages, 16 euros).

Des vieux mythes pris pour argent comptant… Un discours politique qui ressasse des idées fausses sans jamais les déconstruire… Le débat sur l’immigration qui irrigue la France de 2017, faisant fi des données de la recherche comme des statistiques les plus officielles, a donné envie au spécialiste de la mondialisation et des migrations internationales El Mouhoub Mouhoud d’en finir avec ces présupposés faux et ces données erronées. Cela donne un livre baptisé L’Immigration en France, mythes et réalité, en librairie ces jours-ci.

Sans avoir rien de prétentieux, l’ouvrage porte l’ambition de changer les regards. Sans ambages ni détours, l’auteur, universitaire, professeur à Paris-Dauphine, veut en effet raconter qui sont vraiment ces « personnes nées étrangères à l’étranger et résidant en France », hier appelées immigrés, aujourd’hui migrants.


Pour cela, il interroge une à une la quinzaine de pseudo-vérités qui hantent le débat depuis des années, le polluant à bas bruit. A l’issue de trente ans de lepénisation rampante des esprits, d’autant d’années de résignation des hommes politiques à éluder tout potentiel conflit sur ce sujet jugé trop sensible pour être abordé frontalement, mensonges et autres idées reçues se sont habillés en vérité pour finalement être servis et resservis sans discussions préalables.

El Mouhoub Mouhoud a donc listé les quinze mensonges les plus récurrents pour les démonter à coups de résultats de travaux de la recherche, de statistiques de l’OCDE, de l’Insee ou de la Banque mondiale, d’analyses aussi. A ceux qui continuaient à voir la France comme un grand pays d’accueil, M. Mouhoud rappelle que, en termes de flux entrants, c’est tout simplement faux puisque « la France a l’un des taux d’immigration les plus faibles des pays de l’OCDE ». A peine plus de 4 personnes pour 1 000 habitants foulent chaque année pour la première fois notre territoire quand les pays de l’OCDE en accueillent en moyenne 7.

Après avoir convoqué à la barre ce mythe premier, l’économiste enchaîne sur l’autre vieille antienne sans cesse répétée que nos migrants seraient assez pauvres pour qu’on puisse se plaindre que « la France accueille toute la misère du monde ». Mais le mythe numéro 2 fait lui aussi long feu, s’écroulant sous la plume claire et les références multiples de M. El Mouhoud.


Planifier les besoins de main-d’œuvre


L’économiste n’a en effet pas besoin de longs discours pour amener son lecteur à l’évidence mathématique que, contrairement aux idées du café du commerce, les pays les plus pauvres ne sont justement pas des pays « sources ». « Pour émigrer, il faut détenir à la fois du capital social et du capital économique », rappelle-t-il avant de montrer en guise d’illustration de son propos que les Subsahariens installés en France « sont davantage diplômés du supérieur que la moyenne des personnes qui vivent en France métropolitaine ». Ce n’est pas en effet parce qu’ils trouvent des emplois dans le bâtiment ou les arrière-cuisines qu’ils n’ont pas un baccalauréat en poche. Mais ce déclassement est un autre sujet…

Une à une, comme un château de cartes, les idées reçues s’écroulent donc. Les immigrés profiteraient des budgets sociaux ? Erreur là encore ! Ils sont trop jeunes et productifs pour ça. Ils feraient baisser les salaires ? Pas plus… Les transferts d’argent ne servent pas le développement ? Funeste erreur… Page après page, l’enseignant-chercheur réécrit donc une sociologie et une économie moins imaginaires de l’immigration que celles qui ont cours.

Finalement, après une bonne centaine de pages, libéré de ce qu’il pensait être « scientifiquement vrai » et n’était que faux-semblants, le lecteur se trouve fin prêt à embarquer pour la deuxième partie du voyage. Cette Immigration en France étant une sorte de « deux-en-un » ; un livre en deux parties qui fait aussi des propositions.


Une politique scientifiquement pensée


La seconde moitié de l’ouvrage avance donc ce que pourrait être une politique d’immigration scientifiquement pensée. Comme si une fois ces illusions levées, la France pouvait construire une approche plus sereine. Ce que n’ont fait ni la droite ni la gauche. Comme le note l’auteur, rien n’a vraiment bougé au fil des alternances. Même « les éléments de changements apportés depuis 2012 sont trop mineurs pour constituer une politique d’immigration véritablement nouvelle ». Plus largement d’ailleurs, il estime que « la politique française d’immigration a peu évolué durant les quinze dernières années ». 

On est toujours resté sur la défensive, esquivant le débat. « Pour des raisons de communication politique en direction d’un électorat sensible à des réflexes anti-immigrés, au lieu d’afficher clairement les besoins de l’économie et d’adapter les flux légaux entrants, le recours simultané à l’immigration en situation irrégulière tient lieu de variable d’ajustement », tout simplement. S’il ne l’écrit pas, il faut noter au passage que cette prévention n’a jamais endigué la montée de l’extrémisme.

Qui peut imaginer que la publication de ce livre au début de la campagne officielle a d’autre but que d’éclairer les candidats à l’élection présidentielle de 2017. Se saisir de ce dossier étant un élément incontournable d’une véritable politique économique.
Pour l’économiste El Mouhoub Mouhoud, en effet, la France gagnerait à planifier ses besoins en main-d’œuvre afin que l’immigration lui permette d’y répondre même si, comme il l’analyse aussi, « il est difficile de définir des critères mesurables permettant d’identifier des “bons candidats” à l’immigration, surtout si l’on vise non plus de simples ajustements du marché du travail à court terme, mais un soutien à long terme du développement économique ». Preuve que le sujet mérite un débat.
L’Immigration en France, mythes et réalité, d’El Mouhoub Mouhoud (Fayard, 200 pages).

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