lundi 17 octobre 2016

Quand l’inflammation monte à la tête

Le 7 octobre, à Paris, un colloque a permis de mieux cerner le lien entre le développement d’une inflammation chronique et l’apparition d’une maladie psychiatrique.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par Florence Rosier
Cellules gliales qui peuvent être impliquées dans des perturbations du mécanisme de récompense dans le cerveau
Cellules gliales qui peuvent être impliquées dans des perturbations du mécanisme de récompense dans le cerveau NANCY KEDERSHA/SPL/COSMOS
Immunité et psychisme : entre les deux se tissent des liens étranges. Des liens à risque, aussi. Car les dérèglements de notre système immunitaire expliquent, parfois, le développement d’une maladie mentale : dépression, trouble bipolaire, schizophrénie ou autisme. Par quels mécanismes ? Quels sont les patients concernés ? Et quelles pourraient être les retombées thérapeutiques ? Une centaine d’experts étaient réunis autour de ces questions, le 7 octobre, à l’Institut Pasteur à Paris.

« Les maladies psychiatriques sont très hétérogènes », souligne la professeure Marion Leboyer, qui dirige la fondation FondaMental, co-organisatrice de ce colloque. « Certains d’entre nous se défendent mal envers des stress sévères subis durant l’enfance ou des infections très précoces. Parce qu’ils portent certaines formes de gènes de l’immunité, des stigmates inflammatoires persistent chez eux à bas bruit : d’où une série d’effets au niveau du cerveau ou d’organes périphériques », résume la responsable du pôle de psychiatrie du CHU Henri-Mondor (AP-HP), à Créteil.
Réactions délétères
Par exemple, cette inflammation chronique peut augmenter la perméabilité de la barrière digestive. Des antigènes vont indûment passer dans la circulation sanguine, puis déclencher des réactions auto-immunes. L’organisme peut ainsi produire des anticorps qui ciblent, dans le cerveau, un récepteur d’un messager des neurones, le glutamate. « La transmission glutamatergique est altérée chez ces patients. Et certains vont développer une schizophrénie ou des troubles bipolaires », explique Marion Leboyer.
Le concept est né il y a vingt ans grâce à un pionnier, le professeur Robert Dantzer. Dans une unité mixte INRA-Inserm-CNRS, à Bordeaux, il réalise une série d’observations fondatrices.« Des patients souffrant d’un cancer du rein ou d’un mélanome, traités par des immuno-stimulants, développaient des symptômes dépressifs : d’abord des signes de fatigue, puis des troubles de l’humeur et de la cognition. » Avec d’autres équipes, son groupe va patiemment retracer la cascade de réactions délétères qui mène de l’inflammation à la dépression.
En reproduisant, d’abord, un modèle animal de dépression inflammatoire. Les chercheurs ont injecté à des souris une molécule qui entraîne la production de composés pro-inflammatoires. Après un syndrome grippal, le rongeur « déprime ».
Altération du métabolisme de la dopamine
La transition vers cet état dépressif se produit sous l’action d’une enzyme qui transforme un acide aminé, le tryptophane, en com­posés neurotoxiques dans le cerveau. Ceux-ci à leur tour activent des récepteurs du glutamate – dont le récepteur NMDA, impliqué dans la mémoire et l’apprentissage. Toutes ces perturbations altèrent le métabolisme de la dopamine, chargée d’activer le système de la récompense du cerveau et de contrôler les mouvements. D’où la perte du plaisir et le retard moteur qui signent la dépression.
Mais pourquoi certains patients parviennent-ils à récupérer d’une atteinte inflammatoire, tandis que d’autres « glissent » vers la dépression ? Sans doute parce qu’une catégorie de cellules de l’immunité vient à leur secours : les lymphocytes « CD8 régulateurs ».
A l’université du Texas, Robert Dantzer et ses collaborateurs viennent de montrer que des souris transgéniques dépourvues de lymphocytes T sont incapables de se remettre d’un stress inflammatoire : elles restent dépressives plus longtemps. Mais quand les chercheurs leur administrent ces précieux lymphocytes régulateurs, ces rongeurs guérissent. « Pourrait-on rendre ces lymphocytes plus actifs en les éduquant ?, s’interroge Robert Dantzer. Ce ­serait une forme de vaccination contre les maladies mentales liées à l’inflammation. »
Essais cliniques en cours
D’autres perspectives thérapeutiques se dessinent. Dans la dépression, seuls certains sous-groupes de patients présentent une inflammation chronique, a montré le professeur Carmine Pariante, de l’Institut de psychiatrie à Londres. En moyenne, les personnes dépressives ont des taux plus élevés d’une cytokine pro-inflammatoire, l’interleukine-6 (IL-6). Mais pas toutes : en juin, le groupe de Carmine Pariante a montré que deux marqueurs sanguins de l’inflammation (IL-1bêta et MIF) prédisent remarquablement la réponse des patients dépressifs aux antidépresseurs conventionnels. Ceux qui ont les taux les plus faibles ont toutes les chances de bien répondre à ces médicaments.
On sait qu’un tiers des patients dépressifs ne répondent pas aux antidépresseurs classiques.« Ces patients ont besoin de nouveaux traitements. Ils perçoivent souvent leur dépression comme une maladie physique. Ainsi, ils se plaignent presque plus de leur fatigue que des effets cérébraux », relève Carmine Pariante.
Par ailleurs, « de nombreuses données cliniques indiquent que des anticorps anti-IL-6 ont des effets antidépresseurs, chez des patients traités pour une maladie auto-immune », indique Wayne Drevets, du groupe pharmaceutique Janssen. Des essais cliniques sont en cours avec différents médicaments anti-inflammatoires, notamment chez des patients dépressifs qui pré­sentent des marqueurs sanguins d’inflammation.

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