mercredi 12 octobre 2016

Allaitement : l’importance de la première heure



LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par Sandrine Cabut
Grandes tétées, rencontres avec des professionnels… De multiples ­manifestations ont lieu en France jusqu’au 16 octobre, dans le cadre de la Semaine mondiale de l’allaitement maternel, organisée par l’Alliance mondiale pour l’allaitement maternel. Dans la plupart des pays, cet événement a lieu la première semaine d’août. Il y a aussi une journée mondiale consacrée à cette pratique, le 29 mars.
Une overdose d’incitations à cette méthode qui, en tout cas dans les pays riches, relève d’un choix individuel des femmes. Des occasions aussi de promouvoir ses nombreux bénéfices pour la santé des enfants et de présenter les nouvelles données de la science concernant notamment le ­colostrum. Longtemps peu étudié, ce liquide jaunâtre, produit en faible quantité par la mère avant la montée de lait, se révèle précieux.

Bienfaits universels
A tel point que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise ­désormais de mettre l’enfant au sein dans l’heure suivant la naissance. Elle recommande ensuite l’allaitement maternel comme alimentation exclusive jusqu’à six mois, puis partielle jusque 2 ans.
Dans les pays à revenus faibles ou moyens, la plupart des bébés sont encore allaités à l’âge de 1 an. La ­situation est plus contrastée dans les pays riches. En France, le taux d’allaitement à 1 an reste bas : 5 %-10 %. Les bienfaits sont pourtant universels.
« Si l’allaitement maternel n’existait pas encore, celui qui l’inventerait mériterait un prix Nobel de médecine et d’économie », résumait Keith Hansen (Banque mondiale), dans l’édition du 30 janvier de la revue britannique The Lancet, qui a consacré une série d’articles sur le ­sujet. De fait, en santé publique, on n’a rarement vu un médicament aussi ­efficace et bien toléré, qui plus est pour un coût nul.
La généralisation de l’allaitement maternel préviendrait 835 000 décès infantiles par an, selon les dernières estimations, publiées dans The Lancet. Le lait maternel protège des infections et des malocclusions dentaires. A plus long terme, ce mode d’alimentation est associé à un quotient intellectuel plus élevé, et réduit probablement le risque d’excès de poids et de diabète. Les bénéfices s’étendent même aux mères, avec ­environ 20 000 décès annuels par cancer du sein évitables.
Découvertes impressionnantes
Depuis quelques années, les chercheurs s’intéressent plus particulièrement au colostrum. Et leurs découvertes sont impressionnantes. L’initiation précoce de l’allaitement maternel (dans la première heure de vie) diminue la mortalité néonatale et jusqu’à six mois, davantage qu’une mise au sein entre la 2e et la 24heure, ou plus tardivement (après un à quatre jours), conclut une compilation de trois études, portant au total sur près de 100 000 bébés, au Ghana, en Tanzanie et en Inde. Selon cet article, publié dans The Lancet en avril, le gain sur la mortalité est d’au moins 40 %.
« Ces résultats, obtenus dans trois ­populations différentes, confirment que la première heure est un moment absolument critique, et justifient la ­recommandation de l’OMS de mettre les enfants au sein juste après la naissance. Le colostrum est le premier fluide mammaire à devoir entrer en contact avec le système digestif du bébé », commente Benoist Schaal, ­directeur de recherche au Centre des sciences du goût (CNRS Dijon). Longtemps pourtant, cette substance a eu mauvaise réputation : elle était considérée comme du lait avarié, toxique, ou du moins un produit peu nourrissant, poursuit le chercheur.
« On sait aujourd’hui qu’il s’agit d’un aliment riche en facteurs anti-infectieux tels que des anticorps et des antibiotiques naturels, en facteurs de croissance qui renforcent la barrière digestive et qui permettent le développement d’un microbiote protecteur, tels que les oligosaccharides. Il ne s’agit pas de lait maternel concentré, certains des composants du colostrum lui sont spécifiques », précise ­Valérie Verhasselt, qui dirige l’unité Tolérance immunitaire (université de Nice-Sophia Antipolis).
Tout comme Benoist Schaal, cette chercheuse Inserm participe à un projet international sur le colostrum, coordonné par l’anthropologue Joël Candau (université de Nice-Sophia ­Antipolis). Soutenu financièrement par l’Agence nationale de la recherche, le programme, qui a démarré en 2013, comprend des volets anthropologique, immunologique et psychobiologique.
« Faire évoluer les pratiques »
Impliquée dans ce dernier, l’équipe de Dijon a d’abord travaillé chez des souris, démontrant que les nouveau-nés préfèrent le colostrum au lait mature. Une étude équivalente est en cours chez des bébés de deux-trois jours. « Nous leur proposons l’odeur du colostrum par rapport à celle du lait de dix jours, et ils sont ­filmés pour analyser leurs réponses différentielles de façon objective », ­explique Benoît Schaal.
Valérie Verhasselt et ses collègues sont, de leur côté, chargés des recherches immunologiques. « Nous souhaitons déterminer si le colostrum pourrait être bénéfique dans les pays occidentaux, où la mortalité et la morbidité infantiles par maladies infectieuses ne sont pas le souci majeur dans la population générale », résume-t-elle. Des travaux sont menés chez la souris pour voir si cet aliment prélacté peut protéger des allergies et étudier son effet sur la croissance.
Parallèlement, un essai clinique est en cours à l’hôpital L’Archet (Nice), sous la direction du docteur Stéphanie De Smet, chez une centaine de nouveau-nés grands prématurés. La moitié d’entre eux reçoivent jusqu’à six fois par jour et pendant 48 heures quelques gouttes de colostrum, déposées sur la muqueuse de la bouche. Objectif : évaluer si ce « traitement » réduit les complications liées à la grande prématurité et accélère la maturation digestive.
Sur le plan anthropologique, une enquête a été menée dans sept pays : Allemagne, Bolivie, Brésil, Burkina Faso, Cambodge, France et Maroc. « Comme nous nous y attendions, il y a une grande diversité des pratiques selon les pays. Mais l’un des points communs est la crainte inspirée par le faible volume de colostrum, les mères se demandent si cela va suffire à leur enfant. Il y a aussi une méfiance sensorielle à l’égard de cette substance, dont la couleur jaunâtre diffère du lait », relève Joël Candau.
Selon lui, ce projet dont le financement se termine fin 2016 est déjà une réussite. « Il a créé une belle dynamique interne. A l’hôpital de Nice, le don de colostrum chez les grands prématurés est passé de 16 % à 68 %. Nous espérons que nos publications pourront conduire à des recommandations et faire évoluer les pratiques », conclut l’anthropologue.
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