samedi 24 septembre 2016

« MON COMBAT POUR UNE PSYCHIATRIE HUMAINE » PIERRE DELION avec Patrick COUPECHOUX

  • 23 SEPT. 2016
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  • PAR GUY BAILLON
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    Ce livre retraçant l'itinéraire d'un grand professionnel de la psychiatrie accompagné par un journaliste de renom nous démontre en détails que la révolution apportée dans l'après guerre avec la Psychothérapie Institutionnelle, la Psychiatrie de Secteur a été d'une grande fécondité qu'il nous appartient de consolider aujourd'hui pour l'avenir. Profondément humaine. Une clinique à la portée de tous.
    Un grand merci à nos deux auteurs pour ce beau livre autour de l’itinéraire professionnel de Pierre Delion. D’abord un coup de chapeau à Patrick Coupechoux d’avoir tenu à s’effacer totalement devant la parole continue et fluide de Pierre sans la hacher de questions. Nous sentons bien aussi qu’il a su guider cette transmission et a aimé l’écouter pour partager avec nous. Nos deux complices ont réussi un bel exemple de transmission écrite d’un héritage expérientiel. D’autant que celui-ci nous est livré comme l’ouverture d’un dialogue adressé en fait à chacun de leurs lecteurs. A souligner.

    Le parcours professionnel de Pierre Delion, de son enfance en deux pages seulement pour elle, à ce jour, est une grande leçon de psychiatrie moderne, leçon toute discrète, d’apparence modeste, en même temps très profonde sur la façon dont nous pouvons apprendre notre métier de soignant. Etant soignant moi-même, et à la retraite, je commence donc cette note par cette catégorie de lecteur. En fait les autres lecteurs, au fil des pages, se sentiront tout autant ‘accueillis’, tout en ’y ‘construisant’ peu à peu aussi une âme de soignant, celui-ci étant décrit comme ‘l’autre du patient’, donc fort proche.
    Je me permets de vous livrer un avis tout personnel, sans prétendre aucunement vouloir faire un résumé ou une analyse qui se voudrait ‘générale’.
    Je parle donc en tant que psychiatre du service public, banal ancien chef de service, de 10 ans plus ancien que Pierre.
    Depuis que je connais Pierre j’ai toujours été frappé par sa clarté et sa simplicité pour exposer son expérience de la psychiatrie. Ce ne sont jamais des ‘leçons’, même depuis qu’il est devenu ‘professeur’ … (ceci sans changer de ‘classe’ dans ses relations avec les autres).
    Depuis cette période cependant à chaque fois que j’ai eu le plaisir de l’écouter dans divers cercles d’échange j’ai admiré le caractère de plus en plus « épuré » de ses propos, intégrant dans un récit fluide les notions les plus complexes de la psychiatrie et de la psychanalyse. C’est dire sa rareté. Chaque fois j’espérais avoir « le texte » pour moi… et j’en voulais plus !
    C’est chose faite, avec ce un bon début de transmission d’héritage. Il ne saurait s’arrêter là.
    Ma première réaction à cette lecture a été de me sentir petit, tout petit avec ma modeste expérience de 30 ans avec une même équipe sur un même secteur, et mes propres élaborations ‘sauvages’ … Comment a t-il lui réussi son parcours pour en faire un chemin si riche et si varié, si ‘complet’, comment a t-il acquis cette splendide expérience ?
    Tout au long de ma lecture je me suis peu à peu senti au contraire fort, fort d’avoir partagé sur mon petit ‘champ’ un long chemin avec des soignants proches, à ma façon, avec mes modestes outils. Je ne me suis plus senti infériorisé, mais au contraire consolidé, presque ‘reconnu’ dans la mienne, solide de toute façon.
    Comment a t-il provoqué cela sur ces deux plans ?
    A mon sens la première clé est que pour acquérir cette expérience et ces connaissances il n’a jamais cherché d’abord à courir après un ‘savoir’, il a commencé par accepter de ressentir seul angoisse et désarroi devant cet autre monde, celui de la maladie psychique présenté par tel patient, puis tel autre, et là à s’efforcer d’avancer peu à peu pour répondre aux questions qui se posaient devant lui avec chacun, dans telle situation, sans accepter de se sentir écarté, acceptant les obstacles pour les résoudre peu à peu, les uns après les autres. Ce serait son fil rouge. Et pour nous ? …
    Ce livre à partir de là est une « grande leçon clinique », pourrait-on dire, mais sans prendre jamais le ton de ‘la leçon’. Cette leçon peut paraître sans ordre. Certes elle suit les méandres du propre chemin pris par Delion, il nous fait part de ses découvertes au fur et à mesure des questions et des personnes qu’il rencontrait. Au total nous comprenons que nous avons abordé ‘et approfondi’ les points essentiels et les plus complexes de toute la psychiatrie ! … Il nous reste à reprendre notre propre parcours et à le restimuler pour qu’il s’enrichisse à son tour. Il nous a transmis l’envie de le comprendre ! et mis sur la voie de ce long processus, sans jamais peser sur nos convictions, ni nous ‘ennuyer’, jamais ‘docte’.
    Certes il approfondit surtout le champ de la psychose, puis de l’autisme, mais en partant de notre propre névrose et notre compréhension progressive du développement de l’être humain, en déclinant par le menu et de façon variée, tant le développement du psychisme névrotique que les divers avatars du psychisme pathologique. Tout cela est pris dans un récit aussi fluide que le cours d’une rivière, sans se heurter à des concepts, des classifications, des démonstrations. Nous avons la vie devant nous et notre lecture comme base.
    Après nous ne restons pas béats et stupides sur le bord de la route convaincus d’avoir rencontré un grand savant. Certes pas. Nous avons pris le goût de poursuivre notre propre chemin nous-mêmes à notre vitesse, avec ce que nous sommes.
    Il nous a fait comprendre intuitivement la clé de sa démarche avec chaque patient, partager la rencontre de soi et ‘de l’autre’, tout en découvrant la richesse de la complémentarité avec ‘les autres’, montrant que nous pouvons éprouver cette richesse, nous aussi, comme l’autre.
    La première évidence est que sa voie pour enseigner est bien dans sa façon de partager et mettre à notre portée le récit de sa propre vie personnelle dans ce parcours de découvertes, il se montre simplement, et nous nous reconnaissons ainsi à notre tour.
    Nous comprenons vite que se reconnaître comme soignant et se reconnaître comme homme sont la même chose, passant d’abord par le soin de soi-même, son propre respect.
    Je voudrais maintenant simplement, à ma façon, choisir quelques éléments qui me paraissent majeurs, et quelques autres qui m’intéressent parce qu’elles ont provoqué ma perplexité ici, voire des conflits dans ma propre aventure.
    Tout est déjà dans le titre, bien choisi par Coupechoux et lui.
    Certes il y a le mot « combat ».
    Cependant il ne montre là aucune ‘passion’ déstabilisante, aucune obligation de se croire « au combat » donc dans la violence, comme ce fut souvent le cas en psychiatrie pour beaucoup d’entre nous, et son cortège de déboires nous enfermant dans des positions soit dites certaines. Il pointe surtout ‘l’engagement’ militant que constitue tout travail clinique.
    En contraste nous savons combien d’entre nous se sont cru la Jeanne d’Arc de la psychiatrie au cours de ces 50 ans (il me souvient d’avoir été épinglé justement ainsi par de charmants collègues dans un journal syndical – pas le mien !), chacun défendant son propre point de vue, ou celui de ‘son groupe’ et ainsi au lieu d’ouvrir et d’unir de renforcer des divisions.
    Son combat est en fait celui d’une patiente et solide « construction » de pratiques et de réflexions ‘intégrées’, et à mettre au service des autres. Nous observons que cela ne se fait pas en un jour, cela ne peut jamais se terminer, le but est dans un chemin sans cesse à construire.
    Ce livre détaille tout ce ‘qu’il est suffisant’ de faire pour construire la psychiatrie humaine. !! Celle-ci s’appuie d’abord sur le chemin que fait chacun à l’écoute de l’homme, c’est-à-dire … Allons ! Je m’arrête ! Excusez-moi ! Je ne vais pas me laisser entrainer à ânonner son propos, à reprendre toute cette transmission, ce serait forcément beaucoup moins clair !
    Je vais me limiter à insister sur ce qu’il pointe : la nécessité pour chacun de s’appuyer sur des lignes conductrices partant de soi et de nos propres constructions personnelles, constamment renouvelées par les personnes et la réalité rencontrées …
    C’est ainsi qu’il montre la force qu’a eu pour lui sa découverte puis sa défense de la Psychothérapie Institutionnelle, il tient à nous la faire connaître à sa façon et sans aucun dogmatisme, montrant simultanément l’intérêt de la découverte par Freud de la psychanalyse, ici aussi en termes si simples et clairs, que nous ne perdons jamais pied. Il nous laisse libres de comprendre à notre façon, d’utiliser les concepts clés, mais toujours au fur et à mesure des ‘hasards’ de son récit.
    Cette « liberté » est une de ses autres ‘clés’. Elle est essentielle. C’est son combat aussi.
    C’est ainsi que nous nous sentons ‘libres’ tout au long de ce récit (car s’il parle de lui, nous nous sentons aussitôt étroitement concernés, mais de notre fait). Voilà comment ici et là il a, nous raconte-t-il, enfin su comprendre tel patient et profiter de cette rencontre pour constituer et établir le lien suffisant pour le soigner en faisant un bout de chemin avec lui.
    Il nous ouvre ainsi des pistes pour percevoir l’aliénation multiple qui nous guette mais aussi enferme chaque patient, et faisant là aussi souvent que nécessaire le lien avec la vie sociale, avec cette « nécessité » politique qui nous rend tous acteurs de la Cité. Il détaille à propos cette aliénation et ses diverses facettes, psychique, physique, sociale. Ainsi peu à peu la psychiatrie d’après-guerre dans son combat « désaliéniste » ouvrant la voie à la « Psychiatrie de Secteur » patiemment construite, se montre à l’évidence comme une ‘émanation de la démocratie’. Nous mettant en garde au passage sur les contre sens d’une prétendue démocratie sanitaire et de santé mentale anonyme, les besoins des patients n’étant jamais ‘égaux’ mais différents, chaque réponse ne peut être qu’adaptée aux ‘singularités’ de chacun.
    Ce livre montre clairement le lien : la Psychiatrie de Secteur est une des émanations de la Démocratie, et du souffle qui a bouleversé la France après la guerre.
    La question complexe de l’avenir de la psychiatrie, le secteur, la psychothérapie institutionnelle est de savoir comment maintenir et ‘recréer’ l’essentiel de ce qui a été acquis dans la pratique comme dans la théorie.
    Simultanément patients et soignants de la psychiatrie sont d’abord des « citoyens » !
    Et pourtant c’est d’une action ‘politique’ très tordue mais très violente contre lui qu’il souffrira profondément les dernières années de sa carrière, à la suite d’une « rumeur » infondée. En raison de sa pudeur Pierre Delion ne nous en donne la description à la fin en quatre petites pages seulement. Il est incompréhensible que cette rumeur ait pu être reprise par des mouvements de familles d’autiste l’accusant des pires violences contre les autistes et leurs parents ! Il est en effet l’un des premiers à avoir insisté sur le rôle fondamental des familles, en particulier pour les autistes, l’une de ses premières rencontres avec la souffrance psychique. L’un de ceux qui a travaillé de près la façon de les faire participer pour réaliser ces soins si complexes insistant sur la pluralité des causes et des aides à proposer, ne forçant aucun soin, éclairant les familles sur les choix possibles attendant ‘activement’ leur décision, expliquant que pour les autistes comme pour tout patient tout soin solide part d’un désir de la personne et de l’entourage, il s’agit de le susciter pour permettre à chacun d’intérioriser cette démarche, en ne restant jamais passif pour autant. Il explique ainsi que la souffrance et l’angoisse de certaines familles, mais aussi l’abandon d’un certain nombre de psychiatres se limitant à la seule organicité des troubles, et privilégiant les méthodes comportementales et autoritaires exclusives, tout cela aboutit de leur part à des violences de rejet ou d’abandon. La multiplicité des causes et des réponses est la clé. Delion nous explique ces faits clairement et sobrement, sans virulence. Et il remercie ceux qui l’ont soutenu.
    Son attachement au travail avec « la famille » a été d’emblée pour lui le fer de lance de son ‘combat’, contrastant fortement avec la majorité des psychiatres. Là encore il a été très en avance sur son époque, même dans le champ de la Psychothérapie Institutionnelle.
    Ne voulant pas tout reprendre, je ne vais souligner que d’un mot ce qui m’a le plus marqué :
    ( Comme : -la qualité du choix de ses mots à la fois proches des concepts de vraies trouvailles choisissant ceux qui permettent le partage avec le lecteur et non ceux qui affirment avec autorité, -le bouleversement des attitudes soignantes classiques par la création de la psychothérapie institutionnelle, -le remplacement de la hiérarchie classique par une hiérarchie subjective, -le trésor qu’est la vie quotidienne comme départ du soin, -les crêpes et le café portes d’entrée du lien social complément du soin, -la construction de l’institution faite pour s’adapter à chacun et se modelant sans cesse, -les stratégies organisationnelles à déployer, -pour cela la force de l’expérience vécue avec le patient, -l’aller et retour entre la vie psychique du patient et la nôtre propre, -la clé que constitue l’observation du développement de l’enfant et d’abord du bébé et la séparation initiale d’avec sa mère, -peu à peu la démarche diagnostique non pour classer encore moins ‘trier’ mais pour suivre l’évolution écartant le dangereux DSM, -le bain dans le Secteur pour le soin permettant la rencontre avec tout l’environnement humain de chaque patient feuille de route de la nouvelle psychiatrie, -‘l’inconscient’ à ciel ouvert et le chemin de sa découverte et le « transfert » feuille de route centrale du soin (j’y reviens plus loin) installant la continuité du soin et les liens avec son environnement créant des ‘constellations’ appui essentiel, … -bien sûr l’histoire de la découverte progressive de l’autisme et de la variété des approches thérapeutiques riches et complémentaires, … -entre autres … )
    Cette énumération est imprudente car donne le vertige : le livre est tout le contraire ! fluide, vivant, une histoire vivante ! Sa « mise en histoire » dans un ‘récit’ est une autre clé, partagée avec Jacques Hochmann.
    D’autant qu’au travers de ce récit, certes il évoque les différents concepts, les différentes théories, les différentes organisations, les lois et grands thèmes, mais juste ce qu’il faut pour nous y retrouver, et surtout nous épargnant (sauf quelques coups de griffes) les grandes querelles dont les psychiatres ont toujours été si friands mais qui ne servent que leur ego, affirmant leurs certitudes, bloquant la réflexion sereine, seule donnée indispensable … Ces pseudo combats ne sont pas le sien.
    De ce fait me vient l’envie de tenter de vous dire ce que ce livre n’est pas !
    Là encore j’ai l’audace de proposer mon avis tout personnel :
    -ce n’est pas un ‘traité de psychiatrie moderne’ ! Pourtant son sujet essentiel est l’approche personnelle de patients précis que Delion nous fait connaître et d’où il a tiré sa connaissance. Aussi se sent-on à chaque fois stimulé,
    -ce n’est pas une petite « encyclopédie portable » ! Pourtant Delion aborde les différentes composantes majeures organiques, psychiques, relationnelles, sociales étroitement liées,
    -ce n’est pas « une histoire de la psychiatrie » ! Pourtant c’est un récit historique mêlant son histoire professionnelle et l’histoire récente et générale des idées. Delion évoque de très nombreux acteurs côtoyés avec passion pendant plus de 40 ans, tout particulièrement Tosquelles et Oury,
    -ce n’est pas la mise en scène exhaustive des différents mouvements qui ont mobilisé cette profession. Pourtant Delion fait bien vivre leurs conséquences concrètes et positives (mais aussi négatives). Il ne cite ni la Croix Marine, ni l’UNAFAM, ni la FNAPSY. … Pourtant il détaille son travail avec les acteurs sociaux, avec les familles, les patients d’abord, et démontre qu’il a profondément intégré les apports des uns et des autres. Et surtout cette intégration n’est pas superficielle, il a partagé concrètement leur vécu, et de façon centrale convergente celui des patients.
    -Enfin il donne tout au long du texte écrit de très nombreuses et précieuses références, nous aidant à mieux jalonner son chemin et en approfondir certaines sources pour les travailler à notre guise.
    Au total Pierre Delion, avec son complice bien sûr, donne vraiment envie de continuer à « se battre » pour une psychiatrie « humaine », mais à reconstruire si nous sommes lucides à la réalité politique qui évolue.
    Il nous en donne les éléments centraux autour de ses acquis cliniques à la fois pour la pratique et pour la réflexion, qu’il rassemble avec tant de force ici. La forme concrète de l’organisation sociale de cette psychiatrie sera le résultat de l’intelligence et de l’audace de nos pairs actuels, mais sans nostalgie des formes antérieures et récentes qui ont fait leur preuve à chaque époque, l’humain restant le centre. Le combat est loin d’être terminé.
    Ainsi des héritages forts comme ceux transmis par Pierre Delion et Patrick Coupechoux ne seront jamais perdus.
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