mardi 23 février 2016

[Interview] Dominique Gillot, sénatrice du Val-d'Oise, présidente du CNCPH "Les avis du Conseil national des personnes handicapées sont ultra consultatifs et ne comptent pas"


Récemment nommée à la présidence du CNCPH, Dominique Gillot travaille à renforcer l'assise de l'instance.
À quelques semaines du renouvellement de la mandature du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), sa nouvelle présidente Dominique Gillot a entrepris de faire évoluer sa constitution. Avec deux objectifs : assurer l'inclusion sociale et renforcer le poids de l'instance dans les politiques publiques.

Hospimedia : "Demain, à votre initiative, le CNCPH se penchera sur un projet de décret venant réformer sa propre constitution. L'idée est de profiter de la parution prochaine du décret sur le renouvellement de la mandature du CNCPH pour réorganiser le fonctionnement du conseil ?


Dominique Gillot : Oui, il s'agit d'actualiser le fonctionnement de ce conseil en l'ouvrant davantage sur la société civile pour lui donner plus de force dans le respect de ses compétences. C'est un conseil consultatif qui a vocation à être consulté justement sur tous les textes, les règlements et les évolutions qui visent à l'organisation de la vie quotidienne des personnes handicapées. Dans cet esprit, je pensais qu'il fallait ouvrir un autre collège, faire entrer d'autres personnes ou d'autres associations qui ont une existence, des activités et une action reconnues ; des organismes aussi, qui contribuent à la prise en compte des problématiques des personnes à besoins spécifiques et qui sont en mesure de faire la promotion des aptitudes des personnes en situation de handicap. Consciente du manque de documentation scientifique réunie sur cette question-là, aussi bien en termes d'évolution des comportements, d'effets des dispositions qui ont été mises en place, d'évolution de la recherche sur la question du handicap, j'ai proposé à la ministre [Ségolène Neuville, secrétaire d'État aux Personnes handicapées et à la Lutte contre l'exclusion], que l'on mette en place un conseil scientifique. Il y aura donc de nouvelles associations et organismes, un collège de personnes qualifiées, et le conseil consultatif pourra s'appuyer sur les travaux de ce conseil scientifique. Le cabinet de la ministre viendra exposer le décret et présentera l'architecture globale avant la désignation des représentants au conseil, en fonction des manifestations d'intention et de l'analyse par la ministre de l'efficience de ces manifestations d'intention. La publication du décret devrait quant à elle intervenir avant la fin du mois de mars, cela pourrait être le dernier vendredi de mars.

"Il n'y a pas de raison pour que se crée une ligue des personnes qualifiées pour déséquilibrer les avis du conseil."

H. : Le Comité d'entente avait fait savoir le risque de déséquilibre que pourrait induire la création d'un collège de quinze personnes qualifiées avec voix décisionnaire, alors qu'en miroir, les syndicats ne disposaient par exemple que de sept voix (lire ci-contre). Que leur répondez-vous ?


D. G. : Nous avons parlé, nous avons discuté, nous avons débattu plusieurs fois de cette question. Au début, [les membres du Comité d'entente] étaient très méfiants. Ils ne comprenaient pas l'intérêt de personnes qualifiées jugeant que tous les représentants des associations sont tous qualifiés — bien évidemment, sinon ils ne seraient pas nommés — mais je leur ai fait valoir qu'il y avait des personnes qui sont représentatives d'inclusion sociale, professionnelle, artistique dans le monde du handicap ou non, et qui ne sont pas dans les associations. Ça me paraît être intéressant de les associer à nos travaux pour avoir un éclairage sur la manière dont ils ont dépassé les freins, les obstacles et des difficultés qu'ils ont pu rencontrer pour justement influencer le cadre normatif. Quant au nombre retenu et leur droit de vote, j'ai plaidé en précisant que ce conseil national est consultatif et que le poids des associations reste quand même très fort — il est beaucoup plus fort même puisque les associations représentent 80% des membres du CNCPH. Il n'y a donc pas lieu d'avoir de craintes d'un déséquilibre de personnes qui viendraient effectivement ne représenter qu'elles-mêmes. Il n'y a pas de raison qu'il se crée une ligue de ces personnes pour déséquilibrer les avis du conseil. D'ailleurs je me fais fort d'avoir une réflexion et le développement d'une culture commune qui aille dans le sens du soutien des besoins et de la reconnaissance des personnes handicapées.

H. : Qu'en est-il des critères des choix retenus ?


D. G. : Ce qui va être indiqué dans le décret, je n'en ai pas vu la dernière rédaction qui va être présentée demain matin, c'est sur manifestation d'intention. Avec une volonté de représenter l'éventail des activités sociales, professionnelles, artistiques, culturelles, sportives... — des activités de la société en somme. Et toujours avec aussi une obligation de parité. C'est un point fort également du renouvellement du CNCPH, nous avons souhaité — et la ministre était entièrement d'accord avec moi — que la nouvelle représentation soit conforme à la loi sur l'obligation de parité.

"Nous avons besoin de documenter les résultats de la politique d'inclusion et d'intégration des personnes handicapées."

H. : Pour revenir sur le conseil scientifique, quels seront les arbitrages présentés en termes de constitution ?


D. G. : Nous n'avons pas arrêté de nombre de membres précis. Ce conseil peut être envisagé comme un conseil scientifique évolutif, modulable, en fonction des questions qui seront abordées. Il y a besoin de documenter les résultats de la politique d'inclusion et d'intégration des personnes handicapées depuis dix ans, trente ans, et d'avoir une documentation sur la recherche scientifique, l'évolution des techniques au regard d'aides humaines, d'aides techniques, de prise en charge de handicap par le médico-social... on a besoin de ça. En fonction des sujets, le conseil scientifique peut donc avoir une géographie différente.

H. : Vous pensez que la création de ce conseil scientifique pourrait asseoir davantage le poids des avis du CNCPH ?


D. G. : Je pense. C'est pour ça que je le souhaite aussi. Pour avoir un avis documenté qui soit incontesté, parce que scientifique.

"Très souvent, le conseil est consulté dans l'urgence, au dernier moment, sur des textes qui doivent sortir ou sont déjà sortis. Les avis sont ultra consultatifs et ne comptent pas."

H. : Le CNCPH est souvent mis en avant pour son manque de poids, les avis n'étant pas forcément suivis. C'est une critique qui revient régulièrement...


D. G. : C'est une critique qui est formulée par la formation actuelle du CNCPH. Très souvent, le conseil est consulté dans l'urgence, au dernier moment, sur des textes qui doivent sortir ou sont déjà sortis. Les avis sont ultra consultatifs, ne comptent pas, surtout quand le texte est déjà sorti. J'ai pu constater, notamment depuis la loi de 2005 et les dispositions qui ont été intégrées sur la loi sur la refondation de l'école, que le ministère de l'Éducation nationale est très disponible en amont pour travailler les décrets d'application ou les circulaires de réglementation avec la commission éducation du CNCPH. Et là, on a des avis qui sont positifs, parce qu'il y a une coconstruction du texte en fonction des obligations légales du ministère thématique et des observations du conseil consultatif.

H. : C'est donc une démarche à étendre à l'ensemble des ministères ?


D. G. : Absolument. C'est prendre exemple sur les bons fonctionnements pour les généraliser. Une de mes ambitions, c'est de mettre en œuvre l'obligation d'études d'impact de toute loi relative à la situation des personnes handicapées, ce qui n'est pas toujours le cas. Au-delà, il s'agit de travailler la place du CNCPH. C'est pour ça que j'ai souhaité que quatre vice-présidents viennent m'assister dans l'animation de la présidence. Ils auront une délégation de fonctionnement de ma part pour représenter le conseil dans les différentes instances où nous sommes invités et où nous ne pouvons pas toujours nous rendre. On a un peu de mal à avoir une coordination effective de la présence de la CNCPH dans les instances. Je suis invitée à participer au travail sur les minima sociaux, j'ai répondu positivement à la ministre du Travail [Myriam El Kohmri] sur les questions de conventions contractuelles handicap au travail, il y a d'autres sujets sur le numérique... il va falloir que l'on se répartisse les présences pour être vraiment porteurs de la parole du CNCPH. Cela va dans le sens de la démocratisation et de la collégialité de la responsabilité. Cette présence effective servira à plus d'autorité, plus de visibilité du conseil dans les différentes politiques publiques.

H. : Et selon vous, cela manque encore ?


D. G. : Écoutez, je constate ! J'ai pris connaissance avec attention du rapport d'activité de la précédente présidente [Martine Carrillon-Couvreur] qui pointait ces dysfonctionnements. Les propositions qui sont faites visent à tenir compte de ces remarques et marquent ma volonté de faire respecter le CNCPH comme instance de consultation sérieuse. Qui prépare ses travaux, qui les porte et qui parle d'une seule voix."
Propos recueillis par Agathe Moret 

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