samedi 16 janvier 2016

Déjouer les apparences

LE MONDE | Par Roland Lehoucq (astrophysicien, Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives)
Les éditions des Belles Lettres viennent de ­publier une version bilingue et commentée d’un livre qui marqua une étape décisive de l’histoire de l’astronomie. Dans son De revolutionibus orbium coelestium (« Des révolutions des orbes célestes »), publié l’année de sa mort, le chanoine catholique Nicolas Copernic (1473-1543) présentait une nouvelle doctrine cosmologique selon laquelle la Terre et les autres planètes tournent autour du Soleil. Qualifiée plus tard de révolutionnaire, cette proposition s’opposait frontalement à la thèse, tenue pour vraie depuis des temps immémoriaux, selon laquelle la Terre est immobile au centre du monde.


"Nikolaus Kopernikus 2", par Jan Matejko (1838-1893). Public Domain via Commons

Les implications cosmologiques de l’inversion des places occupées par la Terre et le Soleil sont considérables et la plus audacieuse concerne la distance des étoiles fixes. En effet, s’il est vrai que la Terre tourne autour du Soleil, alors la position apparente des étoiles devrait notablement changer selon la position qu’occupe notre planète sur son orbite. N’ayant pas constaté cet effet de parallaxe des étoiles, le plus grand observateur du XVIe siècle, l’astronome danois Tycho Brahe (1546-1601), refusa de souscrire à l’hypothèse copernicienne. Pour échapper à cette objection et sauver la révolution annuelle de la Terre, Copernic déclara que les étoiles se trouvent à une distance si considérable que la course de la Terre le long de sa trajectoire héliocentrique ne modifie en rien le paysage stellaire. Autrement dit, alors que les Anciens tenaient la dernière sphère planétaire, celle de Saturne, pour voisine de celle des étoiles fixes, Copernic introduit entre elles un immense espace vide de tout corps.

Imagination, observations et expériences

En 1610, Galilée (1564-1642) publie le Sidereus nuncius, un traité dans lequel il révèle ce qu’il a vu grâce à sa lunette astronomique : la Lune a un relief, Jupiter possède quatre satellites, les étoiles fixes sont bien plus nombreuses que celles vues à l’œil nu. Il proclame en même temps son ralliement à l’héliocentrisme de Copernic. La suite est connue. Galilée ayant eu l’audace de contourner les interdits des théologiens en publiant en 1632 un livre prenant le parti de Copernic, la congrégation du Saint-Office lui impose d’abjurer l’héliocentrisme. Les observations qui démontreront la révolution de la Terre autour du Soleil ne viendront que bien plus tard.
La mise en évidence de la parallaxe des étoiles était l’obsession des astronomes car elle apporterait la preuve directe du mouvement de la Terre autour du Soleil, validant ainsi l’hypothèse de Copernic. En cherchant à observer la parallaxe, l’astronome anglais James Bradley découvrit en 1725 un effet qui eut la même conséquence : il constata que la position apparente des étoiles variait périodiquement au cours de l’année avec une très faible amplitude de 20 secondes d’arc. Bradley interpréta cet effet comme résultant de la composition de la vitesse de la Terre sur son orbite avec la vitesse de la lumière qui parvient des étoiles, phénomène que l’on nomme aujourd’hui aberration de la lumière. La découverte de Bradley mit fin au débat sur l’héliocentrisme qui durait encore, presque deux siècles après les travaux de Copernic et de Galilée.
Depuis la révolution copernicienne, les découvertes scientifiques ont radicalement transformé notre description du monde. C’est par une procédure rigoureuse alliant imagination, observations et expériences que les sciences ont permis de déjouer les apparences qui s’imposent à nos sens limités.

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