lundi 8 juin 2015

Observance thérapeutique : la parole est aux patients

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | Par 

« En 2013, j’ai dû accepter sans vraiment d’explications un nouvel appareil qui se connecte à la machine que j’utilise chaque nuit, depuis dix ans, pour traiter mon apnée du sommeil », raconte GeorgesCette maladie entraîne des arrêts involontaires de la respiration quand le patient dort. C’est pourquoi Georges doit porter toutes les nuits un masque facial relié à une machine à « pression positive continue » (PPC), qui propulse de l’air dans le nez.


« Ce nouvel appareil télétransmet chaque jour les données de l’utilisation de ma machine au prestataire qui me la loue. Auparavant, un relevé tous les six mois suffisait, poursuit Georges. De plus, j’ai dû signer sans attendre un papier expliquant qu’en cas d’utilisation insuffisante, l’Assurance-maladie pourrait cesser de rembourser cette machine. De quoi me sentir ipso facto suspect, avec une épée de Damoclès sur la tête ! » D’où venait ce changement ? De deux arrêtés issus des ministères de la santé et du budget, en janvier et octobre 2013. Ils stipulaient que tout malade atteint d’apnée du sommeil devait « utiliser son appareil à PPC sur 28 jours, pendant au moins 84 heures, et avoir une utilisation effective d’au moins 3 heures par 24 heures pendant au moins 20 jours ». Faute de quoi, il ne serait plus remboursé. « J’ai alors compris que ma santé n’était pas vraiment concernée. Il s’agissait surtout de faire des économies sur des critères arbitraires d’utilisation de cette machine, qu’il suffirait de durcir à volonté pour réduire les coûts », confie Georges.


Mesure ministérielle


Pour la première fois en France, une mesure ministérielle conditionnait la prise en charge d’un traitement à « l’observance thérapeutique », c’est-à-dire au « bon suivi » par le malade des prescriptions de son médecin. D’où l’inquiétude et la colère de nombreuses associations de malades. Deux d’entre elles ont saisi le Conseil d’Etat, qui, le 28 novembre 2014, annulait ces arrêtés.

Mais pour les patients, l’alerte avait sonné : les pouvoirs publics n’allaient-ils pas, pour des raisons économiques, développer un système de surveillance et de sanction des malades, dès lors qu’ils seraient jugés « mauvais observants » ? Ne les obligerait-on pas à « bien se traiter » selon une norme standardisée, non adaptée aux singularités de chacun ?

C’est pour faire entendre la voix des patients qu’un échange public était organisé le 1er juin, à Paris, par le Collectif interassociatif sur la santé (CISS), avec le collectif [im]Patients, Chroniques & Associés et le think tank Coopération Patients. Cette rencontre sur l’observance confrontait les points de vue d’éthiciens, de juristes, de sociologues et d’économistes, mais aussi d’acteurs institutionnels et, bien sûr, des patients.

« Il s’agit de favoriser l’observance, non de la contraindre, a déclaré la ministre de la santé, Marisol Touraine. Un malade a le droit d’arrêter son traitement, ce n’est peut-être pas recommandé, mais c’est sa liberté. » Mais pourquoi avoir signé cet arrêté si controversé de 2013 ? « Il a été préparé par la direction de la Sécurité sociale, avec la Haute Autorité de santé (HAS) et le Comité économique des produits de santé (CEPS) », a répondu Thomas Fatome, directeur de la Sécurité sociale depuis février 2012. « Je comprends qu’on ait pu trouver cette mesure très maladroite, a renchéri Dominique Polton, conseillère auprès du directeur général de la Caisse nationale d’assurance-maladie. Mais nous cherchons des moyens d’utiliser l’argent public d’une façon plus efficiente. Il n’est pas absurde d’essayer de ne pas payer les services non rendus. »


Une multitude de facteurs


« Vous avez envie de guérir, ou vous n’avez pas envie ? », demandait à son patient le docteur Knock. « Ce n’est pas une question d’envie mais de “capacité à” », lui répond à distance Christian Saout, secrétaire général délégué du CISS. Cette « capacité » dépend d’une multitude de facteurs : la complexité et la durée de la maladie, les effets secondaires des traitements, les connaissances et les savoirs transmis au patient, ses difficultés personnelles, son environnement social et culturel… « Les relations médecins-patients pèsent aussi de tout leur poids. »
« Il n’est pas illégitime de s’interroger sur la responsabilité du patient », admet Christian Saout. C’est même une interrogation sociétale, avec l’essor des maladies chroniques et la question de la soutenabilité économique de notre système de santé. « Mais pour qu’on exige cette responsabilité, il y a des conditions, poursuit Christian Saout, il faut informer et éduquer le patient, et le soutenir par des actions d’accompagnement », pour favoriser son autonomie.


Responsabilisation avec ou sans sanction


Mais peut-il y avoir une responsabilisation du patient sans sanction ? « Sanctionner la non-observance n’est pas la bonne voie. Les malades chroniques sont déjà durement sanctionnés par l’épreuve de la vie. Il faut revenir à un dialogue de qualité entre le médecin et le patient. Les associations de malades peuvent aussi prendre le relais », estime le professeur Gérard Lévy, doyen honoraire de la faculté de médecine de Caen.

L’initiative ministérielle dans l’apnée du sommeil « remet en cause les fondements de l’Assurance maladie », a jugé Vincent Vioujas, juriste à l’université d’Aix-Marseille. Mais si le Conseil d’Etat a annulé les deux arrêtés ministériels, « c’est pour un motif de forme ». Il n’y aurait pas d’obstacle juridique à sanctionner financièrement la non-observance, selon lui.

Le terme même d’« observance » est malvenu : il se réfère à la notion d’obéissance à une règle. Mieux vaut favoriser les « décisions partagées » entre chaque patient et les professionnels de santé – une approche centrée sur le patient désormais comprise dans la formation initiale des médecins généralistes.

Cette rencontre aura aussi fait valoir la notion de « patient expert » : celui-ci est le mieux placé pour connaître son vécu avec la maladie. Il peut donc être une aide précieuse pour les autres personnes atteintes, voire participer à la formation des professionnels de santé. Ce pourrait être une des recommandations du panel de patients issu de cette démarche associative qui seront proposées le 3 juillet.

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