mercredi 13 mai 2015

Assistanat sexuel : passer le handicap

ANNE-CLAIRE GENTHIALON 

Tour de force ou énième coup d’épée dans l’eau ? Vendredi sortira en librairie l’autobiographie de Marcel Nuss dans laquelle il revient sur la création de l’Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (Appas). En mars, c’est lui qui organisait en Alsace la première formation d’assistants sexuels sur le sol français (lire page suivante). A grand renfort de caméras et de journalistes, l’écrivain, lui-même lourdement handicapé, souhaitait«mettre le débat sur la place publique». Plus discrètement, en février, cinq Français ont été certifiés «assistant sexuels» en Suisse, à l’issue d’une formation de dix-huit mois délivrée par l’association Corps solidaires. Avec, là encore, l’idée de faire «avancer cette question» en France.
Besoin. Promis depuis des années, le débat sur l’accompagnement sexuel des personnes en situation de handicap est soigneusement esquivé. L’assistance sexuelle consiste, en échange d’une rétribution, à aider les personnes majeures en situation de handicap qui«ne peuvent pas avoir accès à leur propre corps» à découvrir leur identité sexuée, à explorer leur sensualité, à accéder à l’autonomie sexuelle. «Certains ont besoin d’aide pour expérimenter la sexualité. Il faut que ce besoin spécifique soit reconnu», expose Julia Tabath, présidente de CH(s)OSE, collectif réunissant des poids lourds du handicap comme l’Association des paralysés de France (APF) ou encore l’Association française contre les myopathies (AFM) et qui milite, depuis plusieurs années, pour l’instauration d’un «service d’accompagnement» avec des aidants dûment formés.
En 2011, le député UMP Jean-François Chossy appelait dans un rapport à «promouvoir l’idée que toute personne doit pouvoir recevoir l’assistance humaine nécessaire à l’expression de sa sexualité» et plaidait pour «un cadre éthique et juridique». En 2012, François Hollande avait promis «un vrai débat public». Et puis, rien. En 2013, le Comité consultatif national d’éthique a tranché défavorablement sur la question au nom «du principe de non-utilisation marchande du corps humain». Mais, dans les faits,«c’est une pratique déjà existante», pointe Pascal Prayez, psychologue-clinicien, auteur de Non-Assistance sexuelle à personne en danger (1) et cofondateur de Corps solidaires. Il a été le seul assistant sexuel certifié en France entre 2009 et 2011. Plusieurs associations racontent les nombreuses sollicitations reçues de personnes voulant être mises en relation avec des assistants sexuels. Dans certains établissements, des contacts sont laissés à disposition des résidents. «Il faut développer une offre concertée, structurée, pour éviter de rester dans l’initiative individuelle qui, elle, peut entraîner des dérives», plaide Pascal Prayez.
Rene et Kitty son accompagnante. En tant qu'infirmiere, Kitty ne melange pas patients et clients. Comme la plupart des gens de l'association, pour rien au monde elle ne parlerait de son activite sur son lieu de travail.
Aux Pays-Bas, en 2001. (Photo Frédérique Jouval. Picture Tank)
Si, du monde associatif au politique, chacun s’accorde pour la prise en considération de la sexualité et de l’intimité des personnes handicapées, l’assistance sexuelle continue de diviser. En France, ces prestations tarifées sont assimilées à de la prostitution. Les parents, auxiliaires de vie, directeurs d’institutions qui mettent en relation assistants sexuels et personnes handicapées risquent des poursuites pour proxénétisme.
Quelques jours avant la tenue de la formation de l’Appas, les gérants de l’hôtel qui accueillait l’événement ont fait machine arrière, de peur d’être poursuivis pour proxénétisme. Puis le tribunal de grande instance de Strasbourg les a obligés à accueillir l’événement au motif que la convention de l’Appas pouvait être considérée comme une formation «à l’éducation sexuelle en général».
«Amour». «L’assistance sexuelle n’a rien à voir avec l’exploitation du corps humain, c’est un faux débat. L’échange d’argent permet de prévenir l’attachement, de placer cette prestation dans un système de service», défend Julia Tabath. Pour l’association Femmes pour le dire, femmes pour agir, l’accès à la sexualité des personnes handicapées ne doit pas passer par «la marchandisation des corps»«Une prestation sexuelle à heure fixe, à jour fixe ! Où est le désir ? Où est l’amour ?interroge sa présidente, Maudy Piot. Il y a tant d’autres possibilités, comme l’ouverture de la société à toutes et tous, pour permettre aux personnes handicapées de faire des rencontres et ne pas les réduire à un seul besoin sexuel à assouvir.»
Le dernier coup médiatique de Marcel Nuss portera-t-il ses fruits ? Le débat tant promis sur l’assistance sexuelle aura-t-il lieu ? Pas sûr. Si l’association CH(s)OSE a bien été reçue en mars au secrétariat d’Etat chargé des Personnes handicapées, les dossiers n’avance pas pour autant. «Pour la question des aidants sexuels, il s’agirait de réglementer des rapports sexuels tarifés. Et ça, en France, pour le moment, c’est interdit par la loi», a déclaré en février sur RFI Ségolène Neuville (PS), semblant fermer toutes les portes. En attendant, l’Appas a déjà programmé une autre formation au mois de juin.
(1) Editions L’Harmattan
Par Anne-Claire Genthialon

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