dimanche 5 avril 2015

Maisons de retraite La nutrition trop souvent sacrifiée

Que Choisir 24 mars 2015
Trop de personnes âgées souffrent de dénutrition. Depuis quelques années, une multitude de recommandations ont été publiées pour que ce problème soit pris en compte. Les effets tardent à se faire sentir.
Nutrition dans les maisons de retraite
Même dans notre société d’abondance, la dénutrition peut être un problème de santé publique. C’est le cas notamment chez les seniors. Pour ceux vivant en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), sa prévalence est évaluée à plus d’un tiers. Non que l’entrée en maison de retraite mène fatalement à cette issue. Ce sont plutôt des phénomènes étroitement intriqués : les pathologies propres au grand âge conduisent à la fois à la dépendance et à la dénutrition. Le déclin cognitif, en particulier la maladie d’Alzheimer, brouille les repères sur la façon dont il convient de s’alimenter ; les troubles de la mastication ou de la déglutition, la santé dentaire pas toujours optimale constituent des obstacles physiques évidents ; l’altération du goût due à certains médicaments ou les troubles digestifs ne font que rajouter à l’anorexie, surtout amplifiée par la dépression plus ou moins latente. Le cercle vicieux s’installe alors, car la dénutrition a de multiples conséquences sur l’état de santé et conduit à la dépendance. Le système immunitaire s’affaiblit et les infections se multiplient ; la fonte musculaire et l’ostéoporose entraînent une multiplication des chutes et des fractures ; en cas d’alitement, les escarres s’installent plus facilement ; quant au cerveau, s’il n’a pas son content de nutriments pour fonctionner correctement, il commence à battre la breloque.


De quoi perdre l’appétit

C’est dire que l’offre alimentaire des maisons de retraite conditionne en grande partie l’état de santé des résidents. Certes, le contenu des assiettes et son équilibre apparent ne font pas tout. « Les menus, ce n’est pas notre problème, s’exclame le Pr Bruno Lesourd, un rien provocateur. Pour ce gériatre et nutritionniste, ancien médecin hospitalier et professeur à l’université de Clermont-Ferrand, « l’important, ce n’est pas ce qu’il y a sur le papier, c’est ce que les gens mangent ». Vrai, mais ils ne peuvent pas manger ce qu’on ne leur propose pas… Dès lors, si un plan de menus bien conçu n’est pas une condition suffisante pour que les résidents s’alimentent correctement, c’est une condi­tion nécessaire. Faute de protéines en abondance, on ne peut pas lutter contre la fonte musculaire ; sans produits laitiers à chaque repas, impossible de conserver un squelette solide ; si les fruits et légumes sont trop rares, où trouver les fibres qui facilitent le transit et le pool de vitamines et minéraux indispensables ? Mais c’est une fois que l’on a conçu des menus adaptés que tout commence.
D’abord, à l’évidence, il faut que ce soit bon et conforme aux habitudes antérieures des résidents. Si la qualité gustative est difficile à objectiver, il est regrettable que plus d’un établissement sur cinq parmi ceux dont nous avons analysé les menus serve des plats qui n’ont rien à voir avec la tradition culinaire des générations concernées. Cordons bleus, nuggets ou burgers n’évoquent rien pour un nonagénaire dont les papilles ont pourtant grand besoin d’être excitées. En revanche, le vin fait partie de sa culture, ce que certains établissements oublient trop rapidement au profit d’un hygiénisme malvenu. « J’ai rendu visite à des confrères danois, ils avaient remplacé le somnifère de leurs patients par un verre de bon vin chaque soir, raconte le Dr Monique Ferry, gériatre et nutritionniste. Tout le monde était ravi et ils s’étonnaient qu’au pays du bon vin on n’adopte pas cette habitude. Un verre à table, ce n’est pas excessif, ça participe au plaisir et ça incite à manger correctement. » Mais les directions plaquent trop souvent les raisonnements valables pour la population générale (l’abus d’alcool est dangereux, etc.) à des personnes pour qui le premier impératif est de manger suffisamment. « Dans le même ordre d’idée, je me bats comme un beau diable pour faire supprimer tous les régimes restrictifs, car ils ne sont plus utiles dans le grand âge et contribuent à ce que la dénutrition s’installe », explique Monique Ferry. De fait, se priver des exhausteurs de goût que sont le sel, le sucre ou les graisses n’est pas le meilleur moyen de retrouver l’appétit.

Choisir sa place à table, pas évident

La convivialité elle aussi agit positivement sur l’envie de manger et sur le moral. Être à table à côté de quelqu’un avec qui on a des atomes crochus semble un minimum. Or, quatre cinquièmes des établissements visités imposent des places immuables. Une rigidité difficile à comprendre. « C’est comme si, au restaurant, on vous imposait de vous asseoir avec les clients de la table d’à côté», relève le Dr Monique Ferry. Et de citer le cas d’un résident ayant avoué qu’il refusait de s’alimenter parce que son voisin, atteint d’Alzheimer, crachait dans le pot à eau. Des recommandations, publiées en 2011 par l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm), prévoient pourtant qu’on révise les plans de table autant que nécessaire, que l’on demande leur consentement aux convives lorsque leur environnement est modifié et que l’on prépare quelques chaises libres permettant de changer de place une personne qui le demande sans bouleverser l’équilibre des autres participants. Mais qui vérifie que ces conseils sont suivis d’effets ?

Toujours le problème du financement

Même absence de suivi pour les recommandations tenant aux horaires des repas. Les dîners à 18 h ne signifient pas seulement aux résidents qu’ils sont désormais hors de la société, ils induisent un jeûne nocturne interminable. Or, l’organisme des personnes âgées ne gérant pas bien les apports en sucre, un jeûne prolongé augmente les risques d’hypoglycémie. C’est pourquoi tous les comités d’experts recommandent qu’il ne dépasse pas douze heures. Prescription ignorée dans quatre établissements sur cinq. Manifestement, les impératifs de gestion du personnel passent avant le bien-être des seniors. Étoffer les équipes permettrait de remédier à ce problème et d’offrir aux personnes les plus dépendantes le temps et l’attention qu’elles méritent. Mais cela renchérirait le prix de journée, déjà très élevé. La question du financement est, comme souvent, centrale. Prévenir la dénutrition n’est pas payant pour les maisons de retraite ; en revanche, soigner ses conséquences l’est, car les subventions sont basées sur les besoins en soins des résidents.

Des chiffres qui disent les manques

18 h 25 : en moyenne, l’heure à laquelle est servi le dîner.
Le record : 17 h 45.

Plus de 12 heures : la durée du jeûne nocturne dans 80 % des établissements, alors que l’organisme des seniors supporte mal de tels délais.
70 % : le pourcentage ­d’établissements qui proposent, sur demande, un régime allégé. Absurde quand la difficulté est de faire suffisamment manger les résidents.
1 sur 4 : la proportion d’Ehpad dans lesquels aucun choix alternatif n’est proposé si le plat principal ne plaît pas.
80 % : Le pourcentage de réfectoires où la place est fixe pour chacun, un quart des personnes ayant du mal à changer si elle ne leur convient pas.

Choisir une maison de retraite

Les critères à prendre en compte

Lorsqu’on veut entrer en maison de retraite ou que l’on en cherche une pour un parent, le choix est rarement pléthorique. Mais si plusieurs possibilités s’offrent à vous, la façon dont est traitée la nutrition fait partie des critères importants. Demandez à consulter des menus pour estimer leur nature (plutôt bonne cuisine traditionnelle ou produits industriels sans rapport avec les habitudes des personnes âgées) et l’équilibre nutritionnel (avec une large place aux protéines, produits laitiers, fruits et légumes). Assurez-vous qu’un choix alternatif est proposé, au moins pour le plat principal, si celui prévu par le menu ne convient pas. Les résidents doivent d’ailleurs, en principe, remplir une fiche de goûts à l’entrée. Pouvoir choisir sa place à table fait aussi partie des détails qui changent tout quand on peut tenir une conversation. La présence d’une commission des menus incluant les résidents est un signe de bonne volonté de la part de la direction. Côté surveillance, un bilan nutritionnel et bucco-dentaire devrait être établi à l’entrée, puis un suivi mensuel assuré. Le recours régulier à un diététicien est souhaitable.

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