jeudi 12 février 2015

Les enfants hyperactifs, sujets troublants

ERIC FAVEREAU

Oyez, la nouvelle est de taille, on a trouvé une nouvelle maladie : le TDAH, pour dire «trouble du déficit de l’attention-hyperactivité». Ce jeudi, en effet, la Haute Autorité de santé (HAS) rend publiques ses recommandations sur la prise en charge de ce que l’on appelle plus communément «les enfants agités». Certes la HAS ne dit pas que c’est une maladie, mais un conglomérat de trois symptômes. Au bout du bout, il y a un médicament qui marche : la Ritaline qui fait déjà fureur aux Etats-Unis où plus de 10% des enfants en reçoivent.
On pourrait en sourire, mais le sujet est crucial car il pose des questions essentielles. Un enfant agité est-il un enfant malade ? Faut-il lui donner un traitement ? Que faire, aussi, d’un enfant qui manque d’attention, ou qui est trop impulsif ? Souffre-t-il, lui aussi ? Et la Ritaline ? Ne va-t-elle pas envahir les cerveaux de nos ados pour la seule tranquillité des parents ? Plus généralement, que penser de cette tendance à médicaliser les comportements un peu dérangeants ?

Ce débat (lire page ci-contre) est d’autant plus vif qu’il fait suite à deux épisodes majeurs posant des questions voisines ces dernières années. D’abord, il y a eu la guerre autour de la prise en charge de l’autisme ; des associations de parents se sentant délaissés et surtout culpabilisés ont violemment attaqué le monde de la psychanalyse. Plus récemment a explosé le débat sur l’arrivée du DSM - 5, cette nouvelle classification américaine des maladies mentales, qui, l’air de rien, transformait le moindre mal de vivre en pathologie à traiter. Et c’est d’ailleurs en lien direct avec cette classification qu’est apparue la question du trouble de l’activité chez l’enfant et l’ado.
Amphétamines. Alors, le TDAH, maladie ou pas ? De fait, la Haute Autorité de santé, qui avait été prise à partie sur le dossier de l’autisme, était très attendue sur cette question. Aux Etats-Unis, depuis une vingtaine d’années, se développe de façon exponentielle la prescription de Ritaline, ce médicament de la classe des amphétamines qui, pour des raisons non expliquées, semble calmer les enfants. La consommation y est devenue massive : 11% des jeunes d’âge scolaire sont diagnostiqués agités et sont presque automatiquement traités avec ce médicament. «L’inflation de ce diagnostic est une des confirmations de la surmédicalisation en pédopsychiatrie. Tout devient pathologique», se plaint une partie des pédopsychiatres français. Qu’allait donc faire la HAS dans le cas des enfants agités ? Succomber au tout-Ritaline ? Rappelons que le trouble du déficit de l’attention-hyperactivité est un objet mal identifié. On le caractérise par une association de symptômes, comme le déficit d’attention, l’hyperactivité motrice, l’impulsivité.
De ce fait, sa prévalence, en France, varie en fonction de la méthode de diagnostic et des critères de mesure. Des études parlent de 3,6% des enfants concernés, d’autres de 7%. Pour autant, il n’y a aucune preuve d’une cause biologique, pas non plus d’anomalie caractéristique à l’imagerie cérébrale, ni de marqueur génétique reconnu.
Devant tout ce flou, la HAS s’est, de fait, montrée ouverte. Elle a pris son temps. Elle a réuni un groupe de travail pour tenter de rédiger des recommandations «destinées aux médecins de premier recours, en particulier les médecins généralistes et les pédiatres». Puis elle a fait un travail de «démocratie sanitaire» , recueillant «l’avis des divers organismes, associations et institutions se sentant parties prenantes dans un contexte de repérage d’un enfant ou d’un adolescent susceptible d’avoir un trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité».

«Accessibilité». Des recommandations sont nées, qui sont donc rendues publiques. Aucun diktat. Certes, le TDAH n’est pas une maladie, mais la HAS lui donne une existence formelle. «Aucune prise en charge n’a, à ce jour, un niveau de preuve suffisante», prévient la HAS, qui ajoute : «La prise en charge non médicamenteuse comporte des mesures psychologiques, éducatives et sociales… Le choix de ces prises en charge est à ajuster en fonction de leurs conditions d’accessibilité, certaines ne sont pas disponibles sur tout le territoire, et d’autres ne sont pas financièrement supportées par la collectivité.»
Quid de l’usage de la Ritaline ? Sur le papier, pas de changement. Il doit être contrôlé : «La prescription initiale doit être faite par un spécialiste.»Un médecin généraliste ne pourra donc pas la prescrire. Et «en cas d’absence d’amélioration après un mois, le traitement doit être interrompu». En clair, du bon sens clinique. Mais ces réserves seront-elles suffisantes pour éviter une prescription qui, d’année en année, ira en augmentant en France ?

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