lundi 19 janvier 2015

Des peines très sévères pour apologie du terrorisme

LE MONDE |  | Par 

« Soit il est complètement fou, soit il est dangereux », avait observé la procureure à propos d’Oussama Belour, jugé jeudi 15 janvier en comparution immédiate devant le tribunal correctionnel de Paris. Ressortissant algérien, marié et père de famille en Allemagne où il travaille et dispose d’un titre de séjour régulier, il a été arrêté à Paris pour défaut de papiers.

Placé au centre de rétention de Vincennes, il a copieusement insulté les policiers – « Fuck la police, fuck la France » –, imité le cliquetis d’une mitraillette en les regardant « d’un air provocateur », puis s’en est pris à la femme médecin chargée de l’examiner, « tu as les yeux bleus, tu es juive, Hitler n’a pas fini son travail, je reviendrai te tuer », avant d’agonir à nouveau d’injures l’escorte qui le ramenait au centre, « les frères Kouachi ont raison, je les soutiens, je vais mettre une bombe sur les Champs-Elysées ».


Entre la folie et le danger, la procureure a retenu la deuxième option et a requis deux ans d’emprisonnement ferme pour injures, menaces de mort et apologie du terrorisme. Le tribunal a suivi, qui l’a condamné à quinze mois ferme avec mandat de dépôt à l’audience.


Lourds antécédents psychiatriques


Dans la chambre voisine, le même jour, a été jugé un homme aux lourds antécédents psychiatriques, qui s’autoproclamait fils de Ben Laden. Résumant le rapport de l’expert qui l’a examiné, la présidente a relevé : « En clair, il dit que vous ne comprenez rien et que vous dites n’importe quoi. » Le procureur a émis quelques doutes à propos du prévenu, « sa place n’est peut-être pas en prison », mais a tout de même requis quatre mois d’emprisonnement. Le tribunal en a retenu trois, là encore avec mandat de dépôt.

Le suivant était alcoolique et toxicomane, il avait déjà un casier judiciaire, il a lancé aux policiers qui l’arrêtaient : « Sales Français, mangeurs de porcs, on va vous tuer et, d’ailleurs, on a commencé. » Il a présenté ses excuses en affirmant qu’il avait participé à la manifestation du 11 janvier. Son avocat a mis en garde le tribunal contre le danger de la radicalisation en prison, il a été condamné à quatorze mois d’emprisonnement.

Quelques jours plus tôt, au tribunal de Bourgoin-Jallieu (Isère), une peine de six mois ferme a été prononcée contre un homme souffrant lui aussi de déficience mentale, qui avait déclaré devant des policiers : « Ils ont tué “Charlie”, moi, j’ai bien rigolé. » A Nantes, une adolescente de 14 ans qui, dans le tramway, avait menacé les contrôleurs de « sortir les kalachnikovs » a été mise en examen pour « apologie du terrorisme » par le juge des enfants.

Depuis le 7 janvier, plusieurs dizaines de personnes ont été interpellées et renvoyées devant les tribunaux pour ce délit d’« apologie du terrorisme », passible de cinq d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende depuis la loi votée en novembre 2014, et qui peut être porté à sept ans et 100 000 euros d’amende si l’infraction est commise sur « un service de communication au public en ligne », c’est-à-dire sur Internet. En vertu de la nouvelle loi, ce délit n’entre plus dans le cadre de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais dans celui du code pénal, ce qui permet d’accélérer la procédure et autorise le placement immédiat en détention, impossible auparavant.


La France mise en garde par Amnesty International


Appliquant à la lettre la circulaire qui leur a été adressée le 12 janvier par la chancellerie et qui leur demande de se montrer « particulièrement réactifs et fermes » face à des propos de nature « raciste, antisémite ou [tendant] à provoquer des comportements haineux, violents, discriminatoires ou terroristes », les représentants des parquets requièrent de lourdes condamnations, souvent suivies par les juges.

La multiplication des procédures et le prononcé quasi systématique de peines d’emprisonnement ont d’ores et déjà suscité de vives protestations. « Le gouvernement est en train de profiter de l’affaire Charlie pour faire emprisonner pour des mots. Tout va bien », note l’avocat et célèbre blogueur Maître Eolas.

Amnesty International a pour sa part lancé une mise en garde aux autorités judiciaires françaises contre la notion « trop vague » d’apologie du terrorisme. « Le risque est grand que ces arrestations violent la liberté d’expression », estime l’association dans un communiqué publié le 16 janvier, en rappelant que « la liberté d’expression ne doit pas être réservée à certains. L’heure n’est pas à l’ouverture de procédures inspirées par des réactions à chaud, mais bien plutôt à la mise en place de mesures réfléchies qui protègent des vies et respectent les droits de tous ».

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