vendredi 12 décembre 2014

Le rythme des temps qui changent

Le Monde.fr  | Par 

Le débat sur le travail du dimanche le montre une nouvelle fois : la modernité s’accompagne d’une désynchronisation croissante des temps sociaux. Les grands rythmes collectifs d’antan ont fait place à une individualisation des temps de vie – horaires décalés, allongement des temps de transport, augmentation des activités de loisirs, flexibilité du travail. La revue Esprit a décidé de se pencher sur ces nouveaux « territoires du temps ». Les politiques temporelles sont fondamentales, dit Alice Béja dans la présentation de cet excellent dossier, « si l’on veut considérer la société, non plus comme l’alignement de tous sur un rythme unique, mais comme une articulation des temps de chacun dans des espaces parfois conflictuels ».


Le temps est d’abord un rythme naturel, comme le rappelle le philosophe Thierry Paquot. Cycle des végétaux, rythme des saisons, alternance de la veille et du sommeil : les chronobiologistes insistent sur l’importance de nos « horloges biologiques ». S’y ajoute la « discipline horlogère » des temps modernes : en France, l’heure nationale a été promulguée en 1891, et vingt ans plus tard, la majorité des Etats ont adopté l’heure de Greenwich et les fuseaux horaires. « Si ce siècle, écrit Thierry Paquot, a été, du moins dans les pays industrialisés, celui de l’emploi du temps et de son corollaire, l’agenda, le XXIe siècle connaît leur dérèglement au nom de la flexibilité, nouvelle divinité du capitalisme dorénavantliquide. »


« Un enjeu fondamental »


Pour tenter de penser ces rythmes déstructurés, de nombreuses villes européennes ont, depuis la fin des années 1990, instauré un « bureau des temps ». Dans un article, Sandra Mallet, maître de conférences en aménagement et urbanisme à l’université de Reims, analyse le contenu des « politiques temporelles » qu’elles ont mises en place – lutte contre la rigidité des horaires traditionnels des administrations, regroupement des services afin de limiter les temps de déplacement, etc. « Penser le temps en urbanisme est devenu essentiel, dit-elle. L’urbanisme chronotopique est devenu un enjeu fondamental pour les villes de demain, mais peine à émerger. »

Ce numéro d’Esprit comprend un article du géographe Luc Gwiazdzinski sur la nuit urbaine, qui n’est plus la « période d’obscurité complète symbolisée par le couvre-feu, la fermeture des portes de la cité et le repos social » de jadis, et une critique argumentée de la théorie de l’accélération du sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa : selon le géographe Michel Lussault, la course à la vitesse de déplacement n’a pas fait disparaître l’espace « réel ». « Accepter la mobilité sans céder ni à la précarité ni à l’urgence, ménager son temps, trouver des articulations entre les différents rythmes de sociétés qui peuvent sembler de plus en plus morcelées et individualistes, le défi est grand », conclut Alice Béja.

Esprit « Changer de rythme » Editions Esprit, 160p., n° 410, décembre 2014, 20 euros.

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