dimanche 5 octobre 2014

Des experts préconisent la fin de la liberté d’installation des médecins et la démocratisation des facs de médecine

04.10.2014

« La France ne manque pas de médecins. Il n’y a en jamais eu autant dans notre pays ! Elle occupe la première place en Europe pour le nombre de généralistes par habitant… » La dernière livraison des Cahiers de droit de la santé contient une contribution* un rien iconoclaste, à rebours de l’opinion dominante concernant la pénurie de médecins. Constat qui n’empêche pas les spécialistes du droit de la santé qui signent cet article de tirer eux aussi la sonnette d’alarme. Au point de plaider, à l’instar de nombreux rapports parlementaires (tels les rapports Vigier et Maurey ou d’autres initiatives plus individuelles encore) ces dernières années, pour une remise en cause de la liberté d’installation.

En effet, pour Antoine Leca, Caroline Berland-Benhaim et Jean-Philippe Agresti -trois juristes du Centre de droit de la santé d’Aix- Marseille- ce n’est pas parce qu’il y a assez de praticiens qu’il n’y a pas de crise démographique. Et de s’arrêter sur un constat connu : le déséquilibre croissant de répartition de l’offre de soins selon les zones géographiques. « Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle devrait s’aggraver. En effet, la population médicale qui est âgée va inéluctablement diminuer dans les années qui viennent, » s’inquiètent-ils.

Les incitations, ça ne marche pas

Les trois auteurs passent ensuite en revue les diverses incitations mises en place ces dernières années pour tenter de rééquilibrer les zones sous-denses. Le bonus de rémunération de 20% instaurée en 2005 ? Mesure «très coûteuse » et finalement abandonnée… Le Contrat d’engagement de service public (CESP) ? « A peine 350 contrats ont été signés », depuis la loi HPST qui le mettait en place… Dernière trouvaille, le statut de Praticien territorial de médecine générale (PTMG) de Marisol Touraine les laisse dubitatifs : « certes l’objectif de 200 contrats aurait été atteint fin 2013, mais il n’est pas certain qu’il ait corrigé les déséquilibres qu’il avait pour mission de réduire : un seul médecin aurait signé en Limousin pour 24 recrues en Rhône-Alpes »…

Des incitations qui ne marchent guère… Qui aboutissent souvent à des effets d’aubaine... Pour les trois juristes, il est temps de passer à la vitesse supérieure. Et de s’attaquer à « un vestige historique extrêmement vivace » : la liberté d’installation des praticiens « qui leur permet d’exercer là où ils veulent comme ils le souhaitent, en dépit de la socialisation de leurs revenus par la sécurité sociale ». Ce réquisitoire vigoureux, ils le justifient notamment par le fait que nos deux grands voisins –Royaume-Uni et Allemagne- ont opté pour des méthodes dirigistes en matière d’implantation des médecins et que « les résultats sanitaires ne sont pas meilleurs » chez nous que « dans les pays qui, tels la Suède, ont régulé l’offre de soins. » Au passage, ils relèvent que le système libéral de l’Hexagone n’offre pas aux généralistes français les revenus que touchent nombre de leurs voisins. Mais surtout, Antoine Leca, Caroline Berland-Benhaim et Jean-Philippe Agresti concluent que « les impératifs sanitaires inclinent à imposer une régulation plus forte du maillage médical ».

S’inspirer du modèle infirmier

Si l’on suit les trois auteurs, le modèle infirmier avec des quotas d’installation en zones surdotées serait sans doute la voie à suivre pour les médecins, après qu’il ait déjà été imité pour les sages-femmes et les kinés. Ce type de prise de position en faveur de la régulation des installations devrait –comme d’habitude- être saluée par un tollé de la part des organisations de carabins et d’internes.

Une autre de leurs suggestions devrait aussi agacer les jeunes pousses de la médecine. Les auteurs de l’article expliquent en effet la désaffection pour les déserts médicaux (qu’ils soient de banlieue ou de campagne) par l’origine sociale des carabins « issus de milieux urbains et aisés », qui auraient de ce fait « peu d’appétence pour une installation dans une zone socialement défavorisée ». « Inévitablement, il faudra repenser l’accès aux études médicales », martèlent-ils. Selon eux en effet, « si on a pu assister à une démocratisation de l’enseignement supérieur depuis trente ans, c’est le contraire en médecine, où les étudiants les plus nombreux viennent des classes favorisées des grandes villes. »
*« Déserts médicaux : réflexion sur un maillage sanitaire irrationnel et incohérent ». Article publié dans « Les cahiers de droit de la santé n° 19 : « les déserts médicaux »). Editions Les Etudes Hospitalières

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire