vendredi 12 septembre 2014

Ma mère et les autres. Une exposition conçue par Pippo Delbono et Richard Laillier. La Maison rouge

L'exposition de Pippo Delbono à La Maison rouge à Paris.
La jeune femme sourit, mais ne parle pas. Elle est gracieuse, et intrigante. D'un signe, elle invite à descendre un petit escalier et à entrer dans le sous-sol de La Maison rouge, où vingt personnes, pas plus, se retrouvent toutes les heures, pour vivre un moment avec Pippo Delbono. Un moment où il parle de lui, comme souvent dans ses spectacles et ses films. Mais, cette fois, l'acteur et metteur en scène italien le fait d'une manière inédite : à travers une exposition, « Ma mère et les autres ». Il ne les aime pourtant pas beaucoup, les expositions, comme il le dit en voix off, parce qu'il trouve que les gens y sont trop seuls.
LIEU DE MÉMOIRE FRAGILE
C'est pour cela que la sienne se visite en groupe, et qu'une jeune femme, la comédienne Muranyi Kovacs, joue l'accompagnatrice en ce lieu de mémoire fragile, touchant et archaïque, qui est organisé comme l'imaginaient les Anciens : pour eux, la mémoire était une maison, où chaque pièce renfermait les souvenirs, selon leur teneur et leur ancienneté. Pour y accéder, il fallait pousser des portes, et l'on allait ainsi dans son passé, de seuil en seuil.
A La Maison rouge, ce sont des rideaux de plastique qui délimitent des espaces. Le premier est une petite pièce, avec une table à laquelle chacun est invité à s'asseoir. Au bout, il y a un vieux poste de télévision, avec une antenne, et rien : pas d'images, si ce n'est une sorte de neige chahutée qui brouille l'écran. Pippo raconte que, quand il est arrivé à l'hôpital psychiatrique d'Aversa, près de Naples, il a vu des gens qui regardaient, seuls, une petite télévision comme celle-ci. C'était dans les années 1990, il allait très mal, et son psychiatre lui avait conseillé de faire un stage avec des internés. Parmi eux, il y avait Bobo, qui vivait depuis plus de quarante-cinq ans dans cet endroit terrible. Bobo, microcéphale, sourd et muet. Bobo, qui était comme un enfant, et dont Pippo dit qu'il l'a sauvé.
L'exposition de Pippo Delbono à La Maison rouge à Paris.
LA DOUCEUR D'UNE CONSOLATION
Cette histoire est bien connue de tous ceux qui ont vu les films et les spectacles de Pippo Delbono, où souvent Bobo joue. Sa présence extraordinaire et son art de toujours faire un geste comme si c'était la première fois en ont fait une star. Mais Bobo, c'est aussi celui qui, une nuit où Pippo restait prostré dans un fauteuil, après la mort de sa mère, est venu près de lui, poussant de petits cris pour lui redonner le désir de vivre. Cela, que Pippo raconte de sa voix qui est avant tout un souffle, et sait être aussi belle que celle de Carmelo Bene, nous mène dans la deuxième pièce de la maison de la mémoire.
Là, nous regardons un extrait de Sangue, le dernier long-métrage de Pippo Delbono, consacré précisément à la mort de Margherita Delbono, en 2012. Elle est à l'hôpital, on voit son visage dans l'oreiller. Seuls une mère et son fils, dont l'histoire fut aussi terrible qu'aimante, peuvent se parler comme ils le font alors. Seuls Pippo Delbono et son amie Sophie Calle – qui l'a fait avec sa mère – montrent de cette manière la mort à l'œuvre. Pour certains, ce passage où Pippo Delbono caresse les doigts gris de sa « mamma » relève d'une impudeur détestable. Pour d'autres, il a la douceur d'une consolation. « Ne pleure pas, je ne t'ai pas abandonné, je t'ai seulement précédé », fait dire Pippo Delbono à sa mère, en citant saint Augustin. Comment ne pas l'entendre ?
LE VENT DE LA VIE, PLUS FORT QUE TOUT
Car ainsi va la vie, comme toujours, chez Pippo Delbono. Elle touche chacun en son intimité, révolte ou apaise. Elle peut aussi faire verser des larmes, comme dans la suite de l'exposition. Ne racontons pas tout, il suffit de savoir que l'on revient à Bobo, et qu'on le voit filmé, à un moment, à l'arrière d'une Vespa conduite par son Pippo. Ils viennent de quitter l'asile où ils sont retournés. Il y a des cailloux sur le chemin et des arbres autour.
Mais ce n'est pas le plus important : le plus important, c'est la Vespa, qui rappelle celle de Journal intime, le film de Nanni Moretti, avec cette séquence inoubliable où le cinéaste roule vers la plage d'Ostie où Pasolini a été assassiné. Il n'y a pas de mots, on entend le Köln Concert de Keith Jarrett. Dans « Ma mère et les autres », c'est pareil : la Vespa, c'est le vent de la vie, plus fort que tout.

Ma mère et les autres. Une exposition conçue par Pippo Delbono et Richard Laillier. La Maison rouge, 10, boulevard de la Bastille, Paris 12e. Tél. : 01-40-01-08-81. 6 € et 9 €. Du mercredi au dimanche, de 11 h 30 à 19 heures ; nocturne le jeudi jusqu'à 21 heures. Jusqu'au 21 septembre, et samedi 4 octobre, de 19 heures à 3 heures, dans le cadre de la Nuit blanche. www.lamaisonrouge.org

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