vendredi 15 août 2014

Les TOC de l'époque, les privations volontaires

M le magazine du Monde | Par 
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 « Cette année, je suis pratiquement devenu végétarien, car la seule viande que je mange vient d'animaux que j'ai tués moi-même », déclarait le patron de Facebook en avril. Au-delà des interrogations que soulève l'emploi du « pratiquement » (un poisson pêché ? un bison chassé ?), l'annonce de Mark Zuckerberg pose une autre question : peut-on tenir une bonne résolution par an ? Car Zuckerberg explique qu'il a pris l'habitude de se lancer un défi pour l'année. En 2010, c'était d'apprendre le chinois.
D'autres se sont déjà imposé des règles annuelles. Ils en ont d'ailleurs fait des livres. L'Américaine Sara Bongiorni a tenté, avec sa famille, de passer un an sans acheter d'objets made in China.C'est en lisant un article sur cette expérience qu'Adrien Gontier, un thésard en géochimie de 28 ans, s'est promis de ne pas consommer de produits à base d'huile de palme pendant un an. Ardu. « Ce n'est pas comme le gluten, qu'on ne cherche que dans l'alimentaire. L'huile de palme est aussi employée en cosmétique ou dans les produits d'entretien... »
UN MOIS SANS S'ASSEOIR, UN AN SANS INTERNET
Le journaliste américain Dan Kois était également dans une logique expérimentale, quand, après avoir lu que rester assis n'était pas bon pour la santé, il a décidé de passer un mois sans s'asseoir (sauf parfois pour conduire et pour aller aux toilettes, puisque vous alliez vous poser la question). Il en a tiré d'horribles douleurs et de sévères difficultés sociales (entre autres, au cinéma ou pour lire une histoire le soir à ses enfants).

Quant à Paul Miller – encore un Américain –, convaincu qu'il passait à côté de sa vie à force de perdre son temps sur Internet, il a choisi de ne pas s'y connecter pendant un an. La dernière fois qu'il avait vécu sans, il avait 12 ans. Il allait donc retrouver son imagination d'enfant. Il profiterait de cette année pour lire des livres et même en écrire. A la fin de l'année, il comprendrait mieux le mal qu'Internet cause à nos vies, se disait-il encore. Et effectivement, il a repris son vélo, est sorti jouer au frisbee, a acheté des cartes routières, et ouvert sa boîte aux lettres au lieu de sa boîte e-mail.
On peut lire aussi The Year of Living Biblically, le livre d'A. J. Jacobs, l'homme qui s'est efforcé de suivre les Dix Commandements et autres principes bibliques pendant un an, ou celui de Colin Beavan, alias No Impact Man, qui a durant un an tenté de réduire au minimum son empreinte carbone. Pas de transport motorisé, pas d'ascenseur pour rentrer chez lui au 9eétage, soirées aux chandelles à volonté. Il y a parfois quelque chose d'un peu décadent, quand d'autres manquent de tant, à voir des gens qui ont tout se demander ce dont ils pourraient s'amuser à se priver durant un an (et comment en faire un article, un blog ou un livre).
CHANGER PAR PETITES TOUCHES
Et que s'est-il passé le 366e jour ? Se sont-ils jetés sur l'huile de palme, le made in China, leur chaise ou Internet ? Adrien Gontier tient bon. Le 13 juillet, il a distraitement acheté de la lessive avec de l'huile de palme. Et quand il est invité chez des amis, il ne va plus vérifier les étiquettes en cuisine. Dan Kois reconnaît passer un peu plus de temps à la verticale aujourd'hui qu'avant son expérience d'un mois debout. « En général, changer par petites touches, c'est bien plus facile et surtout plus intelligent que d'entreprendre un tournant radical et dramatique », répond-il.
Mais sur le court terme, une interdiction draconienne est plus aisée à suivre. On a plus de chances de réussir à arrêter de fumer à 100 % qu'à 99 %. C'est pour cette raison que les gens qui n'arrivent pas à rester minces avec des règles nuancées comme « manger avec modération » obtiennent des résultats (à court terme, du moins) avec des diktats comme ceux du régime Dukan, type protéines un jour, protéines et légumes le lendemain. Les experts de la bonne résolution ont d'ailleurs établi que, pour obtenir des résultats, il vaut mieux se fixer une habitude de comportement (ne pas acheter d'huile de palme) qu'un objectif (respecter l'environnement).
« J'avais lu qu'il fallait quatre semaines pour prendre une bonne habitude... », raconte Mary Carlomagno, auteure de Give it up! My Year of Learning to Live Better with Less (« Mon année à apprendre à vivre mieux avec moins ») qui s'était fixé de renoncer à douze choses pendant les douze mois de l'année. Elle a naturellement commencé par l'alcool. « Parce que le 1er janvier c'est le jour où on se dit "plus jamais je ne boirai". » Puis le shopping, parce que février est un mois court. « Pour que ça marche, il faut se concentrer sur une chose à la fois », explique-t-elle aujourd'hui.
GRATIFICATION IMMÉDIATE
Les recherches sur le sujet le confirment. C'est dans le cortex préfrontal que réside la volonté, et celui-ci est déjà débordé par toutes les fonctions qu'il a à gérer simultanément. Professeur d'économie comportementale à l'université Stanford, en Californie, Baba Shiv a conduit une expérience auprès d'étudiants. Certains ont eu sept chiffres à mémoriser, d'autres deux. Après une petite marche, on leur a proposé un snack : fruit ou gâteau au chocolat. Ceux qui devaient garder en tête sept numéros étaient deux fois plus nombreux à choisir le gâteau. Le cerveau ne peut pas être sur tous les fronts. Mobilisé par une tâche cognitive, il succombe plus facilement à une gratification immédiate, en conclut le chercheur.
De ses expériences, A. J. Jacobs a gardé certains plis, en a perdu d'autres. « De mon année selon la Bible, j'ai conservé la gratitude, l'habitude de remercier cent fois par jour pour des petites choses. L'ascenseur arrive et je suis reconnaissant de voir les portes s'ouvrir. Je monte dedans et je me réjouis qu'il ne s'écrase pas...», nous écrit-il depuis son bureau fixé sur tapis de course adopté lors de son « année de la santé ».

Paul Miller, lui, s'est reconnecté. Pire, il est revenu déçu de son expérience, concluant qu'il en attendait trop. Après quelques mois sans Internet, il a finalement rangé son frisbee, son vélo et ses cartes routières et a trouvé d'autres façons de procrastiner sur son canapé. Mais il s'est surtout fatigué de ne vivre sa vie qu'à travers le prisme « à quoi ressemble ma vie sans Internet ». Dans un petit film réalisé sur son expérience, il explique : « J'ai compris qu'Internet n'est pas une entreprise individuelle, c'est quelque chose qu'on fait ensemble. L'année prochaine, je m'intéresserai aux autres. » En voilà une bonne résolution…

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