jeudi 14 août 2014

« Le bronzage est une drogue dure »

14/08/2014
Crédit photo : S. Toubon
Cliché, recette de grand-mère ou lieu commun, « le Quotidien », avec l’aide de quelques experts, s’attaque aux idées reçues en matière de santé et de bien-être estival.
C’est une inversion des valeurs et des comportements qui s’est déclarée dans les pays occidentaux au cours de la seconde moitié du vingtième siècle. Jusqu’alors, la peau claire était réputée plus séduisante que la peau bronzée, elle était l’apanage d’un statut social supérieur. Depuis, c’est le teint hâlé qui est recherché toute l’année, diffusant une image saine, esthétique et désirable.
Les adeptes du bronzage, pour ne pas dire ses addicts, s’exposent aux rayons UV, naturels et artificiels, au mépris de ses effets négatifs : accélération du creusement des rides, vieillissement cutané prématuré, apparition de tâches. Et surtout recrudescence de l’augmentation de fréquence des cancers de la peau. Le plaisir de la bronzette est plus fort que l’information sur la prévalence des mélanomes. Et que l’édiction de mesures réglementaires restrictives adoptées à l’encontre de l’industrie des cabines UV.

Comme à chaque fois que la notion subjective de plaisir s’accompagne d’une mise en danger objective, comme pour la consommation d’alcool ou de tabac, l’application du concept d’addiction comportementale est évoquée. Bronzer serait même une drogue dure.
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Jusqu’à 19 % des Français sont passés au moins une fois dans une cabine de bronzage ; 26 % des Américains ont été considérés comme « dépendants au bronzage » ; la prévalence de l’addiction au bronzage touche 10 à 25 % des adolescents selon les publications («Alcoologie et Addictologie » sept. 2011, 259-264).
Une étude randomisée a été effectuée sur 16 sujets volontaires âgés de 18 à 34 ans, 8 pratiquant régulièrement le bronzage (8 à 15 séances par mois) et 8 rarement (moins de 12 séances par an). Ils ont reçu en double insu après tirage au sort, d’une part des doses croissantes denaltrexone ou de placebo ; d’autre part, des expositions en cabine diffusant de la lumière avec ou sans UVLes bronzeurs réguliers préféraient les vrais UV au placebo d’UV de manière plus marquée que les bronzeurs occasionnels. Et surtout, 4 des 8 bronzeurs réguliers ont présenté des symptômes de sevrage sous naltrexone contre aucun des 8 bronzeurs occasionnels.
Ces résultats suggèrent que l’addiction au bronzage pourrait impliquer des circuits neurobiologiques communs à d’autres addictions, avec apparition d’un syndrome de sevrage sous antagoniste des récepteurs aux opiacés. De plus, l’effet recherché par les patients lors des séances serait lié aux UV eux-mêmes, c’est-à-dire un stimulus physique plutôt que psychique, les séances en cabine sans UV étant reconnues comme moins agréables en double insu (Kaur et All., J Am Acad Dermatol2006;54 :709-11).
Une étude chez la souris a confirmé qu’il existe bel et bien un circuitopiacé lié aux UV, avec libération de bêta-endorphine après des bains de soleil répétés et survenue d’authentiques syndromes de sevrage à l’arrêt (Cell, voir « le Quotidien » du 20 juin).
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Pr Michel Lejoyeux, psychiatre addictologue (Hôpital Bichat)
« Certains patients ont un comportement aberrant à l’égard de l’exposition aux UV, avec une mise en danger indiscutableet on retrouve chez eux un tableau comportemental qui colle très bien aux critères de dépendance addictives : nécessité d’augmenter le temps consacré au bronzage, malaise en cas d’interruption des expositions, perte de contrôle par rapport au programme initial, compulsion au détriment d’autres activités de loisirs, persistance du comportement en dépit de l’information sur les risques encourus.
Pour autant, cette recherche pathologique du bronzage reste discutée en tant qu’addiction et elle ne figure pas au DSM V. Mais ce qui importe, au-delà de la nomenclature, c’est la prise en charge de ces patients qui se mettent en danger. Aujourd’hui, ce sont les dermatologues qui sont en première ligne, les suivis en service de psychiatrie restant extrêmement marginaux. La prise de conscience est émergente. Elle n’a rien de castratrice, les médecins ne remettent pas en question le plaisir biologique, psychologique et socialement rassurant de se mettre au soleil. Ils alertent sur la réalité des risques pris, alors que la prévalencedes mélanomes est en constante augmentation. »
Christian Delahaye

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