mercredi 6 août 2014

Fab Labs : la grande bidouille

Fab Labs : la grande bidouille

30 juin 2013

 Pas besoin d’être ingénieur pour réparer son ordi ou fabriquer son vélo. Plans et machines sont mis à la disposition de tous sur le Web et dans des ateliers mécanico-numériques qui commencent à essaimer en France.



«Do it yourself, do it with others» («faites-le vous-même, faites-le avec les autres») : telle est la devise des Fab Labs, ou Fabrication Laboratories. Vous n’en avez jamais entendu parler ? Normal, le mouvement est encore underground. Créés il y a une dizaine d’années au Massachusetts Institute of Technology (MIT) par Neil Gershenfeld, un professeur de physique qui proposait un cours de prototypage rapide intitulé «comment fabriquer (à peu près) n’importe quoi», les Fab Labs sont les ateliers de fabrication communautaires de l’ère numérique. Leur objectif ? Donner à ceux qui ne sont ni ingénieurs, ni designers, ni même geeks les moyens de fabriquer toutes sortes d’objets manufacturés comme à l’usine. Et ce, en mettant gratuitement à leur disposition le savoir, les procédés et la technologie nécessaires.
Des plans en open source, quelques machines-outils à commande numérique, un peu d’apprentissage collectif, beaucoup de patience et d’ingéniosité… et voilà un meuble sur mesure, une pièce pour réparer sa machine à laver ou carrément le prototype d’un vélo électrique !


Les Fab Labs se sont mis en tête de transposer au vieux monde industriel la philosophie ouverte et collaborative du logiciel libre. Chris Anderson, ancien rédacteur en chef de Wired, la bible des technofans américains, voit en eux «la prochaine révolution industrielle», celle du XXIe siècle (lire ci-contre). Plus de problèmes de brevets dès lors que les plans et les spécifications d’un fauteuil design ou d’un ampli hi-fi sont mis gratuitement à disposition de tous. N’importe quel bricolo-bidouilleur peut transformer son garage en atelier pour fabriquer l’objet dont il a besoin.
Mais les Fab Labs sont avant tout une expérience collective basée sur le partage de connaissances à l’échelle locale ou planétaire : un objet peut être conçu dans un Fab Lab, fabriqué dans un autre… et amélioré dans un troisième. Pour obtenir le label «Fab Lab», il faut adhérer à la charte du Center for Bits and Atoms, créé en 2001 au MIT, et surtout posséder les machines-outils adéquates : fraiseuse de précision, perceuse à colonne, découpeuse laser… Les imprimantes 3D nourrissent bien des fantasmes (EcoFuturdu 1er octobre) mais ne sont guère prisées dans les Fab Labs en raison de leurs capacités limitées : l’impression est lente et elles sont cantonnées au plastique.
Marginal en France, le mouvement commence à essaimer : il existe déjà cinq Fab Labs dans l’Hexagone, et vingt-quatre autres se revendiquent comme tels sans avoir forcément reçu l’agrément du MIT ou l’avoir demandé. Du coup, le sujet intéresse le gouvernement en quête de solutions hétérodoxes pour relancer l’innovation et l’emploi en France. «Nous voulons polliniser le territoire avec des Fab Labs et lancer un grand mouvement d’alphabétisation numérique» : mardi à Bercy, Fleur Pellerin, la ministre déléguée à l’Economie numérique, a annoncé avec enthousiasme le lancement d’un appel à projets pour la création d’une dizaine de ces ateliers de fabrication numérique. La sélection devrait intervenir d’ici à mi-octobre. Reste à savoir à quoi serviront ces Fab Labs. Entre geekerie, projets de Géo Trouvetou, et applications concrètes sur le terrain,EcoFutur a passé en revue les usages potentiels.

Apprendre ensemble

La dimension éducative est gravée dans le marbre de la charte des Fab Labs : apprendre, mais surtout le faire ensemble. Vous ne devez pas déléguer la réalisation de votre projet à un utilisateur plus aguerri, mais acquérir les compétences grâce aux membres de la communauté. Le rôle des Fab Labs manager n’est pas seulement de jouer aux profs couteaux-suisses mais aussi de vous aiguiller vers les personnes-ressources. Des ateliers de découpe laser sont par exemple organisés.
Les Fab Labs valorisent l’apprentissage par la pratique, alors que notre système scolaire a tendance à favoriser les savoirs théoriques. Des programmes comme FabLab@School introduisent cette vision de l’apprentissage au sein des écoles. On peut s’en servir aussi pour faire de la médiation scientifique, comme au centre de sciences de Grenoble. «En collaboration avec le service médiation, nous organisons des ateliers pour le grand public : comment faire des haut-parleurs ou des sténopés, un système pour prendre des photos,témoignent Jean-Michel Molenaar, Fab Lab manager, et Catherine Demarcq, responsable animation. Nous sensibilisons aussi les professeurs pour qu’ils montent des projets interdisciplinaires. Certains ont fait des manèges avec des petits, des jeux mathématiques, une camera obscura ou une maquette d’escalier au collège.»
Les Fab Labs commencent aussi à arriver dans les bibliothèques, comme une évolution logique de leurs missions. Dernière en date, et première dans une grande ville, la bibliothèque publique de Chicago, dans l’Illinois, s’apprête à ouvrir le sien.

Faire son prototype

Grâce aux machines en partage, il est possible de réaliser un prototype de projet. Cette proof of concept constitue une étape incontournable pour vérifier si une idée est viable. A Artilect, un Fab Lab pionnier installé à Toulouse, de jeunes ingénieurs ont développé une première version d’un robot maraîcher baptisé Naïo. Puis, ils ont fait une première levée de fonds via une collecte pour en poursuivre le développement. Car il est possible d’initier des activités commerciales dans un Fab Lab. Mais, comme le souligne la charte, dans certaines limites : «Elles ne doivent pas faire obstacle à l’accès ouvert. Elles doivent se développer au-delà du Lab plutôt qu’en son sein et bénéficier à leur tour aux inventeurs, aux Labs et aux réseaux qui ont contribué à leur succès.»
A Clermont-Ferrand, le projet de Fab Lab est poussé par une jeune habitante de la ville qui déplore que Pôle Emploi ne lui offre pas les mêmes possibilités pour développer un projet. Les Fab Labs pour recréer du tissu économique et de l’emploi ? Les Etats-Unis y croient. Un membre du Congrès américain vient de proposer un «National Fab Lab Network Act» pour développer un réseau en partenariat public-privé et, entre autres, «augmenter l’invention et l’innovation et créer des entreprises et des emplois».

Réparer plutôt qu’acheter

«Il s’agit de créer plutôt que de consommer», dit souvent Neil Gershenfeld. De fait, si les Fab Labs offrent la possibilité de créer des choses, ils permettent aussi de réparer des objets cassés ou de les améliorer : recoudre un vêtement, fabriquer une pièce cassée qui n’est plus disponible en service après-vente, etc. Cette dimension intéresse le gouvernement français qui a affirmé vouloir pousser le consommateur à «connaître les procédures de réparation des outils numériques (dont les électroménagers) pour répondre aux besoins des populations en difficulté».

Répondre aux besoins «non rentables»

Dans son livre Fab, Neil Gershenfeld raconte comment Haakon, un berger norvégien, a développé un système autrement plus efficace que la cloche pour suivre ses bêtes : celles-ci portent un collier émettant un signal radio qu’il reçoit dans sa ferme. Mais les pâturages proches du cercle polaire sont délaissés par les opérateurs, alors «Haakon a dû construire les infrastructures de télécommunication dont il avait besoin». Les industriels ne s’intéressent à un marché que s’ils y trouvent un intérêt économique, ce qui exclut les zones pauvres ou peu peuplées. Les Fab Labs sont une bonne piste pour répondre aux besoins jugés «non rentables», en relocalisant au passage une (micro) production.

Créer du lien social

«On ne parle que de machines, mais c’est un prétexte !» : Pascal Minguet, cocréateur du premier Fab Lab rural en France, à Biarne, dans le Jura, ne plaisante qu’à moitié. Les Fab Labs sont des lieux de rencontre, d’échange, de (ré)insertion, un nouvel avatar des maisons de quartier. «Nous sommes installés dans un village de 350 habitants qui n’a plus de café. Les gens viennent pour discuter, c’est l’occasion de faire des bouffes. Un modéliste ferroviaire travaille maintenant avec son voisin, ils ignoraient qu’ils avaient une passion commune. Ils font des ateliers et aident les autres. On organise du covoiturage lorsque nous montons des Fab Labs temporaires. Des gens viennent faire leur CV, on s’appuie sur une association dont le but est de former au numérique», témoigne Pascal.
Le constat vaut aussi dans les villes. Un chômeur ou un retraité peut proposer des ateliers et mettre en valeur ses connaissances et compétences. Une façon aussi de retrouver une place dans la société. Au Fac Lab, le Fab Lab de l’université de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), Josiane, la cinquantaine et des doigts de fée, donne des cours de couture et accompagne qui veut sur des projets : «Je suis dans une communauté où je peux donner un coup de main, pour le plaisir de partager et de transmettre. C’est le lieu qui me convient. Il n’y a pas de jugement de valeurs et moins de tensions que dans le secteur associatif.» En retour, elle a appris à se servir de la découpe laser pour faire une petite série de pochettes en cuir sur lesquelles Fleur Pellerin a flashé lors de sa visite.

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