lundi 7 juillet 2014

Bon sang ne saurait faiblir

LE MONDE | Par 
Ni ordre ni caste, la classe (sociale) n’a pas de frontières bien définie. Les passages d’une classe à une autre sont possibles et la mobilité sociale fait partie des sociétés de classes. Mais quelle est son ampleur, se demandent, depuis plus d’un siècle, les sociologues ?
S’il est un domaine extrêmement technique de la sociologie, c’est bien l’étude de la mobilité sociale. Les articles relient le plus fréquemment deux générations, pour déceler la relation entre la position sociale des parents et de leurs enfants au même âge.
Dans The Son Also Rises. Surnames and the History of Social Mobility  (Princeton University Press, 2014), l’économiste Gregory Clark et une douzaine de ses étudiants ont utilisé un indicateur indirect de mobilité sociale qui se prête à des études sur le long terme, voire parfois sur plusieurs siècles. Ils s’appuient sur le nom de famille. Ces noms – particulièrement ceux des élites – sont stables au cours des siècles. Le prestige est associé au nom, et une bonne identification assure transmission des héritages et reconnaissance par l'Etat. 
Ainsi en Suède – pays où la mobilité sociale semble importante –, les familles nobles (créées avant 1800) déclarent encore aujourd’hui des revenus plus élevés que les non-nobles, et sont six fois plus fréquentes parmi les avocats que le reste de la population. En Grande-Bretagne, les noms de famille surreprésentés chez les riches en 1860 (dont la fortune au décès était plus de 200 fois la fortune moyenne) sont, encore aujourd’hui en 2010, quatre fois plus riches que la moyenne. Il y a régression vers la moyenne, mais elle est lente. Le statut social semble s’hériter sur de longues périodes.
De manière ironique, Clark écrit alors : « Après avoir, pendant des années, regardé avec dédain mes collègues sociologues obsédés par des illusions telles que la classe sociale, je dus me rendre à l’évidence : les chances d’un individu peuvent être prédites non seulement à partir du statut des parents, mais aussi à partir de celui des arrière-arrière-arrière-grands-parents. » Il repère l’effet d’un « indéniable substrat hérité, ressemblant suspicieusement à de la classe sociale ». Le sociologue en moi salue cette clairvoyance.

LA CLASSE SOCIALE COMME « SUBSTRAT »
Cette classe sociale comme « substrat », le couple de sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot l’explore avec d’autres méthodes depuis une trentaine d’années. Ils ont tourné leur regard vers la bourgeoisie et l’aristocratie, considérées comme une classe véritablement mobilisée pour la défense de ses intérêts.
Leurs enquêtes explorent moins le statut des individus (réussite scolaire ou profession) que le patrimoine partagé et les positions multiples qu’occupent un même individu. Le patrimoine immobilier, l’entre-soi, les institutions spécialisées permettent le transfert efficace des positions sociales des parents aux enfants et le maintien de la position sociale du groupe dans son ensemble.

Et le plus intéressant dans leurs enquêtes – qui ne peut se percevoir dans les données utilisées par Clark – se trouve sans doute dans la mise en évidence de la structure collectiviste des bons offices. Il y a dons et contre-dons, mais sans que la réciprocité soit nécessairement directe. Aider Untel, c’est aider le groupe, et chaque membre peut compter sur la solidarité éventuelle de tous les autres. Un monde bien éloigné de l’individualisme des classes moyennes, écrivent-ils, et qui maintient, par-delà les générations, ses privilèges.

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