vendredi 20 juin 2014

«Ce qui m’importe, c’est le respect des volontés de Vincent»

ERIC FAVEREAU

C’est ce vendredi que le Conseil d’Etat examinera en audience publique le cas de Vincent Lambert, infirmier, 38 ans, devenu tétraplégique en état végétatif, à la suite d’un accident de moto en 2008, et dont la famille se déchire à propos de son maintien ou non en vie. Ses parents souhaitent la poursuite des soins tandis que son médecin, son épouse, son neveu, et plusieurs de ses frères et sœurs, prônent l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert, comme le permet la loi Leonetti. Ce conflit familial a été porté devant la justice administrative.
Le Conseil d’Etat aura en main les conclusions d’une expertise qu’il avait ordonnée à l’issue d’une précédente audience, en février. Les trois experts médicaux qu’il avait missionnés ont remis fin mai leur rapport qui, selon une source proche du dossier, confirme l’incurabilité de Vincent Lambert. Les experts relèvent notamment une «dégradation» de son état de conscience et de son état général. Ils confirment également le caractère irréversible et incurable de ses lésions cérébrales. Et insistent sur l’absence de liens avec le monde extérieur, notant que Vincent est dans un état végétatif, et non plus dans un «état de conscience minimale». Le Conseil avait également demandé l’avis écrit de plusieurs instances, comme le Comité national d’éthique, l’Académie de médecine, et celui du député Jean Leonetti.
Munis de toutes ces conclusions, les sages vont devoir prendre position. Et permettre ou non l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation artificielles de Vincent.
Rachel Lambert est la femme de Vincent Lambert. Discrète, infirmière aussi, elle a toujours dit qu’elle ne faisait que défendre ce que voulait son mari en matière de directives anticipées concernant sa propre fin de vie.
Avez-vous des attentes particulières sur le Conseil d’Etat ?
Non, je ne préjuge en rien de ce qui va se passer.

Comment avez-vous vécu cette longue période que vous a imposée la justice, avec la réalisation de ces expertises sur l’état de santé de votre mari ?
Cela n’a pas été facile, on a fait le point sur l’état de santé de Vincent, sur son état de conscience, et on le savait, nous avions le sentiment que son état ne s’était pas amélioré. C’est dur et c’est triste, car les expertises du Conseil d’Etat le confirment. On sait que l’on ne peut plus rien partager avec Vincent, ni même un moment de joie. A la fois, c’est un soulagement pour lui, car on peut se dire qu’il n’a pas conscience de l’état dans lequel il se trouve. C’est toujours ainsi : cela dépend à qui on pense, si on pense à lui, ou si on pense à nous.
Avec toutes ces tensions, comment cela se passe-t-il, quand vous allez à l’hôpital ?
Il y a plein de précautions de sécurité avant de rentrer dans la chambre de Vincent, mais après cela ne change pas l’intimité que je peux avoir avec Vincent, quand on est dans sa chambre. On peut partager des moments, sans bien trop savoir ce qui se passe. On peut être avec lui, ensemble.
Et avec l’équipe médicale de l’hôpital de Reims ?
Avec l’équipe médicale, je n’ai jamais eu de soucis. Ils ont toujours soigné et accompagné Vincent. Et ils le font comme au premier jour. Vincent a toujours eu une bonne prise en charge, on s’est posé les bonnes questions, toute l’équipe a toujours cherché à optimiser son confort. Vincent n’a jamais été abandonné, et l’équipe a toujours été présente, contrairement à ce que j’ai pu lire ici ou là.
Les attaques contre vous ont-elles cessé ?
J’ai découvert, il y a très peu de temps, qu’il y avait une nouvelle page sur Facebook, de soutien à Vincent Lambert et à sa famille. C’est très pénible, on utilise la photo de mon mari, on répète que des proches veulent le voir partir, dont sa propre femme. Il y a des commentaires désobligeants, on utilise des photos de lui quand il était jeune, petit, quand il était scout. On met en scène une période de sa vie, avec des commentaires sur la vie.
Tout cela est très difficile. Il y a des gens qui se sont permis d’écrire sur le trottoir, dans une rue, «Soutien à Vincent Lambert», et d’autres ont affiché la photo de Vincent dans un abribus. Vous imaginez, si notre fille voit cela.
Cela me met en colère. Vincent est récupéré par des gens qu’il ne connaît pas, ou par d’autres qui l’ont méconnu. Vous savez, quand j’ai saisi la justice, je l’ai fait pour Vincent, je n’ai pas demandé un référendum sur la vie de mon mari.
Et avec les parents de Vincent, les contacts ont-ils été renoués ? Lors des audiences devant le Conseil d’Etat, on avait appris qu’ils avaient déposé des enquêtes d’un détective privé sur votre compte…
Oui, un détective. Pour savoir quoi ? En tout cas, aujourd’hui, non, il n’y a pas de contact.
C’est cela, le plus difficile ?
Non. Je pense à Vincent. Moi, je peux me défendre, j’ai ma voix, ma parole. C’est vrai que c’est épuisant de devoir se justifier tout le temps face à des personnes auprès desquelles je n’ai pas à me justifier. Mais ce qui m’importe, c’est le respect des volontés de Vincent et c’est de protéger notre famille. Vincent et moi, on est en charge d’une famille, avec notre fille.
Et vous ?
Ma vie ? Aujourd’hui je ne peux pas travailler, ma vie est en suspens. Ce qui me motive, c’est l’avenir de Vincent. C’est d’être fidèle aux engagements que j’ai eus avec Vincent, être fidèle à nos promesses. On pourrait voir tout en noir. Mais les attaques viennent d’une minorité, j’ai reçu aussi des lettres de soutien ou d’aide, de la part de gens que je n’attendais pas.
Tous ces mois d’attente de la décision de la justice, est ce finalement un temps en trop ?
Cela a été un temps imposé par la justice, mais cela a été aussi une période de réflexion. En première instance, nous avions pu avoir le sentiment que l’on n’approfondissait pas la situation. Là, on a pris son temps, et j’espère que ce ne sera pas un temps gâché. La justice a décidé de faire des expertises, de s’approprier l’histoire personnelle et médicale de Vincent.
On vous sent, forte et résistante…
Forte, je ne sais pas. C’est vrai que l’on croit que l’on ne peut pas supporter, puis on le fait, on tient, on le fait par amour, on est porté. Je suis mère de famille, je dois assurer aussi. Et puis je reproche assez que l’on m’attaque pour n’attaquer personne. Je veux rester digne, et que Vincent soit toujours au centre de mes propos. Le reste est secondaire.

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