lundi 19 mai 2014

«Loi famille» : n'oubliez pas les violences conjugales

19 MAI 2014
Ce lundi 19 mai, l’Assemblée nationale débat en première lecture de la proposition de loi «relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant». Une proposition dangereuse car elle réclame non seulement une égalité de façon formelle mais prévoit de généraliser les sanctions, sans tenir compte des violences faites aux femmes et aux enfants.
Non seulement cette proposition ne pose pas la question de la PMA et de l’égalité des droits pour toutes les femmes, mais elle suit une logique parfaitement connue des associations de défense des droits des femmes impliquées au quotidien auprès des victimes de violences, qui restent très insuffisamment protégées dès qu’il s’agit de l’exercice de l’autorité parentale.

Cette réforme de l’autorité parentale n’a justement aucunement pris le temps de s’y intéresser. Elle est au contraire suffisamment pernicieuse pour détériorer encore un peu plus la vie de ces centaines de milliers de femmes et d’enfants.
Le texte propose de fixer la résidence des enfants en cas de séparation «au domicile de chacun des parents» plutôt qu’au domicile de l’un d’eux ou en résidence alternée selon la loi en vigueur.
Perplexité de votre part ? Pourquoi faut-il légiférer là-dessus ? Sachez qu’il y a visiblement urgence puisque cette proposition de loi a été enregistrée le 1er avril à l’Assemblée nationale, est passée en commission des lois le 6 mai et arrive en première lecture le 19.
Il y a urgence parce qu’en février 2013 des pères montaient sur des grues s’estimant injustement privés de la garde de leurs enfants par des juges femmes, et donc partiales. L’inégalité serait au poste de commande, il y aurait un vaste problème en France sur la résidence des enfants en cas de séparation.
Un rapport du ministère de la Justice de novembre 2013 nous éclaire sur la question. Il porte sur les «décisions définitives rendues par les juges aux affaires familiales au cours de la période comprise entre le 4 juin et le 15 juin 2012». On y apprend que 80% des parents sont d’accord entre eux sur la résidence des enfants. Les décisions aboutissent alors dans 71% des situations à une résidence des enfants chez la mère, à 10% chez le père et dans 19% des cas à une résidence alternée. Dans la quasi-totalité des situations, soit 99,8%, les juges entérinent les demandes.
Dans 9% des cas, l’un des deux parents n’exprime pas de demande. Dans la très grande majorité (9 fois sur 10), le ou la juge accorde alors la résidence au parent qui s’est exprimé.
Reste les 10% où un désaccord existe entre les parents sur le lieu de résidence des enfants. On observe alors que la résidence est fixée à 63% chez la mère, 24% chez le père, 12% en résidence alternée. Deux remarques pour ces situations, les juges prononcent plus de deux fois plus de résidence chez le père (24% contre 10% en cas d’accord). Ils prononcent 12% de résidence alternée en cas de désaccord contre 19% en cas d’accord.
Voilà pour juger sur pièces.
La proposition de loi est dangereuse car elle s’exprime en dehors de tout contexte et réclame non seulement une égalité de façon formelle mais prévoit de généraliser les sanctions, sans tenir compte des violences. Pire, elle va renforcer les menaces et l’insécurité, multiplier les procédures juridiques, épuisantes pour les femmes confrontées à des agresseurs qui ne lâchent pas leur prise.
Les violences y sont un «non sujet», à peine abordées à la marge. Elles concernent pourtant des centaines de milliers de femmes mais aussi au moins le double d’enfants, ce qui représente un nombre conséquent d’affaires traitées par la justice. Dans ces situations de violences, et contrairement aux idées reçues, la séparation ne signifie pas l’arrêt des violences, elle peut même les exacerber. Les enfants déjà maltraités ou exposés, deviennent alors des instruments pour l’agresseur qui peut ainsi continuer à exercer une emprise et harceler très souvent en toute impunité l’ex-compagne, parfois durant des années. Les conséquences pour les enfants sont totalement ignorées. Ces situations complexes impliquent du temps, une expertise attentive pour des procédures juridiques où la médiation ne peut être invoquée. Pour que l’intérêt de l’enfant soit respecté, il convient en premier lieu que les violences à leur encontre et à l’égard de leur mère cessent.
Exit donc les 400 000 femmes victimes de violences conjugales en 2 ans, les 121 décédées en 2013 sous les coups de leur conjoint (sans compter, les relations non officielles qui ne sont pas dénombrées). Exit, les enfants témoins de ces violences, quand ils ne sont pas violentés et tués eux-mêmes. Dans les 10% de désaccords, il existe de telles situations. Rendre la résidence obligatoire et systématique «au domicile de chacun des parents» les fera perdurer. Tout acte d’autorité parentale, «usuel ou important» comme le rappelle la proposition de loi, deviendra une affaire d’état et sera matière à harcèlement incessant, comme on le rencontre déjà avec la résidence alternée. Car répétons-le, tous les intervenant-e-s le savent, on ne sort pas d’une situation de violences conjugales, simplement en mettant fin à la cohabitation.
Responsabilité parentale, respect de l’autre parent, devoirs des parents à l’égard des enfants, sécurité et protection contre les violences : chaque enfant a le droit de voir sa situation examinée de façon singulière par les juges aux affaires familiales. C’est là le vrai intérêt de l’enfant. Les textes de loi ne peuvent faire l’impasse sur ces sujets essentiels.


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