lundi 5 mai 2014

[Interview] Dr Jean-Jacques Tanquerel, médecin et formateur en information médicale "Les Dim n'ont pas les moyens de faire ce que viennent faire les sociétés externes"


Médecin Dim au CH de Saint-Malo, le Dr Jean-Jacques Tanquerel estime avoir été mis au placard pour avoir dénoncé vigoureusement l'intervention de sociétés dans le codage des actes. Une affaire qu'il a portée à l'écrit dans un essai intitulé "Le serment d'Hypocrite". Il en explique les raisons à Hospimedia.

Hospimedia : "Votre essai "Le serment d'hypocrite. Secret médical : le grand naufrage" est sorti le 24 avril dernier*. Pourquoi avoir voulu écrire ce livre?


Jean-Jacques Tanquerel : D'abord pour des raisons éthiques, car j'estime dans cette affaire, et il n'y pas que moi, que le secret médical n'est pas respecté. L'Ordre des médecins s'est positionné dans mon sens ainsi que la Cnil même si elle l'a fait plus tardivement et avec plus de difficultés. Mais aussi parce que, malgré cette affaire, le battage médiatique et la décision de la Cnil, je reçois encore des appels de mes collègues Dim qui me disent que cela continue. Enfin, parce que j'ai été placardisé. Pour l'instant j'ai vraiment  l'impression qu'il y a une volonté d'étouffer cette affaire. Ce livre, je n'en ai pas pris l'initiative. J'ai été contacté par les éditions Max Milo et au départ j'ai refusé, car je ne suis pas écrivain et raconter une histoire ce n'est pas évident. Mais comme la situation ne se débloquait pas, malgré les avis qui étaient rendus, je me suis dit que j'allais l'écrire. 

H. : Vous estimez qu'aujourd'hui, il n'y a pas eu de prise de conscience de ce sujet de l'accès aux données médicales de sociétés externes?


J.-J. T. : Je pense qu'il existe une prise de conscience de la part au moins des médecins Dim. Maintenant, il faut aller au-delà de la prise de conscience et régler le problème. Mais j'ai le sentiment que c'est plus compliqué et plus douloureux aussi. 

H. : Que faudrait-il faire pour régler le problème justement?

J.J. T. : Le discours que certains directeurs ont l'habitude de tenir est que d'un côté il y a le secret médical et l'éthique, et de l'autre, il y a les finances. Les deux sont alors opposés. Je trouve, et j'en suis persuadé, que le débat est de ce fait faussé à la base. On peut tout à fait améliorer la valorisation de l'activité des établissements de santé, tout en respectant le droit des patients. Plutôt que de faire appel à des sociétés externes, il faut simplement donner aux Dim les moyens de faire leur travail et d'effectuer leurs missions de manière correcte. Et de cela tous les Dim s'en plaignent : ils n'ont pas les moyens de faire ce que viennent faire les sociétés externes. D'autant plus que ces sociétés sont grassement payées alors qu'il suffirait d'injecter ces mêmes sommes dans les Dim pour en interne améliorer les choses, tout en restant en règle avec la déontologie et la loi. 

Les deux ne sont pas à mettre en opposition, secret médical et finances doivent être conciliés.

H. : Pourquoi pensez-vous que certains établissements de santé privilégient les sociétés externes?


J.-J. T. : Il y a sans doute plusieurs raisons, mais je parlerai de mon expérience personnel. À Saint-Malo, jusqu'à l'arrivée du nouveau directeur, je n'avais aucun problème avec les prédécesseurs, nous faisions tourner la roue et on améliorait nos indicateurs Dim d'année en année, même si cela demandait beaucoup de travail. Début 2012, le nouveau directeur, qui arrive de Belfort-Montbéliard, avait l'habitude de faire appel à la société Altao. Sa mission, et il l'a affichée dès le départ, est d'améliorer les finances de l'établissement dans un délai relativement court. D'un côté, et je me mets à sa place, il a la société Altao avec laquelle il a l'habitude de travailler et de l'autre le docteur Tanquerel qu'il ne connaît pas du tout. J'imagine qu'il a préféré faire appel à des gens qu'il connaissait. À aucun moment d'ailleurs, il ne m'a demandé comment je travaillais, ce dont j'avais besoin. Il est arrivé et il a dit  : on fait appel à Altao, point. 

H. : Dans votre essai, vous indiquez que ces sociétés ont une autorisation de la Cnil pour accéder aux fichiers de Résumé de sortie standardisé (RSS) notamment, quelle est donc la problématique qui se pose?




J.-J. T. : Alors, les fichiers RSS ce sont pas des fichiers qui contiennent des informations administratives et médicales - diagnostics et actes médicaux réalisés - et ce fichier est considéré par la Cnil comme indirectement nominatif. C'est-à-dire que l'on ne va pas y trouver le nom des patients mais suffisamment d'éléments, pour qui veut faire l'effort, retrouver l'identité de telle ou telle personne. Donc ces fichiers, les médecins Dim les construisent localement, sont sous leur responsabilité, avec interdiction de les transmettre à un tiers non autorisé, et les anonymisent avant de les envoyer afin que l'hôpital puisse, sur la base de l'activité déclarée, recevoir les recettes de l'assurance maladie. Il existe deux niveaux d'accès à l'information médicale. Le premier : les sociétés externes accèdent aux RSS avec une autorisation de la Cnil. Là où cela devient ambigu, c'est lorsque l'Ordre des médecins indique aux Dim qu'ils ne doivent pas transmettre les fichiers de RSS à des sociétés externes, autorisation de la Cnil ou pas. J'ai donc demandé un avis à la Cnil sur ce point et la réponse est elle aussi ambigüe. Des autorisations sont effectivement délivrées pour ces sociétés pour accéder aux fichiers RSS mais moi, en tant que médecin Dim, je n'ai pas à transmettre l'information à des tiers non autorisés. J'ai aussi abordé un autre point avec la Cnil. Les sociétés externes se servent des fichiers RSS pour cibler les dossiers à contrôler mais ce ciblage, techniquement parlant peut être fait sur la base des fichiers de Résumé de sortie anonyme (RSA), ce que fait d'ailleurs l'assurance maladie. Donc je ne comprends pas pourquoi la Cnil donne de telles autorisations puisque le même travail peut être fait avec le RSA. 

Donc je ne comprends pas pourquoi la Cnil donne de telles autorisations puisque le même travail peut être fait avec le RSA

H. : Vous avez obtenu une réponse?

J.-J. T. : À ce jour, je n'ai pas encore obtenu de réponse. J'ai envoyé un mail en décembre à la Cnil qui m'indique y réfléchir et qu'elle me tiendra au courant. Je trouve cette réponse pour le moins inquiétante, car cela veut dire qu'elle a donné des autorisations d'accès à des fichiers de RRS sans y avoir réfléchi ?

H.: Vous avez parlé de deux niveaux d'accès à l'information médicale, quel est le deuxième?

J.-J. T. : Le deuxième niveau d'accès à l'information médicale, lui, n'est pas du tout couvert par l'autorisation de la Cnil. Il s'agit de l'accès au dossier patient, et les sociétés externes l'admettent, elles y accèdent.

H.: Pourquoi ces sociétés vont-elles regarder dans le dossier des patients?

J.-J. T. : Le problème de la tarification à l'activité, c'est que l'établissement ne touche de l'argent que sur la base d'une activité déclarée. Le Dim ne peut coder que l'information portée à sa connaissance. Si un praticien omet d'indiquer qu'il a pratiqué tel ou tel acte ou pris en charge telle ou telle pathologie, le Dim ne peut pas logiquement les coder correctement. Il y a donc des oublis et l'établissement perd de l'argent. C'est un problème national qui n'est pas propre uniquement à Saint-Malo. L'idée, plutôt que d'attendre passivement l'information, est donc d'aller la chercher directement dans les dossiers. Il s'agit d'une bonne initiative, car cette démarche active est intéressante. Mais la mauvaise idée est de faire appel pour cela à des sociétés externes, car là l'établissement bascule dans l'illégalité. Il faudrait que cela reste du domaine de l'interne.

H. : En interne, justement, vous indiquez dans votre essai avoir fait passer des messages auprès des professionnels de santé pour les inviter à mieux coder. Est-ce qu'il s'agit là d'une problématique pour pallier les oublis et ainsi éviter de faire appel à ces sociétés externes? 

J.-J. T. : Il s'agit en effet d'une vraie problématique. Nous avons du mal parfois à sensibiliser certains praticiens. Ils vont jouer le jeu et être complets dans la remontée d'information mais d'autres, pris par les malades et leur exercice, estiment que cela passe après, ce que, en ayant moi-même été clinicien pendant quinze ans, je peux comprendre. Pour autant, cela fait des années que ça dure et le fait que le Dim attende passivement que l'information lui remonte n'est pas suffisant. Il faut inciter les praticiens à renseigner le plus d'informations possibles mais, comme nous n'aurons jamais 100% d'informations, il faut en plus initier cette démarche active d'aller chercher dans les dossiers. En 2009, à Saint-Malo, nous avons commencé à le faire en interne et sur 2009, 2010, 2011, cela nous a permis de récupérer plus de 4 millions d'euros (€). 

H. : L'informatisation des dossiers patients peut-elle alors contribuer à une meilleure remontée d'information?

J.-J. T. : Tout a fait. Il est bien plus facile de retrouver l'information au sein d'un Dossier patient informatisé (DPI) qui est structuré. On peut aussi faire des requêtes sur des données saisies, ce qui est beaucoup moins chronophage que dans les dossiers papier. 

De fait, si on nous donnait les moyens, nous pourrions faire le travail beaucoup mieux qu'elles"

H. : Est-ce que vous pensez nécessaire que le ministère des Affaires sociales et de la Santé se positionne sur ce sujet?

J.-J. T. : Il faut absolument que le ministère se positionne. D'ailleurs, je suis très étonné qu'il ne l'ait pas encore fait car, dans un courrier de Marisol Touraine à Avenir hospitalier d'août 2013, elle déclare que ses services vont se pencher sur ce sujet. Pourtant, à ce jour, rien. 

H. : La mobilisation des associations d'usagers peut-elle aussi faire avancer le dossier?

J.-J. : Les associations se sont déjà exprimées, au travers notamment de communiqués de presse, lors de l'affaire de Saint-Malo, désapprouvant la situation. Je vais aussi prendre contact avec la nouvelle présidente du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) sur ce sujet. 

H. : À votre avis, si leurs pratiques sont mieux encadrées, définies, les sociétés externes peuvent-elles tout de même intervenir?

J.-J. T. : Il y a deux cas de figure. On change la loi, et on autorise les sociétés externes à faire ce travail. Mais cela relève du choix de société. Ou alors, et c'est plutôt mon point de vue, on laisse telle quelle la loi et on donne les moyens en interne de travailler en accord avec la réglementation et la déontologie médicale. Les Dim ont un avantage par rapport à ces sociétés : ils ont accès à beaucoup plus d'informations que la seule base de codage, comme la base de données de biologie, de prescription médicamenteuse... 
Propos recueillis par Géraldine Tribault

* L'essai est publié aux éditions Max Milo

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