samedi 19 avril 2014

Une recherche bien dans sa peau

Psoriasis, urticaire, mélanome, lupus, cellules souches… Les avancées de la recherche dermatologique, si elles ne font pas toujours grand bruit, n’en sont pas moins présentes, offrant des perspectives prometteuses à court et à moyen terme. Panorama des travaux en cours.

La France est au premier rang mondial en matière de recherche industrielle (cosmétique). Et la recherche dermatologique académique fait également preuve d’un grand dynamisme. Elle a pour spécificité son organisation sur un mode multicentrique, dans lequel des chercheurs de plusieurs villes joignent leurs efforts sur une thématique. Ce qui produit des résultats intéressants », souligne le Pr Laurent Misery, président de la Société de Recherche Dermatologique et chef de service de dermatologie-vénéréologie au CHU de Brest.


Les voies de la recherche dermatologique passent parfois par le psychisme. Ainsi, une piste récente concernant l’acné a trait au retentissement psychologique de la maladie, particulièrement important chez les patients acnéiques : idées suicidaires fréquentes, syndromes dépressifs cachés, retrait social. Cet aspect psy, pourtant très invalidant pour le malade, est souvent sous-estimé et donc assez peu pris en charge. « Les médecins doivent avoir ces conséquences de la maladie à l’esprit, penser à les rechercher et à proposer aux patients – surtout aux adolescents acnéiques, particulièrement fragiles sur ce plan – une psychothérapie, ou un traitement antidépresseur… », pointe le Pr Misery. Une autre question sur laquelle travaillent les chercheurs – « Pourquoi l’acné persiste-elle chez un grand nombre de femmes, après l’adolescence ? » – trouverait, quant à elle, sa réponse dans l’identification de trois facteurs favorisants. Le rôle hormonal de la pilule contraceptive tout d’abord. Celui du stress qui induirait des déséquilibres hormonaux favorables à la persistance de l’acné. L’utilisation fréquente de cosmétiques, enfin, et notamment de fonds de teint qui contribuent à obstruer les pores cutanées, ce qui induit la survenue de lésions acnéiques.

Rosacée : agir sur la composante vasculaire

La physiopathologie de la rosacée commence à être mieux connue. Elle apparaît de plus en plus comme une maladie neurovasculaire avec une vasodilatation probablement liée à des troubles de l’innervation du visage. S’appuyant sur ce concept, les chercheurs développent un traitement qui devrait être commercialisé dans cette indication dans les années qui viennent : la brimonidine. C’est un agoniste alpha adrénergique (vaso-constricteur) en gel qui agirait particulièrement sur cette composante vasculaire de la rosacée, en particulier sur la couperose et les flushes permanents ou transitoires, très fréquents chez ce type de patients.

Psoriasis : l’essor des thérapies ciblées

« Actuellement, les biothérapies sont le traitement royal du psoriasis, mais elles ne concernent qu’une partie des patients », précise Laurent Misery. Il s’agit de médicaments injectables d’origine cellulaire : anticorps monoclonaux, polyclonaux et protéines de fusion. Quatre biothérapies du psoriasis sont commercialisées en France, et une dizaine d’autres sont en développement. Cependant, d’après le Pr Misery, ces traitements ont des effets secondaires, peu fréquents, mais qui peuvent être importants (infections opportunistes). D’autre part, ils sont très chers, ce qui réserve leur emploi aux cas de psoriasis sévères. D’où l’intérêt du développement actuel de thérapies ciblées, peptidiques, produite chimiquement (moins coûteuses), qui devraient être mises sur le marché dans deux, trois ans, et constituer un bon complément des biothérapies. On note également l’apparition cette année, de deux nouveaux traitements locaux : une mousse pour le cuir chevelu et des patchs imprégnés de dermocorticoïdes pour des lésions localisées.

Dermatite atopique : une compréhension insuffisante

Il existe un nombre limité de thérapeutiques pour la dermatite atopique. D’où la nécessité de trouver de nouvelles approches. La mise au point de biothérapies est à l’?uvre. « Pour l’instant, souligne le Pr Misery, les résultats obtenus par les premières études sont décevants, car l’on bute encore sur une compréhension insuffisante des mécanismes de cette pathologie ». Qui font l’objet d’actifs travaux de recherche.

Mélanome métastatique : des nouveaux médicaments

La recherche sur le mélanome, impliquant un très grand nombre d’équipes, est extrêmement active en France, notamment sur le plan physiopathologique. Elle s’axe en particulier sur l’identification des gènes mutés au sein des cellules tumorales. À côté du rôle des ultraviolets, bien connu, il semble exister une forte susceptibilité génétique pour cette tumeur. Une meilleure compréhension des mécanismes de survenue du mélanome peut donc permettre de dégager de nouvelles pistes thérapeutiques (thérapies géniques ou thérapies ciblées) mais aussi de mettre en évidence des facteurs de risque génétiques pour les patients.

Des progrès ont notamment été accomplis dans le domaine du mélanome très avancé. De fait, si le mélanome répond bien au traitement chirurgical dans 90 % des cas, chez dix pour cent des sujets, l’évolution vers le mélanome métastatique conduit inévitablement à une issue fatale. Depuis deux ans, deux nouvelles thérapeutiques, le vemurafenib (une thérapie ciblée) et l’ipilumimab (un anticorps monoclonal) ont été mises sur le marché. Elles permettent d’augmenter la survie des malades, voire peut-être chez certains patients, de les guérir. « Ces médicaments constituent donc un progrès décisif dans un domaine où la chimiothérapie était inefficace sur la survie des malades », insiste Laurent Misery. Une dizaine d’autres traitements visant le mélanome métastatique (biothérapies ou thérapies ciblées) sont en développement. « On pense à associer ces différentes molécules dans l’avenir, pour accroître leur efficacité », ajoute le Pr Misery.

Urticaire chronique : l’espoir du méthotrexate

Un essai français en cours sur le traitement de l’urticaire chronique par le méthotrexate, semble très prometteur. Actuellement la prise en charge de cette maladie repose sur les antihistaminiques. Avec eux, dans une majorité de cas (mais pas pour tous les patients), l’urticaire chronique disparaît en deux ans en moyenne. L’usage de méthotrexate devrait permettre de raccourcir ce délai thérapeutique et de traiter un plus grand nombre de malades.

Lupus : une nouvelle biothérapie

La mise en exergue du rôle de la cytokine BAFF a conduit à la mise au point d’une nouvelle biothérapie du lupus, mise sur le marché en 2013, le belimumab. Elle s’adresse exclusivement à des malades atteints de lupus en impasse thérapeutique. Les résultats sont spectaculaires, ce médicament fonctionnant chez la quasi-totalité des patients traités et aboutissant à des rémissions complètes. L’intérêt : éviter les effets secondaires importants souvent consécutifs à la corticothérapie générale au long cours.

Sclérodermie : TGF-bêta sur la sellette

Il existe beaucoup de travaux concernant cette affection, mais peu de thérapeutiques. Le seul traitement ayant fait la preuve de son efficacité dans la sclérodermie sert à prévenir la survenue de l’ulcération des doigts des patients. Il s’agit du bosentan. Cependant la compréhension de la physiopathologie de cette maladie progresse. La formation de la fibrose reposerait sur une interaction entre cytokines dans lesquelles TGF-bêta, un facteur de croissance, semble jouer un rôle important. On pourrait donc imaginer bloquer l’action de TGF-bêta, et ainsi d’empêcher l’apparition de fibrose chez les sujets sclérodermiques. Mais il n’existe pas encore d’essai clinique en ce sens.

Progeria : vers une thérapie génique ?

Le gène impliqué dans la progeria (gène LMNA, situé sur le chromosome 1) a été découvert il y a quelques années. Ce gène pourrait également jouer un rôle dans le processus de vieillissement cutané « normal ». Si bien qu’il est possible d’envisager, à moyen terme, une thérapie génique des malades de progeria, qui pourrait avoir des répercussions sur la prise en charge du vieillissement physiologique de la peau. Autre piste de recherche : Il a été montré que le rétrécissement des télomères chromosomiques, retrouvé dans les phénomènes de vieillissement cellulaire, était accéléré par le stress chronique.

Les cellules souches font peau neuve

Des avancées importantes ont été accomplies dans le champ des cellules souches. On sait depuis le début de l’année 2013 prélever des cellules adultes de la peau, (kératinocytes, fibroblastes), et induire leur transformation en cellules souches. L’avantage : ces cellules cutanées sont facilement accessibles. Les applications de cette technique sont diverses. Il est, par exemple possible, grâce aux cellules souche, de reconstituer l’épiderme des grands brûlés. Le but poursuivi par les chercheurs est maintenant d’arriver à reconstituer une peau entière à partir de cellules souches, comme cela a été fait pour le foie et le muscle.

Dans le domaine des épidermolyses bulleuses congénitales, « pathologie effroyable, où les enfants naissent avec des plaies qu’ils conservent toute leur courte vie, explique le Pr Misery, les chercheurs ont entrepris des essais de thérapie cellulaire avec des cellules souches, avec des résultats favorables. Mais ils ont du mal à stabiliser cet effet positif.
Dr Alain Dorra

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