vendredi 4 avril 2014

Le handicap dérange, il fait rire aussi

LE MONDE Par 
Laurent Savard dans "Le Bal des pompiers".
« Je n'ai pas fait ce métier pour m'occuper d'enfants handicapés. » Jamais Laurent Savard, père d'un jeune garçon autiste, n'oubliera cette phrase lâchée par la directrice de l'école maternelle de son fils. La violence de ces mots fut telle que ce comédien décida de raconter, avec un humour féroce, à quel point la différence dérange. Parce que Gabin est né un 14 juillet, ce one-man-show hors norme s'appelle Le Bal des pompiers.
Mercredi 2 avril, Laurent Savard était sur la scène du Zénith de Pau devant plus d'un millier de personnes, visiblement remuées par un spectacle qui ne cherche pas à apitoyer mais à bousculer notre regard sur le handicap. Voilà plus de trois ans que Le Bal des pompiers tourne avec succès à travers la France, à l'invitation de festivals, de théâtres, d'associations de parents ou de municipalités. Le public est en partie composé de familles confrontées à l'autisme, qui viennent avec des amis pour que ceux-ci comprennent ce qu'ils vivent. « Ce one-man-show est devenu, malgré moi, un spectacle militant, alors que je ne fais que retranscrire des situations vécues », constate Laurent Savard.

Ce comédien « biberonné à Coluche, Desproges et Devos » a débuté au milieu des années 1990 au café-théâtre du Point-virgule à Paris, collant ses affiches au côté de Stéphane Guillon, puis a poursuivi sa route au Splendid, avant que la naissance de Gabin ne bouscule sa vie et sa carrière. « Par la force des choses, j'ai dû mettre mon métier, la scène, entre parenthèses ; j'avais Gabin, ma chair, mon seul enfant. L'unique façon de ne mettre de côté ni lui ni moi, c'était ce spectacle. Mon fils ne parle pas, je parle pour lui, je fais rire ceux qui rient de lui. J'aimerais que chacun se sente un peu Gabin à la fin de la représentation », explique-t-il. La force de son témoignage et de son écriture rappelle le tumulte des sentiments suscités par Où on va papa ?(éd. Stock, 2008), le livre autobiographique de l'écrivain Jean-Louis Fournier, père de deux enfants handicapés.
RESPIRATIONS MUSICALES
« Je voulais écrire un spectacle d'amour qui ne soit ni nombriliste ni béni-oui-oui, sans renier mon goût pour l'humour noir », insiste le comédien. Accompagné au piano par Anaïs Blin, qui ponctue les saynètes de salutaires respirations musicales, Laurent Savard interprète une série de personnages croisés au fil de ces années chaotiques : le médecin qui n'entend rien à l'inquiétude des parents (« Il a du mal à tenir son regard, mais ça lui passera ») ; l'assistante à domicile « épuisée » de s'occuper de Gabin deux heures par jour et qui part sans même lui dire au revoir ; le vacancier qui ne sait plus quoi dire lorsque son interlocuteur lui confie le handicap de son fils (« Je crois que je vais te laisser, bon courage ») ; la mère de famille scandalisée de voir le petit se déshabiller dans un square : « Des enfants comme ça, on ne les sort pas. »
Le comédien ne cache rien des répercussions de l'arrivée d'un enfant handicapé dans un couple, ni à quel point, dans la vie quotidienne, « le malheur des autres, ça encombre ». Il parvient à faire rire à bon escient, à émouvoir sans pathos, à jouer à la fois « avec ses tripes » et avec pudeur.
« Ce spectacle fait du bien parce qu'il parle pour nous », résume, à la sortie du Zénith de Pau, un couple de parents d'un enfant autiste. Si ce one-man-show fait œuvre utile pour toutes ces familles qui bataillent dans l'ombre, sa dimension artistique et sociologique en fait un spectacle pour tous. « Gabin m'a rendu moins con », dit son père.


Le Bal des pompiers de et avec Laurent Savard, mise en scène Bruno Delahaye. Le 5 avril au Théâtre Dejazet, à Paris, le 28 avril au Théâtre de la Sinne, à Mulhouse (Haut-Rhin).

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