vendredi 4 avril 2014

« Infinita », un regard burlesque sur la fin de vie

LE MONDE Par 
Le collectif berlinois Familie Flöz porte un regard burlesque, notamment sur la fin de vie.
On a envie de pleurer et on se retrouve à éclater de rire. On finit par avoir les larmes aux yeux sans plus savoir si c'est de joie ou de tristesse. Ces perturbants accès d'humeur ont un seul coupable, Infinita, spectacle de Familie Flöz, quatuor masculin berlinois expert en théâtre mimé et masqué, à l'affiche du Monfort, à Paris.
Alors, tête d'enterrement ou bille de clown ? Les deux, tant cette pièce tragi-comique, qui se passe dans une maison de retraite, fait traverser toutes les couleurs émotionnelles. Pas glamour, les thèmes du vieillissement et de la mort, mais ils se trouvent ici incarnés avec une telle intensité, une telle lucidité, un tel sens du burlesque, qu'ils laissent ébahi et en pleine forme.

Oser s'attaquer à un sujet pareil, dans une société où « la fin de vie », comme on dit, est plus que maltraitée, est un exploit. Mercredi 26 mars, Infinita a fichu une ambiance folle dans la salle, entre partie de ballon avec les acteurs et applaudissements spontanés pour soutenir l'action. Quant aux éclats de rire des uns et des autres, hululement hystérique ou énorme soupir de connivence, ils étaient de véritables coups de théâtre, explosant dans la salle parfois sans prévenir.
De l'enfance à la mort, du bac à sable au cercueil, Infinita s'arrête donc longuement à la case « retraite » avec infirmière jeune et sexy qui s'enferme parfois dans son bureau pour échapper à la meute des vieux. Si le spectacle, sans paroles, soutenu par une bande-son très accordéon swing, offre une vision panoramique de la traversée d'une vie, il la réduit à son squelette émotionnel, amour et mort, sur les deux côtés de la médaille.
Infinita est bâti à partir de trois fois rien – un bout de rideau, des morceaux de décor, pour servir d'appui à du théâtre mimé et masqué, entrecoupé de séquences d'ombres projetées. La technique des Flöz, qui fabriquent tout eux-mêmes, se révèle extrêmement ouvragée, chacun des acteurs glissant avec dextérité d'un bout à l'autre de l'échelle de la vie. Qu'il s'agisse de l'enfant qui apprend à tenir sur ses jambes, du vieillard qui tremblote ou de l'infirmière stylisée jusqu'au bout de ses clés, chacun des personnages se dresse avec une charpente gestuelle imparable. L'interprétation des acteurs est telle que parfois le public applaudit les exploits des personnages, comme celui du bébé qui réussit à grimper sur une chaise trois fois plus haute que lui.
DES SCÈNES INOUBLIABLES
Les masques sont pour beaucoup dans l'impact de cette tranche de vie pleine de nerfs. En papier mâché, bourrés de reliefs, de plis, de rides, expressifs jusqu'à la longueur des oreilles et l'épaisseur des bajoues, ils sont caricaturalement justes et amplifient les émotions en collant néanmoins au réel. L'esthétique du spectacle est un peu vieillotte, mais passe la rampe grâce à la virtuosité des acteurs.
Infinita ne nous épargne rien, ni le déambulateur ni le fauteuil roulant. Il affronte tous les rapports de force, les sujets délicats, sexuels en particulier. Jouer, enfant, au docteur et à l'infirmière, ou virer au vieil obsédé qui ne pense qu'à ça, sont des scènes inoubliables, traitées avec acuité et invention. Le « plus » de la pièce : faire rire de situations à première vue tragiques et même moches en mettant tout le monde dans le même sac, celui de la crudité de la vie, qui n'épargne personne. Après avoir ramassé la donne au « off » d'Avignon en 2013, Familie Flöz, créée en 1994, est bien partie pour faire un tabac en France.


Infinita, par Familie Flöz. Le Monfort, 106, rue Brancion, Paris 15e. Jusqu'au 13 avril, à 20 h 30. Dimanche, à 16 heures. Tél. : 01-56-08-33-88. De 18 € à 28 €.

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