mercredi 2 avril 2014

La « neuro-amélioration » passée au crible du comité d’éthique

Le Monde.fr | Par 


Un système de stimulation magnétique transcrânienne.
Un système de stimulation magnétique transcrânienne. | Wikimedia Commons

Dans son avis n° 122, rendu public mercredi 12 février, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) examine les enjeux du« recours aux techniques biomédicales en vue de “neuro-amélioration” chez la personne non malade ». De quoi s’agit-il ? De l’emploi de médicaments (anxiolytiques, antidépresseurs, stimulants cognitifs…) ou de la stimulation cérébrale transcrânienne pour améliorer les performances cognitives de tout un chacun.
Après avoir passé en revue la littérature scientifique sur le sujet, le CCNE juge qu’une amélioration de certains paramètres « a pu être observée », mais qu’elle est « inconstante, modeste, parcellaire et ponctuelle ». Il note que le rapport bénéfice/risque à long terme est « totalement inconnu », mais pointe un « risque probable d’addiction ».  Il en déconseille fortement l’utilisation« chez l’enfant, l’adolescent et les personnes vulnérables ». Il se dit préoccupé par le risque d’émergence d’« une classe sociale améliorée constituée d’une petite minorité d’individus bien informés et disposant de ressources financières suffisantes pour y accéder », et appelle à une « veille éthique » sur le sujet.

Ce résumé ne donne qu'un aperçu de la richesse de l'avis, qui s'inscrit dans la mission de veille éthique sur les progrès des neurosciences confiée au CCNE par la loi du 7 juillet 2011. Le groupe de travail chargé de cette veille éthique a constaté que le thème de ce que les Anglo-Saxons ont baptisé « brain enhancement », et qu'il a qualifié de « neuro-amélioration », prenait de l'ampleur.
Même si en France les données sur le recours aux outils de neuro-amélioration sont inexistantes — ce que déplore le CCNE —, des études ont montré qu'aux Etats-Unis, le recours aux médicaments neurostimulants pourrait concerner 8 % à 25 % des étudiants. Autre exemple, en 2008 20 % des lecteurs de la revueNature indiquaient utiliser des neuro-optimisateurs. Face à ce phénomène, entre d’un côté les « mélioristes » trans ou posthumanistes, qui estiment légitime pour l'individu de chercher à augmenter ses capacités, et les « antimélioristes », qui voient poindre un homme diminué, le CCNE dit avoir adopté« un mélange de modestie, d'ouverture d'esprit et de questionnement scientique »
AMÉLIORÉS OU DROGUÉS ?
Le CCNE rappelle tout d'abord que la recherche de moyens d'amélioration cognitive pose la question de la frontière mouvante entre le normal et du pathologique. L'autoadministration de caféine pour se sentir « bien » interroge : les sujets non malades qui s'y prêtent sont-ils améliorés, sont-ils drogués?, se demande le CCNE. 
Il rappelle que l'apparition successive de médicaments visant diverses indications thérapeutiques a déjà conduit par le passé à des vagues d'autoamélioration : « Valium mania » dans les années 1970, « Prozac mania » dans les année 1990. Toute une pharmacopée est ainsi détournée de son usage purement thérapeutique. On peut citer le propranolol, antihypertenseur capable d'atténuer la charge émotionnelle de certains souvenirs traumatiques, utilisé comme anxiolytique « par les étudiants avant les examens ou par les artistes avant d'entrer en scène ». Les inhibiteurs de la cholinestérase, indiqués dans le traitement de la maladie d'Alzheimer, ont rendu des pilotes d'avion plus performants lors de tâches de simulation de vol. Des résultats sur la mémoire à long terme ou la flexibilité cognitive sont évoqués avec les stimulants cognitifs, « mais ils sont souvent divergents, voire contradictoires », souligne le CCNE.


La stimulation magnétique transcrânienne modifie sans contact direct l’activité cérébrale.


Les techniques de stimulation cérébrale transcrânienne non invasives, utilisées en psychiatrie (dépression, troubles de l'attention et hyperactivité), sont étudiées aussi chez les sujets non malades. Des facilitations dans divers apprentissages ont été observées, avec des effets pouvant persister plusieurs semaines. Le neurofeedback, au cours duquel la personne visualise et modifie elle-même son activité cérébrale, a aussi des effets sur l'apprentissage. Enfin l'utilisation de la stimulation cérébrale profonde, qui suppose pourtant un acte chirurgical invasif lourd (2 % à 5 % d'infection ou d'accident vasculaire cérébral), est de moins en moins une « perspective irréaliste », estime le CCNE.
Au total, il juge cependant que les études témoignent d'effets fragmentaires, qui ne permettent pas « de refléter le fonctionnement psycho-cognitif global de la personne humaine ». Le CCNE souligne que l'évaluation objective des améliorations perçues par les sujets dans la vie réelle comporte des difficultés méthodologiques majeures.
Mais il n'exclut pas que la neuro-amélioration puisse un jour être efficace. C'est pourquoi la question de l'autonomie du sujet face à l'injonction de performance est aussi abordée dans l'avis du CCNE, qui évoque divers projets de recherche soutenus aux Etats-Unis par les militaires de la Darpa. La page 17 de l'avis se concentre sur un volet plus politique encore, et peut-être le plus passionnant, « le risque d'émergence d'une classe sociale “améliorée” contribuant à aggraver encore l'écart entre les riches et les pauvres », ces derniers courant le risque in fine d'être considérés comme pathologiques ou « diminués ». Ces inégalités pourraient revêtir une dimension planétaire, entre pays ayant les moyens d'améliorer leurs populations et les autres, suggère le CCNE.
Les sages pointent à plus court terme un risque de distorion des priorités de santé, aggravé « si les ressources publiques étaient engagées » dans la recherche de l'amélioration cognitive. Il importe donc pour le CCNE que ces techniques ne se développent pas au détriment des méthodes de base de développement psycho-cognitif que sont la nutrition, l'éducation, l'apprentissage et l'activité physique régulière, « déjà si inégalement réparties ».

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