vendredi 28 février 2014

L’hypocondrie hors du DSM V, mais toujours dans les cabinets !

28.02.2014

De ces patients là, on ne parle presque jamais... sauf au cinéma ! Et pourtant, ils remplissent vos salles d’attente et envahissent la Toile. Selon un sondage récent, un peu plus d’un Français sur dix souffre d’hypocondrie mais la pathologie n’existe plus dans la classification des psychiatres, le fameux DSM V ! Reste que ces « malades » pas comme les autres, thème de la comédie de Dany Boon, en salles depuis mercredi, sont un authentique casse-tête pour leur médecin. Témoignages... 

On en a tous un dans sa salle d’attente. Celui qui a le chic pour se découvrir un cancer tous les quatre matins. Celle qui abuse du gel antibactérien. Et, depuis qu’ils sont connectés, ils n’arrivent plus seulement avec des questions mais avec… un diagnostic ! Eux, ce sont les hypocondriaques. Le dernier film de Dany Boon, « Supercondriaque », sorti en salles mercredi leur est consacré. Le portrait qu’il en fait, en se mettant lui-même en scène dans la peau d’un hypocondriaque, est certes peu flatteur mais il aura au moins le mérite de détendre les nombreux Français qui souffrent d’hypocondrie.

En effet, à en croire un sondage Ifop/Capital Images publié dimanche, un peu plus d'un Français sur dix serait dans ce cas. Alors que 32% des personnes interrogées disent avoir peur d'être atteintes d'une maladie, ou d'être en train d'en développer une, lorsque certains signes ou symptômes les inquiètent, 13% s'angoissent même en l'absence de tout symptôme.


Un phénomène tout sauf marginal qui est vécu au quotidien par les médecins que nous avons interrogés (voir aussi les résultats de http://www.legeneraliste.fr/a-vous-la-parole/sondage/2014/02/21/consider...« Des patients hypocondriaques, on en a tous », affirme le Dr Charles-Henri Guez. Généraliste à Sainte-Foy-Lès-Lyon, il estime en voir « deux ou trois par semaine ». Mais loin d’être agacé par leur présence, le Dr Guez affectionne plutôt ces patients à la fois « gentils » et « inquiets »« Ils souffrent d’une vraie inquiétude et, pour être rassurés, ils ont besoin de preuves objectives », d’où les demandes parfois pressantes d’examens complémentaires.

Alors qu’en 2012 un sondage TNS pour la Fédération Hospitalière de France (FHF) révélait qu’environ un acte sur quatre était superflu, on peut évidemment s’interroger sur la multiplication des consultations et des examens complémentaires. Le Dr Guez a la réponse : pour lui, si certains actes demandés par les patients ne sont pas « techniquement justifiés », ils le sont toujours « médicalement » parlant.

Céder ne suffit pas toujours à rassurer

Reste que quand le médecin cède et envoie les patients hypocondriaques faire des examens, cela ne suffit pas toujours à les rassurer. « On les revoit le lundi avec les résultats des analyses. Si je n’ai rien, c’est que c’est ailleurs, docteur, disent-ils. » Que faire alors pour éviter de rentrer dans un cercle vicieux ? Le Dr Guez est convaincu que la clé de la réussite est dans l’écoute. « En prenant un peu de temps, on arrive à les rasséréner ». Et de raconter le cas d’une de ses patientes qui va beaucoup mieux depuis qu’elle consulte tous les mois pour des kystes rénaux tout à fait bénins mais qui l’inquiètent. « Avant j’essayais de repousser la consultation. Aujourd’hui que j’ai accepté de la voir de façon régulière, elle est rassurée, ce qui permet de repousser la date du scanner. »
Ce militant SML verrait d’un bon œil la mise en place d’une « consultation longue de soutien » afin de s’occuper de ce type de patients. Prendre le temps, dialoguer, rentrer en contact avec son patient permettrait, selon les mots du Dr Guez, de « crever l’abcès d’inquiétude ». Comme pour cette autre femme qui se plaignait d’une sensation de boule dans la gorge : l’interrogatoire a permis de révéler que sa sœur avait souffert d’un cancer de la gorge, d’où sa peur.
Généraliste à La Guerche de Bretagne, le Dr François Le Hetet a vécu à peu près la même expérience il y a deux semaines, quand il a reçu un jeune de 23 ans victime de bouffées d'angoisses dues à la peur d’avoir un cancer. Lors de l’interrogatoire, il ne s’est donc pas limité à la description des symptômes. « Je l’ai interrogé sur sa vie, sur son enfance... J’ai donc appris que son papa avait été en prison pendant 24 mois alors qu’il était à peine âgé de 7 ans. » S’étant retrouvé dans la misère, il avait eu la sensation d’avoir été abandonné... Un diagnostic d’angoisse due à un traumatisme donc. « Aller le rechercher est productif et cela économise bien des explorations complémentaires inutiles », souligne ce Breton syndiqué à la FMF.
De son côté, le président de la FMF, Jean-Paul Hamon, qui exerce à Clamart (Hauts-de-Seine), affirme se méfier de ces patients croyant dur comme fer être atteints de maladies incurables. « J’en avais un qui avait toujours un pet de travers, de préférence un cancer ou un infarctus : il a fini par en faire un vrai à la Samaritaine ! », ironise-t-il.

Une maladie... ou un symptôme ?

Si le Dr Guez et le Dr Le Hetet savent écouter leurs patients hypocondriaques, le Dr Christine Bertin-Belot tente de venir à bout de leurs angoisses et même de les guérir. Parce que s’il y a bien une pathologie dont les hypocondriaques ne croient pas être atteints, c’est bien l’hypocondrie ! Pour cette homéopathe syndiquée au SML et installée à Besançon, les patients hypocondriaques sont son lot quotidien. « J’en vois énormément », affirme-t-elle. Et d’expliquer comment son expertise particulière lui a « facilité la vie » dans la prise en charge de ces patients.« L’hypocondrie n’est pas à proprement dit une maladie mais un symptôme, comme l’anxiété et l’angoisse, qui s’inscrit dans le trouble anxieux généralisé », explique-t-elle. De là les « plaintes multiples et disproportionnées » qui caractérisent les interrogatoires de ces patients.

Cependant, il faut toujours examiner le patient « pour éliminer une éventualité rare mais qui existe » qu’il souffre effectivement d’une maladie grave. Pour ensuite, si tout est dans la norme, « le rassurer et lui prescrire un remède adapté à sa situation ». Mais « sûrement pas des anxiolytiques ni des antidépresseurs », le Dr Bertin-Belot y est opposée. Quand elle est confrontée à ces patients, elle leur conseille plutôt de faire des exercices de relaxation ou de s’adonner à des activités comme le théâtre, utiles pour l’équilibre personnel. Et si ça ne suffisait pas, l’homéopathe les dirige vers un psychiatre ou un psychologue psychothérapeute. « Les thérapies cognitivo-coportementales marchent bien », assure-t-elle.

La Toile pour se défouler..

Mais si c’est au cabinet que les patients hypocondriaques harcèlent leur médecin, ces angoissés de la maladie se défoulent aussi sur la Toile. La preuve ? Le succès des sites d’information santé mais surtout des forums participatifs. Le Dr Dominique Dupagne en sait quelque chose. Ce généraliste parisien est, en effet, à l’origine d’une communauté web de patients : le site atoute.org qu’il a fondé en 2000. Pourtant, pour lui, l’hypocondrie n’est pas forcement liée à l’essor de l’information santé sur Internet. « Ce trouble semble aussi ancien que l’homo sapiens. Je trouve qu’il est parfaitement résumé par Woody Allen : “Tant que l’homme sera mortel, il ne pourra pas être totalement décontracté ”. Je suis plutôt empathique devant mes malades imaginaires, mais il faut reconnaître qu’ils sont épuisants », avoue-t-il.

Les hypocondriaques qu’il voit au cabinet ne sont pas si différents pourtant de ceux qu’il rencontre virtuellement sur la Toile : « Le trouble est rigoureusement le même. Les peurs et les mécanismes de l'angoisse créée par l'écoute excessive du corps sont identiques », analyse-t-il. Cependant, pour lui, si le dialogue au cabinet permet d'apaiser, au moins transitoirement, l'angoisse de l'hypocondriaque, les forums seraient beaucoup moins efficaces : « Il a besoin d'une relation personnalisée. Pour lui, son problème est unique et lire des réponses faites à d'autres ne suffit pas à le rassurer ». Une réflexion qui va dans le même sens que celle du Pr Michel Lejoyeux, psychiatre : « La seule connaissance rassurante est une connaissance personnalisée, c’est-à-dire avec le médecin ». Une façon de dire que même quand le malade est imaginaire, le médecin, lui, reste incontournable.


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