mardi 7 janvier 2014

Psychiatrie, in memoriam 2013

05/01/2014
Comme d’habitude, à l’heure du changement de millésime, The American Journal of Psychiatry offre à ses lecteurs une rétrospective de « l’année psychiatrique » écoulée, vue à travers les thèmes les plus marquants, évoqués dans la revue durant les douze derniers mois.

Les marginaux ont aussi une vie

« Il y a des leçons à tirer de ces vies », commente l’auteur à propos des marginaux vivant dans des locations au profil de confort (et de prix) inférieur. Ayant souvent connu les terribles « galères » des SDF, ces hommes et ces femmes souffrent souvent d’une problématique psychiatrique, voire d’une polypathologie : alcoolisme, addiction à une drogue, psychose… Et leur mortalité est cinq fois plus élevée que celle attendue dans leur tranche d’âge (Ratio standard de mortalité = 4,83 ; intervalle de confiance à 95 % [IC] : 2,91–8,01]) [1]. L’étude examinée concerne les quartiers pauvres de Vancouver, au Canada, mais elle pourrait s’appliquer à d’autres marginaux, car les ravages de la désocialisation sont partout comparables. Plus de la moitié de ces personnes sont psychotiques, et 50 % ont aussi une affection neurologique (comme une lésion cérébrale post-traumatique). Plus de 95 % de ces sujets ont une consommation excessive d’alcool (ou d’un autre produit). Ce sont surtout « des êtres oubliés de tous, généralement sans domicile fixe, et qui suscitent rarement l’attention des médecins, jusqu’au jour de leur décès. » Des êtres transparents, que plus personne ne voit. Et pour lesquels, trop souvent, seule la mort vient rappeler qu’ils ont eu, eux aussi, une vie.

Activité corticale chez les sujets à risque de schizophrénie

Le premier épisode marquant l’entrée dans la schizophrénie constitue souvent un «passage dévastateur. » Il serait donc important de mettre en œuvre des interventions pouvant anticiper ou retarder cette transition, mais cet objectif thérapeutique dépend de notre capacité à identifier avec précision les sujets à risque, et à cibler efficacement les perturbations des circuits neuronaux déjà présentes avant l’émergence clinique de la psychose. Publiée en 2013[2], une étude confirme que des interventions précoces appropriées pourraient modifier le cours de la schizophrénie soit par l’amélioration des effets de la pathologie, soit par celle des mécanismes compensatoires propres du cerveau. Les auteurs ont constaté que les personnes à haut risque de développer une psychose ont un « fonctionnement altéré de l’activité corticale » durant une tâche faisant intervenir la mémoire de travail verbale, « même dans l’exécution des tâches usuelles. » En outre, les altérations de l’activité corticale préfrontale dorsolatérale ont été associées à la sévérité des symptômes. On ignore cependant si ces modifications de l’activité corticale préludant à la schizophrénie reflètent la physiopathologie sous-jacente de la maladie, ou une « réponse compensatoire homéostatique » du cortex cérébral. En complément des études concernant des patients en phase précoce de psychose, ces travaux apportent « un aperçu sur une éventuelle progression du dysfonctionnement » du réseau neuronal du cortex, aux différents stades de la maladie.

Âge du père et troubles psychiatriques

On savait déjà que l’âge maternel élevé est associé à une augmentation du risque d’affections génétiques. Mais dans la perspective de la « théorie du gène égoïste » développée par Richard Dawkins dans son ouvrage Le Gène égoïste (The Selfish Gene)[3] où l’auteur revisite l’évolution et la sélection naturelle en les focalisant sur les gènes eux-mêmes, une étude sur « la sélection égoïste des spermatogonies »[4] rappelle qu’il existe aussi une association entre un âge paternel élevé et « l’augmentation du risque de plusieurs troubles psychiatriques, comme la schizophrénie et l’autisme, ainsi que de plusieurs maladies rares à dominante mendélienne. » Ce constat semble lié à « une différence importante dans la biologie sexuelle des hommes et des femmes. »
En effet, chez la femme, les cellules germinales subissent 22 divisions mitotiques avant la maturation et la méiose, alors que les cellules germinales des hommes ont une division mitotique tous les 16 jours depuis la puberté jusqu’à leur maturation et la méiose (soit environ 840 divisions vers l’âge de 50 ans). En raison de ce nombre élevé de divisions cellulaires, des erreurs de copie lors de ces mitoses peuvent affecter les gènes paternels, ce qui explique pourquoi « 80 % des mutations de novo sont d’origine paternelle. » Mais en améliorant parfois la fonction du gène, ces mutations peuvent alors fournir « un avantage sélectif aux cellules mutantes dans les spermatogonies. » Par suite, non seulement les pères plus âgés ont des gènes mutés plus fréquents, mais les lignées cellulaires « avec des précurseurs rares auront un avantage concurrentiel, par rapport aux précurseurs des spermatozoïdes dépourvus de cette mutation, et leur contribution dans le sperme deviendra plus importante. » On a observé en outre que cette augmentation du risque de troubles psychiatriques peut résider « non seulement dans l’âge plus élevé du père, mais aussi du grand-père maternel. » Cet avantage compétitif des cellules mutées dans les testicules détermine leur prolifération et «semble lié à la fois à la biologie de certains cancers et de maladies mentales. » Ces travaux ont un écho particulier dans nos sociétés, du fait d’une tendance à une élévation de l’âge paternel à la conception d’un enfant (suite notamment aux difficultés d’insertion socioprofessionnelle et à une pléthore de divorces et de familles recomposées) : comme certaines mutations tendent à s’accumuler au fil des générations, nous pouvons entrer « dans l’ère de l’augmentation du risque génétique pour certaines affections importantes d’ordre neuropsychiatrique. »

Angoisse précoce de séparation et trouble panique à l’âge adulte

« De la même façon que le développement du têtard prépare celui de la grenouille » remarque l’auteur à propos du thème suivant, le vécu d’un enfant conditionne largement celui de l’adulte. Une méta-analyse[5] publiée en 2013 le confirme, à propos de la relation significative entre troubles d’anxiété de séparation dans l’enfance et troubles paniques à l’âge adulte. Les auteurs ont analysé 25 études (prospectives et rétrospectives) portant sur près de 15 000 enfants, pour déceler d’éventuelles associations longitudinales entre un trouble d’anxiété de séparation dans l’enfance (childhood separation anxiety disorder) et une psychopathologie ultérieure : troubles paniques, troubles dépressifs majeurs, anxiété, toxicomanie... En permettant de documenter un « risque accru pour une gamme d’états d’anxiété, y compris le trouble panique, chez les adultes ayant souffert d’une angoisse de séparation dans l’enfance », cette recherche souligne la nécessité de « comprendre les processus qui sous-tendent l’anxiété au cours du développement. » Bien que le trouble d’anxiété de séparation dans l’enfance ne soit pas « associé fortement à un trouble dépressif majeur par la suite », il conditionne cependant toute une « gamme de troubles anxieux s’étendant au-delà du trouble panique. » Confirmant ainsi qu’un antécédent de trouble anxieux de séparation dans l’enfance (abandonnisme, contexte insécure) peut « augmenter de façon significative le risque futur de trouble panique ou de tout type de trouble anxieux », cette recherche plaide pour rattacher certains troubles anxieux aux aléas psychopathologiques du développement, et orienter par conséquent les psychothérapies dans cette direction privilégiée. Mais les psychiatres (et en particulier ceux de formation psychanalytique) n’avaient pas attendu cette incitation de la recherche épidémiologique pour accréditer cette hypothèse de l’enracinement précoce des troubles anxieux et aménager leurs thérapies dans ce sens.

Bien vieillir : importance de la résilience

Nous constatons l’impact du baby-boom d’après-guerre sur l’expansion actuelle d’un «papy-boom. » Or pour rappeler que la qualité de la vie devrait l’emporter sur la simple longévité, on a dit que l’important est moins « d’ajouter des années à la vie que d’ajouter de la vie aux années. » Et si des travaux antérieurs mettaient surtout l’accent sur la conservation d’une bonne santé physique comme gage d’un vieillissement «optimal », une étude menée en 2013 (sur 1 066 personnes âgées de 50 à 99 ans, avec un âge moyen de 77,3 ans)[6] montre que l’avancement en âge est « associé de façon surprenante » avec une meilleure perception personnelle d’un vieillissement réussi, malgré l’altération de la santé somatique et du fonctionnement cognitif avec l’âge. Le constat optimiste de cette nouvelle publication, c’est qu’en dépit des risques connus d’altérations physiques et d’affaiblissement cognitif lors du vieillissement, il faut toujours « garder l’espoir que les capacités de résilience et la qualité de la vie demeurent accessibles aux personnes âgées », en particulier grâce à des «interventions fructueuses pour réduire la dépression et optimiser la santé psychologique. »

La durée des rechutes est préjudiciable pour le cerveau  du schizophrène

La recherche en psychiatrie s’oriente désormais vers une quête de biomarqueurs et de signes paracliniques, en particulier grâce aux progrès considérables de l’imagerie cérébrale (comme la tractographie). Dans cette démarche, une étude récente[7] (exploitant les données d’une enquête longitudinale) a évalué la diminution du volume cérébral (objectivée par l’imagerie) dans la schizophrénie, en comparant notamment l’incidence du traitement antipsychotique, du nombre de rechutes, et de leur durée. Cette recherche révèle des « faits cliniquement pertinents » : parmi 202 patients, 157 (soit 77,7 %) ont rechuté au moins une fois au cours de cette étude pluriannuelle, tandis que 29 (soit 14,4 %) n’ont connu aucune rechute, et que 16 (soit 7,9 %) sont « restés si activement psychotiques qu’une rémission n’a pas été possible. » Au début de la maladie, on constate que les rechutes sont plus fréquentes, mais d’une durée relativement courte. Ultérieurement, ces rechutes se font au contraire plus rares, mais leur durée augmente alors chez certains patients. Les auteurs de l’étude ont établi que la durée des rechutes constitue le facteur « le plus important dans la perte de volume cérébral au fil du temps », même si le nombre de rechutes contribue aussi, mais plus faiblement, à cette dégradation progressive du cerveau. Et en fonction de la durée des rechutes, ces pertes de volume cérébral se révèlent « les plus marquées pour le lobe frontal et la substance blanche. » L’effet des médicaments neuroleptiques est plus modeste, et il est surtout « réparti entre les diverses régions du cerveau et ne se concentre pas principalement sur le lobe frontal. » Ces observations serviront à «orienter la recherche sur les mécanismes de vulnérabilité cérébrale » impliqués dans la schizophrénie (en particulier à explorer davantage la « vulnérabilité régionale spécifique du lobe frontal ») et d’un point de vue clinique, en pratique, à s’efforcer de réduire au maximum la durée des rechutes, puisque c’est l’élément particulièrement préjudiciable pour le patient.

Circulation des armes et santé mentale

Comment endiguer la violence armée ? « Last but not least », c’est le dernier thème évoqué, mais non le moindre au pays de l’Oncle Sam où la libre détention des armes à feu est un droit constitutionnel, censé garantir la pérennité de la démocratie ! Conséquence logique du drame qui a endeuillé les États-Unis en décembre 2012 (quand un tireur de 20 ans a perpétré un massacre à l’école de Sandy Hook, Connecticut) : l’année 2013 fut marquée par le débat sur la législation trop permissive en matière d’armes à feu. Les Américains sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur le bien-fondé de cette législation aux effets détonants (au propre comme au figuré), d’autant plus que les armes actuelles (fusils semi-automatiques, armes de guerre) ont une puissance de feu incomparable avec celles des armes disponibles à l’époque de l’adoption du fameux Second Amendement (1791). Mais si ces tueries dramatiques donnent à réfléchir, les mentalités ne semblent pas près de changer dans les faits, puisqu’en 2008, la Cour Suprême des États-Unis a réaffirmé le droit de chaque Américain à détenir des armes... La société américaine reste donc divisée sur ce sujet explosif, malgré le caractère manifestement inadapté d’une législation conçue en un temps où l’autodéfense pouvait se justifier, dans une société de pionniers aux forces de l’ordre encore embryonnaires. Un autre aspect du débat concerne les liens présumés entre les maladies mentales et une appétence (supposée plus forte) pour les armes : sans preuve à l’appui, les media ont présenté ainsi le tueur de Sandy Hook comme un «malade mental » ou un « autiste. » Quoi qu’il en soit, et bien que la maladie mentale ne soit pas « associée de façon significative avec la violence, sauf en cas d’addiction supplémentaire à une drogue », la possibilité que des malades mentaux fassent un mésusage des armes qu’ils détiennent reste une épée de Damoclès pour la société américaine, d’où le défi pour les psychiatres de repérer les sujets à risque de passage à l’acte. Sans surprise, comme contributeurs potentiels à une éventuelle violence armée, on a observé que les deux principaux clignotants rouges sont l’effritement de la cohésion sociale et celui de la communication. D’où l’intérêt de développer des programmes de prévention chez les jeunes, avec l’ambition de contrer cette « culture de la violence. » Les spécialistes de ce problème soulignent donc l’importance d’une approche visant à promouvoir la cohésion sociale et la nécessaire implication de tiers[8] : plutôt que de laisser croître chez les uns l’isolement et la marginalisation, et chez les autres la peur et le rejet, les psychiatres « doivent préconiser auprès des citoyens des efforts d’intégration de leurs propres pairs. » En d’autres termes, on ne sortira de la spirale infernale de la violence armée que par un meilleur agrément du « vivre ensemble. » Popularisé aux États-Unis par un livre d’Hillary Clinton[9], un dicton résume explicitement ce rôle crucial de la socialisation pour l’équilibre psychique d’un sujet : «Il faut un village pour élever un enfant. »
[1] F. Vila-Rodriguez & col. : “The hotel study: multimorbidity in a community sample living in marginal housing”  Am J Psychiatry 2013; 170:1413–1422.
[2] SN Yaakub & col. : “Preserved working memory and altered brain activation in persons at risk for psychosis” Am J Psychiatry 2013; 170:1297–1307.
[3] ht tp://fr.wikipedia.org/wiki/Le_G%C3%A8ne_%C3%A9go%C3%AFste
[4] A Goriely & col.: “Selfish spermatogonial selection”: a novel mechanism for the association between advanced paternal age and neurodevelopmental disorders. Am J Psychiatry 2013; 170:599–608.
[5] J Kossowsky & col.: “The separation anxiety hypothesis of panic disorder revisited: a meta-analysis” Am J Psychiatry 2013; 170:768–781.
[6] DV Jeste & col.: “Association between older age and more successful aging: critical role of resilience and depression” Am J Psychiatry 2013; 170:188–196.
[7] NC Andreasen & col.: “Relapse duration, treatment intensity, and brain tissue loss in schizophrenia: a prospective longitudinal MRI study” Am J Psychiatry 2013; 170: 609–615.
[8] L. Bazzi: “Rethinking our approach: a cry against gun violence” Residents’ Journal: A publication of the
American Journal of Psychiatry, July 2013, pp 15–16.http://ajp.psychiatryonline.org/data/Journals/AJP/
927182/RJ_July_2013.pdf
[9] http://en.wikipedia.org/wiki/It_Takes_a_Village
Dr Alain Cohen

RÉFÉRENCES
Freedman R et coll.: 2013 in Review. Am J Psychiatry, 2013; 170:1388–1392.

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