jeudi 16 janvier 2014

Les hémophiles mettent des mots sur les maux

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 
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Les patients atteints d'hémophilie sévère savent décrire les signes avant-coureurs de l'hémorragie.
Les patients atteints d'hémophilie sévère savent décrire les signes avant-coureurs de l'hémorragie. | Dave Mc Carthy & Annie Cavannagh

Prévenir les hémorragies : l’enjeu est capital pour les personnes touchées par l’hémophilie, une maladie qui affecte 6 000 personnes en France et s’exprime lors d’accidents hémorragiques qui ont des conséquences plus ou moins graves. Mais alors que le médecin utilise six signes pour décrire l’hémorragie (rougeur, douleur…), les patients en emploient au moins vingt-cinq.
Partant de ce constat, les professeurs Jean-François d’Ivernois et Rémi Gagnayre, qui dirigent le laboratoire de pédagogie de la santé à l’université Paris-XIII, pionnier de l’éducation thérapeutique, et l’Association française des hémophiles (AFH), ont lancé une recherche pour analyser « comment les mots de patients peuvent venir enrichir la science médicale », selon le professeur d’Ivernois.
L’idée était de s’inspirer de travaux portant sur le diabète où des patients, sans avoir été formés ni même invités par leur médecin, arrivent à reconnaître de tous petits signes révélant une petite élévation de leur glycémie. Certains parviennent même à donner leur taux précis.

« DU COTON, UN POIDS, DE L'ÉLECTRICITÉ... »
Dans l’étude sur l’hémophilie, neuf hommes « sentinelles » ont été sélectionnés, porteurs d’une hémophilie sévère. Au cours d’entretiens, ces patients décrivent les signes avant-coureurs de l’hémorragie en ayant recours aux images et aux mots-clés pour traduire ce qu’ils ressentent.
« Du coton, un poids, de l’électricité… » autant de sensations annonciatrices, de métaphores. Ils élaborent une sémiologie personnelle souvent très différente de celle des soignants. Les chercheurs ont mis en évidence des similitudes avec le vocabulaire utilisé en œnologie, notamment autour de la dégustation. Puis une « sémiologie-patient » a été mise en place avec un lexique catégorisé de mots.
Ensuite, 32 ateliers ont été organisés avec des soignants, des membres de l’AFH et des patients, le but étant que ces derniers – une trentaine y ont participé – soient plus à l’écoute de leur corps et bénéficient de ce corpus de mots pour décrire leurs symptômes. « L’enjeu est très important : il s’agit de mieux surmonter les crises. Dans tous les cas, un patient éduqué suit mieux son traitement », explique Thomas Sannié, président de l’AFH.
« La majorité des patients ressentaient des choses sans mettre des mots dessus », explique Jean-Charles Verheye, chercheur au laboratoire de recherche de l’université Paris-XIII. Il ressort de cette recherche que « la parole des patients est d’or pour les autres malades », explique le professeur d’Ivernois, qui se dit convaincu qu’« ils ont un savoir qui n’est pas répertorié, qui n’est pas mis au profit de la recherche médicale. Mais nous en sommes au début de la légitimation du savoir des patients. »
Cette recherche devrait être étendue à des modules d’éducation thérapeutique centrés sur la perception des signes précurseurs sur une population plus large de patients hémophiles. De même, ce modèle de sémiologie personnelle pourrait être adapté à d’autres pathologies chroniques.

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