mercredi 30 octobre 2013

Parents déboussolés cherchent coaching

LE MONDE Par 


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. | Séverin Millet

Autour de la table sont rassemblés six femmes et un homme qui ne se connaissent pas, n'ont pas le même âge et viennent d'horizons divers. Pourtant, ils se comprennent parfaitement. Ils sont tous parents d'adolescents et c'est pour cela qu'ils sont réunis, un samedi après-midi, au café de l'Ecole des parents, dans le 11e arrondissement de Paris. Sous l'appellation un peu désuète héritée des années 1930, se cache un lieu convivial où se tiennent régulièrement des rencontres entre parents animées par des psychologues.

L'objectif : partager des expériences et s'entraider. Il s'agit de l'une des formes les plus en vogue de soutien à la parentalité. Cette politique publique naissante fait l'objet d'une demande de plus en plus forte des parents, et d'un soutien nouveau du gouvernement : les crédits d'Etat ont été doublés, passant de 50 à 100 millions d'euros par an. Le thème de cet après-midi, adolescence et autorité, figure en tête des préoccupations. Mais ce n'est pas la seule. Parmi les sujets d'échanges à l'agenda cet automne : la séparation des parents, l'épuisement des parents de jeunes enfants, etc.

Chacun commence par décrire sa situation – les enfants dont il est question sont tous âgés de 13 à 15 ans. Les deux fils de Sophie (les prénoms ont été modifiés) « ne respectent pas les horaires, ne mangent pas avec nous, sont tout le temps sur l'ordinateur ». Anne vient d'interdire son fils d'ordinateur dans l'espoir de sauvegarder sa scolarité. « Tous les jours, il me le demande », confie-t-elle d'une voix lasse. Thérèse doit composer avec un adolescent « toujours en opposition » et se dit « épuisée ». Le fils de Katie « dérive vers la violence quand on lui dit non »« Je suis un peu paumée, avoue-t-elle, donc je viens ici. » Sophie dit « ne plus avoir de maîtrise » sur ses jumeaux, dont l'un décroche scolairement. Henri est venu simplement parce « l'autorité tous les jours » avec sa fille, « c'est pas évident ».
« AVEC MES ENFANTS, C'EST PLUS COMPLIQUÉ… »
L'âge ne fait rien à l'affaire : la plus jeune mère a 43 ans, et la plus âgée 57. La profession ou le statut social non plus. Sandrine est médecin, Katie travaille dans le luxe, Thérèse au ministère de la justice, plusieurs sont travailleurs sociaux auprès de jeunes. « Je sais bien m'y prendre avec les enfants des autres, sourit Henri.Avec les miens, c'est plus compliqué… » Murmures d'approbation autour de la table.
Les difficultés pour communiquer avec leurs enfants se retrouvent vite au centre de la conversation. Ainsi que l'ordinateur, grand sujet de crispation. Face à cet ogre, ils ne savent comment lutter. Certains se sont rendu compte que les écrans étaient rallumés la nuit. Alors ils endiguent comme ils peuvent. « Le soir, je dis à ma fille : “rends-moi tes armes !”, sourit Henri. Tout est confisqué. » Mais ils culpabilisent. « Mon fils m'a dit : “Maman, tu m'enlèves ma vie !”, raconte Anne. C'est vrai que je ne me rends pas compte de ce qu'est sa vie. Je ne sais plus juger de ce qui est bien pour lui. » Ils ont « tout leur univers dans ces petites boîtes », relève Claire. « Nous n'avons pas connu ça, relève Katie. Donc c'est difficile de se repérer sur ce qu'on n'a pas vécu. »
De temps à autre, la psychologue intervient et rassure. Les adolescents sont des « handicapés du verbe, commence par expliquer Nathalie Isoré, psychologue, responsable du café de l'Ecole des parents. Constitutivement, ils ont besoin d'être centrés sur eux-mêmes et en opposition par rapport à leurs parents.C'est un passage obligé pour devenir grand. Aujourd'hui, ils s'enfuient dans les jeux vidéo, les générations précédentes le faisaient aussi, mais ailleurs. »
« J'AI PEUR D'ÊTRE CASTRATRICE »
Dans le groupe, les méthodes éducatives sont diamétralement opposées : règles strictes pour les uns, laxisme avoué pour les autres. « J'ai eu des parents très autoritaires, dit Claire. A mes enfants, je donne tout, tout de suite. » De son côté, Katie a eu une éducation « post-68 » qu'elle a reproduite : « Je n'ai aucune autoritéMon ex-mari est aussi dans une permissivité totale. Mon nouveau compagnon est le seul qui cadre mon fils. »Résultat, la tension monte et la vie commune du couple est remise en cause.
La vie n'est pas plus simple pour les parents autoritaires. Ils n'obtiennent pas de meilleurs résultats et vivent mal leur rôle de censeur. « J'ai peur d'être castratrice », dit Anne, qui veut être « autoritaire pour deux » car elle élève seule ses enfants. « J'ai l'impression de ne pas lui laisser d'espace pour grandir, regrette Thérèse. Et quand je m'énerve, je peux avoir un discours dévalorisant. »
Ils se retrouvent sur un point : dire non est une épreuve. « Il faut avoir la force, prendre le temps », résume Anne. « On ne refuse pas certaines choses pour avoir la paix, renchérit Katie. On a des vies actives de plus en plus denses, on est exténué. Leur mettre des barrières, ça fait du travail en plus. » La famille élargie ne prend pas le relais. « Les familles sont recomposées, éclatées,observe Katie. Dans les grandes villes, on se retrouve souvent très seul. »
PAS DE SOLUTIONS CLÉS EN MAIN
Tous se remettent en question. « Pourquoi êtes-vous convaincus de mal faire ?, lance Nathalie Isoré. Pensez à tout ce que vous leur avez apporté ! » Sur un papier, elle dessine un schéma avec en abscisse « l'écoute » et en ordonnée « l'autorité »« Il y a toute une gamme de postures entre l'empathie excessive et la règle excessive, explique-t-elle. L'idéal est de trouver un équilibre. » Pas de solutions clés en main, donc, mais des outils pour réfléchir.
« Les parents sont en recherche de conseils “tout faits”, explique Tiphanie Héliard, une autre psychologue de l'Ecole des parents.Nous cherchons des solutions qui s'appuient sur leurs compétences. » A la sortie, les parents n'ont pas trouvé la martingale, mais sont ragaillardis. « Ça aide à avancer », dit Anne. « C'est intéressant d'écouter les autres, témoigne Henri. Et ça fait du bien de voir qu'on n'est pas seul. »

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