jeudi 17 octobre 2013

«Debout à cinq heures pour 300 euros»

TONINO SERAFINI ENVOYÉ SPÉCIAL À NOISY-LE-GRAND


Sabrina cherche un emploi à temps partiel, pour «avoir un salaire» bien sûr et «continuer à s’occuper» de ses deux enfants de 4 et 6 ans. Elle est sur une piste pour «travailler comme auxiliaire de vie dans une maison de retraite». Elle toucherait 560 euros sur la base d’un mi-temps rémunéré au Smic, un complément de revenu sous forme de RSA-activité de 399 euros, et les 128 euros d’allocations familiales (que perçoivent tous les foyers, y compris les plus riches). Soit un total de 1 087 euros pour que cette femme séparée fasse vivre sa famille de trois personnes. Des ressources inférieures au seuil de pauvreté. Sabrina habite un quartier défavorisé de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis). Elle fréquente un atelier de recherche d’emploi créé par ATD Quart Monde il y a une quinzaine d’années. «Nous accompagnons une centaine de personnes dans leurs démarches pour trouver du travail», indique Charles Muller, un retraité bénévole qui dirige cet atelier. L’association, qui publie à l’occasion de ce 17 octobre, Journée mondiale de lutte contre la misère, un livre qui déconstruit les idées reçues sur les pauvres (lire ci-contre), démonte ainsi par son action de terrain le cliché selon lequel«les pauvres ne veulent pas travailler».
«Écoute». A l’atelier, dans une grande salle lumineuse, des ordinateurs permettent d’écrire des CV, de chercher des offres d’emploi, des coordonnées d’entreprises ou de boîtes d’intérim. Les gens viennent pour affiner leur projet professionnel, prendre des conseils pour améliorer leur CV, recevoir un appui pour leurs recherches, et aussi du soutien moral. «Quand vous venez ici, on vous écoute. On se sent un peu valorisé, dit Farid, 51 ans, sans emploi depuis l’an dernier. C’est très, très, très difficile de trouver du boulot. Vous téléphonez, vous écrivez, vous envoyez des CV et vous attendez des réponses qui ne viennent pas», dit-il à l’adresse de ceux qui suspectent les chômeurs de profiter du système. Avant, il travaillait comme réparateur de machines de nettoyage, avant que son entreprise ne mette la clé sous la porte en 2012. Farid a commencé à travailler à l’âge de 18 ans, après un CAP de mécanicien fraiseur. En trente-trois ans d’activité, il a connu sept entreprises : il a travaillé en mécanique, comme chauffeur livreur, a fait un passage par la restauration avant de devenir réparateur de machines.«A chaque fois j’ai trouvé du travail par connaissance ou par le bouche-à-oreille. Jamais par l’ANPE [ancien nom de Pôle Emploi, ndlr]».
Farid a un cursus professionnel assez stable, comparé à nombre de personnes qui fréquentent l’atelier de recherche d’emploi. Beaucoup ici n’ont ni diplôme, ni qualification. Depuis leur entrée dans la vie active, ils sont allés de boulot en boulot, de CDD en mission d’intérim, ont travaillé chez des sous-traitants ou dans les secteurs d’activité où le code du travail est parfois malmené : BTP, restauration, nettoyage, déménagement. «On m’appelle au coup par coup, selon les besoins. Je travaille une, deux ou trois semaines par mois. Mon salaire peut varier du simple au triple. Des fois je suis bien payé, mais pas déclaré. Mais je me dis que travailler c’est mieux que rien», dit Johann, 24 ans, qui«bosse» comme déménageur. 
«Esclavage». Sabrina raconte de son côté qu’elle a travaillé pendant cinq ans dans une entreprise de nettoyage. «On bossait de 6 heures à 8 h 30. Je me levais à 5 heures pour être au boulot, pour un salaire de 300 euros par mois. Des collègues qui venaient de plus loin se levaient à 4 heures. Ce n’était pas du nettoyage, mais de l’esclavage», dit-elle. Les pauvres sont les premiers touchés par la précarisation du marché du travail. «Il nous arrive d’avoir des offres d’emploi pour des contrats de deux jours pour des inventaires, de la distribution de prospectus, des chantiers, de l’animation commerciale…», souligne Charles Muller.«Dans ma vie, j’ai fait du toilettage d’animaux, surveillante de cantine scolaire, serveuse, commis de cuisine, femme de ménage… Quand on cherche du travail, les annonces c’est des CDD de quelques mois», dit Cathy , la quarantaine, qui a longtemps fréquenté l’atelier de recherche d’emploi de Noisy-le-Grand. «Quand on n’a pas de formation précise, on est condamné à des petits boulots. Parfois je collais des annonces au Super-U ou à Carrefour pour proposer des ménages, du repassage…»Néanmoins elle a toujours vécu de son travail. «Moi j’ai deux enfants, je n’ai pas beaucoup d’allocs, je ne vis pas de ça», répond-elle quand on l’interroge sur la suspicion de «profiteurs d’allocs» qui pèse sur les pauvres. «A ceux qui racontent des conneries comme ça, je leur demanderais bien de venir passer une semaine ici !», s’énerve de son côté Charles Muller.
Après plusieurs missions en contrat aidé, Cathy va bientôt «être embauchée en CDI» par TAE (Travailler et apprendre ensemble), une entreprise de récupération et de revente d’ordinateurs usagés créée par ATD Quart Monde. Les appareils sont donnés par des grandes entreprises : EDF, Mondial Assistance, Seb, Bon Marché… Cathy nettoie les unités centrales, vide les disques durs, rajoute si besoin de la mémoire, restaure des fichiers. Elle a acquis ces qualifications au contact de ses collègues. «Contrairement aux autres entreprises, à TAE on a aussi des patrons, mais on a quand même notre mot à dire», dit-elle.
 Photos Jean-Michel Sicot

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