vendredi 5 juillet 2013

Congé parental : "J'étais le seul père au parc, ça intriguait les autres mamans"

LE MONDE | Par 
Florian Bricogne et son fils. Le jeune papa dit ne s'être jamais senti "aussi utile" que lors de son congé parental.
Florian Bricogne et son fils. Le jeune papa dit ne s'être jamais senti "aussi utile" que lors de son congé parental. | Nicolas Krief pour Le Monde
A un moment ou à un autre, ils sont tous passés pour des originaux, des types un peu bizarres. De fait, ils sont très peu nombreux. Le congé parental, qui permet de s'arrêter entre six mois et trois ans pour s'occuper de ses enfants et concerne 523 000 personnes, est pris à 97 % par les mères. Ils font partie des 3 % restants, de ces pères paternants que la ministre des droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, souhaite de plus en plus nombreux. Son projet de loi "pour l'égalité entre les femmes et les hommes", présenté mercredi 3 juillet en conseil des ministres, réforme dans cet objectif le congé parental : six mois devront obligatoirement être pris par le "deuxième parent", sinon ils seront perdus.
Eux n'ont pas attendu la loi. "Mon épouse venait de réussir le concours d'infirmière et nous n'avions pas de places de garde pour nos deux filles,raconte Ruben Gomba, un militaire de 35 ans basé dans le Cher, qui s'est arrêté six mois. Je voulais qu'elle réussisse cette école et s'épanouisse. J'ai vu ma mère galérer pour élever ses cinq enfants. Elle avait des regrets. Je ne voulais pas que ma femme en ait aussi." De leur côté, Florian Bricogne, 37 ans, et sa compagne Dominique, des informaticiens installés en Seine-et-Marne, redoutaient de confier leur fils âgé de 6 mois à des mains étrangères. Elle gagnait plus que lui, Florian s'est arrêté. "Quand on est père, le lien avec l'enfant est difficile à établir, ajoute-t-il. J'avais envie de créer quelque chose de fort."

C'est à la fois l'envie de donner une "sécurité affective" à ses enfants et sa propre frustration qui ont décidé Gildas, 37 ans, cadre dans une collectivité locale du Nord. "Notre premier est allé à la crèche dès 3 mois, il pleurait tous les matins, se souvient le jeune homme. Quand la deuxième est née, j'ai fait le choix de m'en occuper, au lieu de passer mon temps à bosser et à courir pour l'amener trop tôt et aller la chercher trop tard."
Ce n'est pas qu'ils n'aimaient pas leur travail. "J'étais en pleine ascension professionnelle, se souvient Anthony Papin, attaché territorial dans le Maine-et-Loire. Ça me plaisait. Mais les enfants, c'est important." Avec son emploi "énergivore et chronophage", il n'avait "pas vu grandir" sa première fille. Ce n'est pas non plus qu'ils avaient attendu ce moment toute leur vie. "Avant que les jumelles n'arrivent, je ne voulais pas entendre parler d'enfants, se souvient Thomas Duyck, 26 ans, créateur de sites Internet installé dans un petit village du Jura. Quand j'ai commencé à les sentir bouger dans le ventre de ma chérie, tout a changé."
"JE NE ME SUIS JAMAIS SENTI AUSSI UTILE"
Dans ces couples au fonctionnement "égalitaire", les épouses ou compagnes ont été "enchantées" de pouvoir se consacrer à leur carrière, affirment leurs conjoints. Autour d'eux en revanche, ils ont senti de la curiosité. "J'étais le premier sur ma base à faire cette demande, souligne Ruben. C'était la même chose avec les autres mamans . J'étais le seul père au parc, ça les intriguait."
Parfois, ils ont rencontré l'incompréhension. "Il faut avoir confiance en soi et faire abstraction de ce que la société pense qu'un homme doit faire, résume Gildas. L'un de mes supérieurs n'a pas compris. Il avait sacrifié sa vie privée pour son travail. Il était chamboulé par mon choix et a cherché à se justifier." Florian, qui a recommencé à travailler mais reste à temps partiel pour s'occuper de son fils le mercredi, reçoit de temps en temps des"piques" à ce sujet. Anthony se souvient s'être fait traiter de "feignasse vivant aux crochets de sa femme". Mais ils ont aussi fait beaucoup d'envieux. "Mes collègues directs, tous des hommes, ont trouvé ça super,affirme Florian. Tout le monde a envie de passer plus de temps avec ses enfants." "Beaucoup de pères m'ont dit : 'J'aurais aimé le faire, mais je n'ai pas pu', ou 'Ma femme ne veut pas'", renchérit Anthony.
A les entendre, ils ont de quoi être jalousés. "Je ne me suis jamais senti aussi utile", dit Florian. "Ce n'est ni une corvée ni un sacrifice, mais au contraire une période très enrichissante", affirme Thomas, qui a même créé un site de conseils et d'échanges (papalamaison.fr) consacré au sujet. Anthony parle d'un "grand bonheur""On apprend à câliner, à être là au quotidien, détaille-t-il. La petite enfance, ce sont des moments qu'on ne voit qu'une fois." Ils ont appris à quel point s'occuper d'enfants demande"de l'énergie, de la patience et de l'imagination", résume Gildas. Il faut en plus s'occuper des courses, de la lessive et du ménage. "Ça permet de voir que s'occuper des enfants, ce n'est pas juste rester à la maison, c'est beaucoup de boulot", relève Ruben. "C'est un vrai travail, affirme Gildas.Beaucoup de mères au foyer souffrent du manque de reconnaissance de leur mari et de la société."
"C'EST ENCORE MAL PERÇU"
Eux n'ont aucun regret. Certains ont repris leur emploi là où ils l'avaient laissé, d'autres ont pris du retard, mais le prennent avec fatalisme, car ils s'y attendaient. Anthony cherche un emploi et constate à quel point son arrêt de plusieurs années est un handicap lors des entretiens. "C'est encore mal perçu, quel que soit le sexe du parent qui a pris le congé, regrette-t-il.J'essaie de mettre en valeur mes compétences en ressources humaines. Avec mes quatre enfants, j'ai développé mon sens de l'écoute et ma capacité de persuasion."

Inciter les hommes à prendre une partie du congé parental leur semble une bonne idée. "Si on veut vraiment l'égalité entre les sexes, les hommes doivent s'arrêter aussi, dit Gildas. Aujourd'hui, leur place dans l'éducation des enfants n'est pas reconnue." Pour Florian, les pères ont besoin d'être mieux informés : "Certains m'ont demandé si j'avais le droit de prendre le congé parental !" Mais l'indemnité versée est faible (573 euros mensuels). Ces familles se sont serré la ceinture. Souvent, les femmes gagnaient la même somme ou davantage que leur compagnon. "Tant que les hommes gagneront en général plus que les femmes, ça risque de ne pas bouger beaucoup", conclut Florian.

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