mercredi 24 avril 2013

Trichotillomanie: quand s’arracher les cheveux devient une obsession
Publié le 11/04/2013

Les personnes souffrant de trichotillomanie consultent essentiellement des dermatologues, alors qu’en fait, il s’agit d’un trouble psychiatrique. Récemment, les données scientifiques relatives à cette maladie, qui semblait jusque-là quelque peu négligée, se sont étoffées. Celles-ci laissent penser que l’arrachage compulsif des cheveux touche plus de monde que ce que l’on pensait initialement. La plupart des jeunes enfants en proie à ce trouble développent une forme limitée de la maladie, associée à un pronostic favorable, tandis que les patients adultes qui consultent pour un problème de trichotillomanie présentent généralement une forme étendue. Chez ces derniers, l’arrachage des cheveux a davantage un caractère obsessionnel, est associé à une psychopathologie sousjacente et constitue un problème chronique. Il est indiqué de distinguer la trichotillomanie d’autres formes de chute des cheveux. Diverses approches permettent d’influencer positivement l’évolution de ce trouble compulsif. Des études randomisées à plus grande échelle sont nécessaires.

Les patients qui s’arrachent les cheveux constituent un groupe hétérogène

Globalement, on peut distinguer deux sous-groupes de patients trichotillomanes (1, 2). Le plus grand se compose d’enfants de 6 à 12 ans qui développent une forme limitée de la maladie. Le deuxième groupe, plus petit, englobe des adolescents et des jeunes adultes. Ceuxci présentent généralement une forme plus sévère et plus étendue de trichotillomanie (TTM) (1).
Bien que certains auteurs considèrent les formes infantile et adulte de la TTM comme deux entités distinctes, la situation n’est pas Claire, dans la mesure où certains patients présentent des formes mixtes de la maladie (1). Certains patients développent l’étrange habitude de mâcher et puis d’avaler les cheveux qu’ils s’arrachent (2), une pratique qui peut donner lieu à la formation d’un égagropile ou bézoard. Celui-ci grandit progressivement et cause alors des maux de ventre, des nausées et des vomissements (2). Phénomène rare, le syndrome de Raiponce* se caractérise par la formation d’un bézoard gastrique qui s’étend jusque dans l’intestin et cause une obstruction intestinale ou une perforation (2).
Figure 1: Image histologique typique de trichotillomanie: trichodysplasie avec cheveux tortueux difformes et tractus fibreux résiduel pigmenté. 
Une pancréatite a également été décrite comme complication (1).

Arrachage des cheveux: automatisme ou obsession ?

Les raisons qui poussent les gens à s’arracher les cheveux peuvent aussi être très diverses. La plupart des enfants, mais aussi certains adultes, souffrant de TTM s’arrachent les cheveux de manière automatique pendant qu’ils font autre chose, par exemple lorsqu’ils lisent, regardent la télévision ou se concentrent sur l’ordinateur.

Ces enfants peuvent également présenter d’autres tics, comme le fait de se ronger les ongles ou de sucer son pouce. L’arrachage se fait surtout inconsciemment, mais peut toutefois constituer une réaction à des événements stressants dans l’enceinte familiale ou scolaire. Les enfants peuvent par exemple être un peu angoissés à la suite d’un déménagement ou d’un divorce, ou être confrontés à des difficultés d’apprentissage.
Par rapport aux patients adultes souffrant de TTM, les problèmes émotionnels associés sont beaucoup moins prononcés chez ces enfants (1, 2). La plupart des adultes souffrant de TTM sont bien conscients de leur besoin obsessionnel de s’arracher les cheveux (1).
Figure 3: Repousse des cheveux après 4 séances. 
Ils indiquent ressentir un sentiment de tension ou d’angoisse qui s’amplifie progressivement jusqu’à ce que l’envie de s’arracher les cheveux devienne irrésistible. Le passage à l’acte leur procure un sentiment de soulagement (1). Parfois, la sensation de tension/soulagement n’est pas présente (3). La majorité des patients souffrant de TTM s’arrachent les cheveux tous les jours ou presque, une activité qui peut leur prendre facilement plusieurs heures par jour (1).
Certains patients s’adonnent à cette activité à un moment précis ou à un endroit spécifique de leur maison, lui conférant ainsi un caractère rituel (1). Plus de la moitié des patients choisissent d’abord les cheveux qui sont quelque peu différents au toucher, comme les cheveux plus raides ou plus épais (1). Mais pour pouvoir enlever ces derniers, ils doivent également en arracher d’autres. Chez ces patients ayant une obsession de l’arrachage, il existe un risque nettement supérieur de trouble psychiatrique complémentaire prononcé.
Celui-ci peut prendre diverses formes: trouble anxieux, dépression, trouble panique, trouble obsessionnel compulsif, alcoolisme, toxicomanie ou trouble de l’alimentation (1, 3). Des troubles de la personnalité, du type trouble borderline, peuvent aussi être associés à la TTM (1).

Cheveux, arrachage et manie

Le terme «trichotillomanie», construit sur la base des mots grecs «thrix» (cheveux), «tillein» (tirer) et «mania» (manie), a été utilisé pour la première fois en 1889 par le dermatologue français François Henri Hallopeau (1).
Figure 4: Garçon de 12 ans avec trichotillomanie étendue. 
Plus de 100 ans après, l’épidémiologie, la cause et la meilleure approche de cette maladie ne sont toujours pas claires (1).
Depuis le premier cas rapporté par Hallopeau, plusieurs cas ont été décrits tant dans la littérature pédiatrique que dermatologique. Dans les revues de gastro-entérologie ou de chirurgie, seules les complications spectaculaires d’un trichobézoard ont été décrites. Jusqu’avant 1990, on pensait que la TTM était une maladie rare (1). Les connaissances en la matière se sont développées par la suite, mais les données relatives à l’épidémiologie divergent toujours fortement, allant d’une fréquence extrêmement faible à 1 personne sur 200 à l’âge de 18 ans (1).
La fréquence semble toutefois être en constante augmentation. D’après certains, ce phénomène est dû au fait qu’aujourd’hui, les gens osent chercher plus rapidement une assistance professionnelle en raison de l’attention médiatique croissante accordée à la maladie (1). Les enfants de 5 à 12 ans constituent vraisemblablement l’immense majorité des patients, mais la fréquence exacte de la maladie dans ce sous-groupe n’est pas connue (3). Dans la population adulte, la TTM touche nettement plus les femmes (1). Il se peut que la fréquence chez les hommes soit sous-estimée, du fait qu’ils peuvent masquer plus facilement les zones dégarnies en se rasant le crâne (1).
Nos confrères psychiatres classent la TTM dans la catégorie des troubles du contrôle des impulsions. La cause exacte de la TTM n’est pas connue pour l’instant. Tout comme l’onychophagie et la scabomanie, la trichotillomanie est liée à une forme de «grooming» excessif. Le terme «grooming» fait référence au fait de se toiletter et de s’inspecter mutuellement la fourrure, une pratique que l’on observe fréquemment chez les singes. Pour les animaux, il s’agit d’une forme d’hygiène et de contact social. Certains auteurs soulignent que dans le sous-groupe des patients chez qui l’arrachage des cheveux constitue une véritable obsession, la TTM s’apparente à un trouble obsessionnel compulsif (1). Des scans cérébraux ont montré que les patients souffrant de TTM présentent une modification de la densité de circuits cérébraux liés à l’apprentissage des habitudes et à la régulation des émotions (4).
 Figure 5: Résultat après 5 séances.
Il se pourrait également qu’un facteur d’ordre génétique joue un rôle (5).

Tableau clinique et diagnostic

La plupart du temps, les patients consultent pour des zones dégarnies sur le crâne. On constate généralement une zone dégarnie sans cicatrice ni inflammation, avec des cheveux cassés de taille variable.
Ces zones irrégulières de cheveux cassés font penser à une alopécie en clairière. Parfois, des cicatrices peuvent malgré tout se former de manière secondaire à la suite de petites lésions. Le vertex est généralement la partie du crâne la plus touchée, suivi des zones temporale, occipitale et frontale.
Souvent, l’arrachage se fait de manière centrifuge au départ d’un certain point, conduisant à l’apparition de zones circulaires avec des parties plus dégarnies sur les bords.
Lorsque la zone est tellement grande que le patient n’y accède plus que difficilement avec sa main, il recommence à s’arracher les cheveux à partir du point de départ central (1).
Outre le crâne, on peut aussi observer une atteinte des cils et des sourcils. Certains adultes s’arrachent également les poils du pubis et des aisselles. Chez les enfants, la perte de cheveux peut être plus prononcée du côté de la main dominante. Les patients souffrant de TTM, en particulier les adultes atteints de formes plus sévères, éprouvent généralement un sentiment d’infériorité et de honte vis-à-vis de leur entourage.
Leurs performances scolaires et professionnelles sont moins bonnes et ils aspirent moins à faire carrière (3). La plupart du temps, ils n’avouent pas à leurs proches qu’ils s’arrachent les cheveux (1).
Aussi, ils font preuve de créativité pour tenter de camoufler les zones dégarnies à l’aide de toutes sortes de subterfuges, par exemple en se coupant les cheveux d’une certaine manière ou en portant des postiches ou des bandanas. Souvent, ils ne recherchent l’aide nécessaire qu’après une longue période pendant laquelle ils ont évité les rendez-vous personnels, les relations intimes ou certaines activités sportives (1). Le diagnostic de la TTM est posé via l’association de l’anamnèse, de l’alopécie caractéristique et éventuellement de l’histologie. Le diagnostic différentiel avec l’alopécie en aires peut être compliqué, dans la mesure où les patients n’avouent pas toujours qu’ils s’arrachent les cheveux. L’absence de zone initiale entièrement dégarnie est un signe suggérant une TTM. En cas de doute, il est préférable de prélever un échantillon. L’examen histologique d’une zone dégarnie due à une TTM révèle spécifiquement de multiples cheveux catagènes, des cylindres pigmentaires (pigment casts) et des follicules capillaires présentant un traumatisme, sans inflammation ni cicatrices associées (Figure 1). Les cheveux arrachés peuvent aussi être visualisés clairement via une dermatoscopie à lumière polarisée (6). La TTM est caractérisée par une alternance entre périodes de crises et rémissions. Chez les jeunes enfants, la maladie évolue souvent de façon favorable. En revanche, les patients plus âgés connaissent des récidives fréquentes et développent généralement petit à petit une forme chronique (1). Chez les adultes souffrant de TTM, il est indiqué de vérifier la présence éventuelle d’une comorbidité psychiatrique sousjacente.

Traitement

Différentes approches psychothérapeutiques et pharmacologiques possibles ont été décrites, mais essentiellement dans le cadre de discussions de cas et d’études non contrôlées (1, 3). En outre, la plupart des études décrivent des résultats à court terme, sans suivi à long terme (1). L’identification et ensuite l’élimination des périodes de stress peuvent avoir un effet bénéfique chez les enfants. On peut utiliser la technique de l’«inversion des habitudes» (habit reversal), une forme de thérapie comportementale employée dans le cadre du traitement des tics. D’après la littérature, cette approche semble la plus judicieuse pour les enfants et les adultes chez qui l’arrachage des cheveux constitue essentiellement un geste automatique (voir encadré) (1, 3). L’hypnothérapie peut donner aussi de bons résultats chez les enfants (1, 7, 8). Le traitement pharmacologique de la TTM consiste en des ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) et de la clomipramine, un antidépresseur tricyclique. Certains auteurs indiquent que l’adjonction d’une faible dose d’un antipsychotique peut accroître l’efficacité de l’ISRS employé (1). Des données récentes laissent penser que la naltrexone (antagoniste opioïde) et la N-acétylcystéine (modulateur du glutamate) ont un effet favorable (3). L’action bénéfique de la N-acétylcystéine a été démontrée récemment dans le cadre d’une étude randomisée. Il est probable que cette molécule influence le niveau de glutamate, un neurotransmetteur associé à l’impulsivité.

* Raiponce est le titre du conte des frères Grimm dans lequel une jeune fille avec de longs cheveux blonds est emprisonnée dans une chambre en haut d’une tour. Par la suite, elle se marie avec un prince qui est parvenu à escalader la tour au moyen de ses longues tresses.

Références

1. Hautmann G, Hercogova J, Lotti T. Trichotillomania. J Am Acad Dermatol 2002;46:807-21.
2. Sehgal VN, Srivastava G. Trichotillomania +/- trichobezoar: revisited. J Eur Acad Dermatol Venereol 2006;20:911-5.
3. Franklin ME, Zagrabbe K, Benavides KL. Trichotillomania and its treatment: a review and recommendations. Expert Rev Neurother 2011;11:1165-74.
4. Chamberlain SR, Menzies LA, Fineberg NA. Grey matter abnormalities in trichotillomania: morphometric magnetic resonance imaging study. Br J Psychiatry 2008;193:216-21.
5. Chattopadhyay K. The genetic factors influencing the development of trichotillomania. J Genet 2012;91:259-62.
6. Lee DY, Lee JH, Yang JM, et al. The use of dermoscopy for the diagnosis of trichotillomania. J Eur Acad Dermatol Venereol 2009;23:731-2.
7. Willemsen R. Hypnotherapie in de dermatologische praktijk. Dermatologie Aktueel 2003;74:11-16.
8. Zalsman G, Hermesh H, Sever J. Hypnotherapy in adolescents with trichotillomania: three cases. Am J Clin Hypn 2001;44:63-8. 9. Grant JE, Odlaug BL, Kim SW.N-acetylcysteine a glutamate modulator, in the treatment of trichotillomania: a double-blind, placebo-controlled study. Arch Gen Psychiatry 2009;66:756-63.

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