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dimanche 17 mars 2013
Ville et santé : nouveaux défis
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO
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14.03.2013
L'histoire des rapports entre environnement, aménagement et santé nous a montré que, chaque fois que la médecine n'a pas été en mesure de résoudre une crise sanitaire, elle a dû faire appel à l'espace et à l'environnement et recourir à l'urbanisme. Les questions sanitaires, en raison de leur ampleur, ont joué un rôle décisif dans sa naissance au début du XX
e
siècle.
Cet appel à l'espace, ce recours à l'urbanisme s'est, chaque fois, effectué en fonction d'un état historique de la médecine, d'une étape de son évolution, et donc d'une conception particulière du corps, de la santé, de la maladie.
Ainsi, la conception médicale prépastorienne du XIX
e
siècle, qui voyait dans les odeurs pestilentielles des villes, les miasmes, la cause principale des maladies infectieuses (choléra), a induit une série d'actions spatiales et techniques visant à désodoriser l'air corrompu : c'était le sens des grands travaux d'assainissement du baron Haussmann pour aérer et ventiler Paris, supprimer les sources des miasmes morbides...
EXTENSION DES MALADIES CHRONIQUES
A l'ère pastorienne, la plupart des germes responsables des maladies infectieuses ont été découverts. Mais en attendant les antibiotiques et vaccins à venir, on a eu recours à l'espace et à l'environnement d'une manière plus radicale : ce sera l'aventure de l'urbanisme moderne et son hygiénisme.
Pour lutter contre la hantise de la tuberculose, on fera appel à une thérapie climatique et empirique, symbolisée par le sanatorium. L'air, le soleil, la lumière deviendront les matériaux principaux de l'urbanisme, les
"conditions de nature"
, dira Le Corbusier, indispensables à la santé des villes, pour tuer le bacille de Koch et aseptiser l'habitat. Avant la révolution freudienne, l'explication des maladies mentales par la dégénérescence de la race a entraîné la conception d'un espace séparé pour enfermer les aliénés, l'asile. Cette coupure tombera dans les années 1960 avec la psychiatrie de secteur et la psychanalyse.
Une relation étroite s'est donc nouée entre médecine et urbanisme dès la naissance de celui-ci, qui s'est affaiblie ensuite au cours des années 1970 en raison des progrès de la médecine. Mais, aujourd'hui, face à l'extension des maladies chroniques (cancers, allergies, maladies cardio-vasculaires, pulmonaires, diabète, obésité...) par la dégradation de l'environnement et celle des maladies mentales dues aux conditions de vie et de travail du monde moderne, une relation nouvelle entre urbanisme et santé s'impose. Un nouveau rapport se cherche, qui rencontre deux obstacles majeurs : une médecine environnementale à développer et un urbanisme durable à approfondir.
RETARD DE LA FRANCE
La médecine attend une nouvelle révolution pour affronter la santé environnementale, l'éco-santé, qui articule facteurs biologiques, socio-économiques et environnementaux. La France est en retard par rapport à d'autres pays européens dans ce domaine. Des médecins ont réagi en créant, en 2008, l'Association santé environnement de France (ASEF).
A nouveau, dans l'attente d'une médecine environnementale et dans le contexte actuel de crise écologique, on fait appel à un urbanisme durable. Mais, et c'est le second obstacle, cet urbanisme est en gestation : la "ville durable", le développement durable sont encore des terrains à défricher. On sait à quelles difficultés se heurtent les tentatives de lutte contre le réchauffement climatique, la mise en place d'une transition énergétique, la ville postcarbone, la lutte contre l'étalement urbain, la pollution de l'air... On ne dispose aujourd'hui que d'expériences partielles d'écoquartiers.
Une fois de plus, on attend de l'urbanisme qu'il résolve les problèmes d'éco-santé que la médecine est impuissante à régler. Mais cet urbanisme durable, en élaboration, se heurte à un adversaire de taille : l'économie néolibérale et l'urbanisme qui lui est lié, qui conçoivent la ville - et l'hôpital - comme une entreprise, transformant les biens communs (ressources naturelles) en marchandises, pratiquant l'écoblanchiment et imposant partout la loi de la compétition et du marché.
Finalement, deux écueils doivent être évités pour affronter les rapports entre aménagement, environnement et santé : celui du tout-biomédical, du tout-pharmacologique, d'un côté ; du tout-environnemental, du tout-urbanistique, de l'autre.
C'est vers une conception holistique et transversale qui intègre ces différentes approches qu'il faudrait travailler pour relever le défi de l'éco-santé.
Albert Levy
est architecte urbaniste
et chercheur au laboratoire Lavue UMR/CNRS 7218.
Il a coordonné le livre
Ville, urbanisme et santé, les trois révolutions
(Editions Pascal,
"Société & santé", 2012).
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