vendredi 8 mars 2013


Un jour, comme eux, je serai vieux, sensuel et sans mémoire

LE MONDE | 

"Lendemains de fête" mis en scène par Julie Berès.
"Lendemains de fête" mis en scène par Julie Berès. | PHILIPPE DELACROIX/ARTCOMART

Jacques et Marie s'aiment d'un amour tendre et passionnel. Ils se sont rencontrés jeunes, pleins de vitalité, et ils ont vieilli ensemble. Ils sont arrivés à ce stade de la vie où la fragilité de la psyché et du corps humains est évidente. Lendemains de fête, de Julie Berès, met en scène le voyage de Jacques entre ses souvenirs fragmentés, imaginaires ou réels. A cette dimension onirique, où le vieux Jacques croise son soi plus jeune et échange avec la jeune Marie, s'enlace la narration de son présent. Ses points de repère y basculent, seule reste Marie, qui l'accompagne toujours et le stimule constamment pour qu'il ne se perde pas.
Lendemains de fête s'empare de cet âge vermeil où tout geste devient de plus en plus difficile. Et de la difficulté qu'il y a pour ceux qui accompagnent sur ces chemins obscurs. Sur scène, les sons, la lumière, le jeu des acteurs circassiens, tous les éléments contribuent à plonger le spectateur dans une atmosphère ambiguë et déstructurée. Comme Jacques, on est emporté par le sentiment que la réalité se transforme, devient fuyante, s'entremêle au rêve et à l'imaginaire. Mais, au-delà de ce travail sur la mémoire et sur l'identité, Lendemains de fête met en scène du désir sensuel qui habite les vieux - sujet tabou ?
Dès les premiers instants, ce sont les corps qui sont mis en avant. Cette envie passionnelle de l'autre qui imprègne la pièce. Les protagonistes montrent, nus, les effets du temps. Une fragilité physique en contraste avec leur désir puissant l'un de l'autre, qui n'a pas changé depuis leur jeunesse.
TRAVAIL DOCUMENTAIRE FOUILLÉ
"Se déshabiller, ça n'a pas été simple pour eux, explique Julie Berès,un corps est toujours quelque chose de très intime. Ils m'ont demandé si on était obligé d'arriver jusque-là, mais, comme ils ont compris ce que je cherchais, ils ont été magnifiques." Pour elle, l'alchimie et l'interaction avec les interprètes sont fondamentales lors d'une création : "Sans eux, on aurait eu une tout autre pièce." Elle travaille par allers-retours entre une expérimentation sensible sur le plateau et un moment d'écriture du scénario. Adepte depuis toujours d'un travail documentaire fouillé, Julie Berès a puisé dans les textes du philosophe Vladimir Jankélévitch pour ajouter une autre dimension à ce mélange narratif de présent, de désir et de rêve. Le voyage mental de Jacques se fait au fil des mots du philosophe et de la musique baroque dont le vieux mélomane a toujours été passionné.
La pluralité de sens et de dimensions, la construction d'un tissu de stimulations sensorielles multiples donnent lieu à un spectacle complexe. Les liens entre les événements, ni entièrement rationnels ni entièrement chronologiques, le recours aux ellipses offrent au public un éventail d'interprétations possibles. "Selon l'âge des spectateurs, remarque Julie Berès, on perçoit différemment ce qui se passe sur scène. Peut-être parce que le thème de la vieillesse touche à des expériences très personnelles."
Lendemains de fête s'inscrit dans un parcours commencé en 2006. A l'époque, afin de travailler sur la maladie d'Alzheimer, Julie Berès avait passé un mois et demi dans une maison de retraite. Forte de cette expérience et d'un rapport différent aux personnes âgées, développé pendant son enfance en Afrique, elle a continué à explorer cette thématique. "Cette pièce, dans un certain sens, répond à la précédente, Notre besoin de consolation. On y parlait d'une humanité en mutation, d'une société qui veut dépasser ses limites. Où la science, comme une sorte de nouveau Graal, nous promettrait une jeunesse éternelle - comme si c'était un objectif en soi. Mais cela entraîne une dévalorisation dangereuse de la vieillesse, car c'est quand même l'expérience accumulée avec l'âge qui nous permet d'évoluer, de nous transformer."

Lendemains de fêteConception et mise en scène : Julie Berès. Textes : Julie Berès, Elsa Dourdet, Nicolas Richard, David Wahl. Avec Christian Bouillette, Evelyne Didi, Julie Pilod, Vasil Tasevski et Matthieu Gary. La Rose des vents, boulevard Van-Gogh, Villeneuve-d'Ascq (Nord). Tél. 03-20-61-96-96. Du 12 au 15 mars. Durée : 1 h 20. De 5 € à 20 €. En tournée en France jusqu'au 30 mai.

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