vendredi 22 mars 2013

Les premiers pas de la stimulation cérébrale profonde dans l’anorexie mentale
Publié le 11/03/2013

L’anorexie mentale est une pathologie psychiatrique relativement fréquente chez les jeunes filles de 15 à 19 ans avec une prévalence estimée entre 0,3 et 0,9 % sur la vie entière. Sa létalité est élevée (entre 6 et 11 %) en raison des co-morbidités psychiatriques et de ses  complications somatiques (en particulier cardiologiques et neurologiques).  Malgré une prise en charge par des équipes spécialisées, en ambulatoire comme en hospitalisation, l’affection se chronicise souvent et ces formes durant plus de 3 ans ont habituellement un mauvais pronostic.
Face à cette impasse thérapeutique, une équipe américano-canadienne a souhaité évaluer l’intérêt de la stimulation cérébrale profonde (SCP) dans cette pathologie.

Une intervention stéréotaxique sous anesthésie locale
Six patientes adultes ayant une forme sévère, chronique et résistante d’anorexie mentale (restrictive ou boulimique) ont été inclues dans cette première étude pilote. Chez ces malades, l’affection évoluait depuis 4 à 37 ans, le plus souvent malgré un grand nombre d’hospitalisations et leur indice de masse corporelle (IMC) était descendu au cours de leur histoire clinique à des chiffres allant de 11 à 13,5. La région cérébrale choisie pour la SCP était l’aire cingulaire sous-calleuse, une zone qui a déjà été ciblée pour des traitements par SCP de dépressions résistantes.
L’intervention stéréotaxique s’est déroulée sous anesthésie locale et a consisté en la pose bilatérale d’électrodes juste au dessous du genou du corps calleux. Après localisation précise guidée par l’interrogatoire des patientes sur la table d’opération, notamment à l’aide d’un questionnaire spécialement conçu pour ce protocole, les électrodes ont été reliées à un générateur placé sous anesthésie générale dans la région sous claviculaire droite. La stimulation électrique était débutée quelques jours plus tard. L’évolution a été suivie durant 9 mois, cliniquement (IMC et diverses évaluations psychométriques) et par l’imagerie (TEP et IRM).

Quelques effets secondaires sérieux mais transitoires 

Le premier objectif de cette étude pilote était d’évaluer la tolérance de ce traitement invasif. Sur ce point, il est difficile de conclure compte tenu du petit nombre de patientes et du caractère ouvert de l’essai. Il faut noter toutefois plusieurs effets secondaires potentiellement graves pouvant être rapportés à l’intervention : une attaque de panique lors de la pose des électrodes, une embolie gazeuse intra-cardiaque résolutive en 5 minutes en modifiant l’inclinaison de la table d’opération, une crise convulsive après mise en route de la stimulation.

Une efficacité probable

Après une baisse transitoire du poids, l’IMC moyen s’est maintenu au dessus de ses niveaux historiques les plus bas (16,6 contre 13,7). Cependant cette augmentation du poids n’a été marquée par rapport à la période pré-opératoire immédiate (IMC moyen 16,1) que dans 2 cas sur 6. 
Cette hausse du poids moyen au dessus des niveaux historiques les plus bas s’est accompagnée, dans certains cas, d’une amélioration nette des troubles de l’humeur et de l’anxiété (évalués par les échelles d’Hamilton et de Beck) et des désordres du comportement alimentaire (scores de Yale-Brown-Cornell).
Au TEP scan, des modifications du métabolisme local du glucose allant dans le sens d’une normalisation ont été observées sur les examens successifs.  
Il est difficile de conclure sur l’innocuité et l’efficacité de la SCP dans l’anorexie mentale sur ces seules données. On ne peut évidemment exclure formellement un effet placebo de ce type d’intervention compte tenu du caractère ouvert de l’essai.  De plus si l’efficacité de la SCP était confirmée par des études en double aveugle (avec période de stimulation factice) portant sur un plus grand nombre de patientes, il faudrait tenter de distinguer ce qui revient à l’amélioration des troubles de l’humeur et à un éventuel effet direct sur le comportement alimentaire.
La formule rituelle « de nouvelles études sont nécessaires » parait donc plus que jamais adaptée à la situation.

Illustration : IRM cérébrale montrant l’électrode de stimulation profonde (flèche) dans l’aire cingulaire sous-calleuse

Dr Nicolas Chabert

Lipsman N et coll. : Subcallosal cingulate deep brain stimulation for treatment-refractory anorexia nervosa : a phase 1 pilot trial. Lancet 2013, publication avancée en ligne le 7 mars 2013 (doi: 10.1016/S0140-6736(12)62188-6).

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