vendredi 8 mars 2013

La France lance une étude épidémiologique inédite

LE MONDE | 
Pour les épidémiologistes, le jacobinisme peut être une formidable aubaine. La tradition centralisatrice française, incarnée dans la base médico-administrative de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), va fournir dans les prochaines années les moyens aux chercheurs du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (Inserm, université de Versailles) de mettre en œuvre et d'observer, sans limite de temps, la plus vaste cohorte épidémiologique jamais suivie en France. Avec, comme principal objectif, la recherche des facteurs de risque impliqués dans le développement de maladies liées au vieillissement ou encore à l'environnement.
Le lancement officiel du projet, baptisé Constances (pour "Cohorte des consultants des centres d'examens de santé"), jeudi 7 mars, donnera le coup d'envoi du recrutement d'un échantillon de 200 000 personnes âgées de 18 à 69 ans, représentatives de la population française et affiliées au régime général de la Sécurité sociale.
"Ces volontaires répondront à des questionnaires réguliers sur leur métier, leur mode de vie, leur alimentation, etc. Et toutes ces informations seront appariées avec les données de remboursements de soins ou d'hospitalisations", explique l'épidémiologiste Marie Zins (université de Versailles), responsable scientifique du projet. Le recrutement, par tirage au sort, se poursuivra jusqu'à atteindre le nombre voulu de volontaires.
CORRIGER LES "BIAIS DE SÉLECTION"
Il leur sera proposé, par courrier, de participer au projet et, pour cela, de passer un premier examen médical complet afin d'établir leur état de santé "initial""Nous savons que les personnes qui répondent positivement à ce genre d'enquête présentent des comportements différents de celles qui ne répondent pas, précise Mme Zins. Nous allons donc tirer au sort 400 000 autres personnes, anonymes et également représentatives de la population, dont les dossiers seront comparés à ceux des volontaires, afin de corriger des "biais de sélection" éventuels."
Outre les questionnaires que devront remplir régulièrement les volontaires, ces derniers seront invités à subir, tous les cinq ans, un bilan complet de santé. "L'accent a été mis sur des tests très élaborés pour mesurer le plus finement possible l'évolution des fonctions cognitives, de la mémoire, etc.", explique l'épidémiologiste Marcel Goldberg (université de Versailles), coresponsable du projet. "Pour comprendre ce qui se passe dans le développement des démences, par exemple, il faut détecter les premiers signes très tôt et cela n'a jusqu'à présent jamais été fait."
De fait, l'un des objectifs du projet est non seulement de préciser les inégalités socioéconomiques ou encore les risques liés à l'environnement professionnel, mais aussi d'étudier les facteurs de risques associés à certaines pathologies survenant avec l'âge – démences (Alzheimer, par exemple), diabètes, cancers...
ACCÈS LIMITÉ AUX DONNÉES
De plus, les informations liées à la commune de résidence ou au lieu de travail des volontaires permettront de croiser les données sanitaires issues de la cohorte avec diverses données géographiques, caractéristiques de l'environnement local : pollution atmosphérique, implantation des antennes-relais de la téléphonie mobile, de lignes à haute tension, zones de grandes cultures agricoles.
"Au cours des examens médicaux, les échantillons, par exemple de sang ou d'urine, prélevés sur les volontaires seront conservés dans une "biobanque" et pourront faire l'objet d'analyses ultérieures, pour détecter la présence éventuelle de certains contaminants, pesticides, etc.", explique M. Goldberg. Ces données seront anonymes, mais leur accès n'en sera pas moins limité à la communauté scientifique. Et seulement à certaines équipes, triées sur le volet.
Composé pour moitié de chercheurs français, pour moitié d'étrangers, un conseil scientifique évaluera l'intérêt et la pertinence des projets qui lui seront soumis. Les chercheurs sélectionnés auront un accès aux données souhaitées et seront libres de les analyser, puis de publier leurs résultats. Ils pourront également retourner vers les volontaires et demander à certains des examens complémentaires, trop coûteux pour avoir été menés sur l'ensemble de la cohorte (IRM, etc.).
"FORT ENGOUEMENT"
La cohorte Constances aura donc le statut d'"infrastructure nationale en biologie et santé", un peu comme ces grands instruments en physique, dont le comité scientifique alloue du temps d'utilisation en fonction de l'intérêt des projets soumis.
"Nous ferons un appel public à projets, mais une quarantaine nous ont déjà été soumis, dit Marie Zins. C'est la preuve d'un fort engouement de la communauté scientifique." L'ambition du projet a un coût : le budget total pour les huit premières années s'élève à 158 millions d'euros, principalement pris en charge par la CNAM, qui contribue pour l'essentiel en nature, par le biais des examens de santé. "Il reste, pour mener à bien le projet comme nous l'entendons, à trouver environ 20 millions d'euros sur huit ans", conclut M. Goldberg.

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