dimanche 31 mars 2013

Cannabis : fumisterie ou option thérapeutique ?


Alors que le PS vient de créer un groupe parlementaire sur l’usage thérapeutique du cannabis, la controverse ne fait que commencer. Malgré ses propriétés antalgiques et myorelaxantes, ses effets anti-émétiques, son action orexigène, etc., le cannabis et ses dérivés restent, en effet, interdits en France dans le cadre d’un usage thérapeutique et sujets à caution sur le plan scientifique.

La condamnation judiciaire la semaine dernière d’un homme de 40 ans atteint de myopathie et consommant de la marijuana pour soulager ses douleurs a relancé le débat sur l’usage du cannabis et des dérivés cannabinoïdes à visée thérapeutique. Alors que plusieurs pays comme le Canada, les Pays-Bas ou certains états d’Amérique ont franchi le pas, la France tourne toujours le dos à cette approche (lire encadré p.17) qui reste sujette à caution tant sur le plan politique que scientifique.

D’un point de vue physiopathologique, l’utilisation du cannabis dans le domaine médical semble pourtant rationnelle. On sait depuis les années 1990, en effet, que l’organisme sécrète des substances cannabinoïdes endogènes (ou endocannabinoïdes) qui contribuent via des récepteurs cellulaires présents dans le système nerveux central (récepteurs CB1) et périphérique (récepteurs CB2) à la modulation de différents processus physiologique. Dans certaines situations cliniques, (douleurs, maladies neurodégénératives, diabète, etc.), la sécrétion de ces endo-cannabinoïdes peut être perturbée. D’où l’idée d’utiliser des cannabinoïdes exogènes, comme le cannabis ou ses dérivés (tetrahydrocannabinol, cannabidiol, etc.), pour rétablir un certain équilibre.

Plusieurs indications potentielles

« Depuis une vingtaine d'années, les recherches concernant le potentiel thérapeutique du cannabis et de ses dérivés (tetrahydrocannabinol, cannabidiol, etc.) se sont multipliées », indique le Dr Amine Benyamina, addictologue à l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif. Pour ce spécialiste, qui se montre « plutôt favorable » à l’usage du cannabis thérapeutique, trois groupes d'indications potentielles méritent aujourd’hui l’attention.

Le premier concerne la prévention et le traitement des nausées et des vomissements post-chimiothérapiques ou post-radiothérapiques. Dès les années 1970, les propriétés anti-émétiques de certains dérivés cannabinoïdes ont été mises en évidence dans des études contre placebo. Plus récemment, cet effet a été confirmé dans plusieurs essais avec, pour le THC, une efficacité comparable à l’endosétron, un anti-émétique de référence chez le patient cancéreux. « Le cannabidiol – un autre dérivé cannabinoïde – pourrait même être supérieur sur certains types de nausées mais les travaux sont limités », précise le Dr Benyamina.

Toujours dans le domaine digestif et alimentaire, le cannabis et ses dérivés ont aussi des propriétés orexigènes puissantes avec une certaine efficacité chez les patients cachectiques (affection néoplasique ou infection par VIH). Mais, du fait d’un phénomène de tolérance, cet effet disparaît lorsque l’usage du cannabis se pérennise.

Dans un tout autre registre, les cannabinoïdes ont aussi été étudiés dans le domaine de l’antalgie. Globalement, leur efficacité reste modeste, équivalente à celle des antalgiques de palier 1. En 2003, un essai important, conduit chez 630 patients douloureux chroniques, a toutefois montré que 50 % de ceux qui recevaient du THC étaient améliorés (30 % pour le placebo).

Enfin, et surtout, l’utilisation des cannabinoïdes a aussi été proposée, du fait de ses propriétés myorelaxantes pour lutter contre la spasticité induite par certaines maladies neuromusculaires. Avec une efficacité démontrée, notamment dans la sclérose en plaques. Dans une étude portant sur 572 patients atteints de SEP, 42 % répondaient au traitement et leur spasticité, mesurée selon plusieurs critères, était significativement diminuée.

Un rapport bénéfice/risque controversé

Malgré ces données, les scientifiques restent divisés sur le sujet. En 2010, l’Académie de Médecine mettait à nouveau en garde contre l’utilisation du cannabis en tant que médicament.

Pour l’académicien Jean Costentin, professeur émérite en pharmacologie à la faculté de Rouen, « ces effets bénéfiques sont indiscutables, mais ils restent d’une intensité modeste alors que les effets secondaires sont nombreux et très souvent adverses ». Et de rappeler les méfaits potentiels du produit : perturbation de la mémoire, de l’éveil, de l’attention ; développement au long cours de troubles anxieux et de dépression ; décompensation ou aggravation de la schizophrénie ; incitation à la consommation d’autres drogues ; dépression de l’immunité ; survenue de cancers broncho-pulmonaires et ORL ; infarctus du myocarde, artérites, etc.. À cela s’ajoute un risque réel de dépendance psychique et physique, estime le pharmacologue. Avec au final « un rapport bénéfice/risque défavorable ».

Par ailleurs, « pour chacune des activités thérapeutiques envisagées, la pharmacopée n’est pas dépourvue de médicaments ayant satisfait aux nombreux et rigoureux critères qui permettent d’accéder à ce statut ». En d’autres termes, le cannabis ne serait pas une réponse à certaines situations cliniques sans autres ressources thérapeutiques. Un avis que ne partage pas complètement le Dr François Ziegler, chef du service de Neurologie de l’hôpital de Belfort-Montbéliard. Pour ce spécialiste, le patient récemment condamné «  présente une maladie neuromusculaire très rare et la pharmacopée classique ne suffit pas à soulager ses douleurs. Dans son cas qui n’est pas fréquent, le cannabis peut être efficace ».

Consensus relatif pour la sclérose en plaques?

Reste que, comme le souligne le Pr Costentin, les récepteurs cannabinoïdes étant ubiquitaires, les effets du cannabis sont peu sélectifs avec plusieurs actions thérapeutiques potentielles pour une seule recherchée.

Dans ce contexte, la sclérose en plaques apparaît pour beaucoup comme la meilleure indication potentielle des cannabinoïdes puisque les patients pourraient tirer profit à la fois de leurs propriétés myorelaxantes et antalgiques et de leurs effets immunosuppresseurs. À cela s’ajoutent des données cliniques plutôt favorables (voir ci-dessus). D’où un certain consensus quand à l’intérêt des cannabinoïdes dans cette pathologie. La revue Prescrire concède d’ailleurs « un intérêt thérapeutique limité » au THC dans la sclérose en plaques.

C’est aussi pour le traitement de cette pathologie que la ministre de la Santé à demander dernièrement à l’ANSM, en signe d’ouverture, d’étudier le dossier du Sativex®. Ce spray à base de THC et de cannabidiol est déjà disponible dans plusieurs pays européens pour soulager certains patients atteints de sclérose en plaques. Mais, en France, pour que le dossier d’autorisation de mise sur le marché puisse être examiné, la modification d'un décret qui interdit l'utilisation des dérivés de cannabis à visée thérapeutique est nécessaire.

Un « cheval de Troie » pour obtenir la dépénalisation ?

Un frein législatif non négligeable auquel s’ajoute une certaine frilosité sociale et politique. « Le cannabis souffre d’une image exécrable essentiellement liée au fait que c’est une drogue, regrette le Dr Benyamina. On lui applique de ce fait un principe de diabolisation que l’on n’applique pas, en revanche, à la cocaïne pour l’anesthésie ou aux opiacés pour la douleur, etc., alors que ce sont aussi des drogues. »

En fait, beaucoup voient dans le cannabis thérapeutique, un cheval de Troie pour obtenir la dépénalisation totale du produit. Un argument qui ne semble pas effrayer Daniel Vaillant qui s’en fait l’avocat depuis quelque temps. L’ancien ministre de l'Intérieur et député de Paris vient de créer un groupe de travail à l’Assemblée pour « réfléchir sur les modalités et les conditions dans lesquelles les substances cannabinoïdes pourraient intégrer la pharmacopée française » .

Bénédicte Gatin, benedicte.gatin@legeneraliste.fr

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