dimanche 20 janvier 2013

Psychiatrie, l’année 2012
Publié le 06/01/2013
Comme d’habitude à la même époque, The American Journal of Psychiatry brosse un tableau des faits marquants de « l’année psychiatrique » écoulée. Pour 2012,  les éditorialistes de la revue américaine retiennent sept thèmes principaux, en forme d’objectifs pour l’avenir proche :

Adapter l’assurance-maladie aux dépenses de santé mentale

Quelles seront, pour les malades mentaux, les conséquences de l’ “Obamacare”, cette loi récente sur la protection des patients et des soins abordables (Patient Protection and Affordable Care Act) [1] ? Le dicton « à petites causes grands effets » s’applique ici : « De petites différences dans les techniques d’ajustement des risques peuvent avoir des effets profonds sur les compagnies d’assurance, donc sur les patients qu’elles assurent. » En matière de santé mentale, un double objectif s’impose désormais aux États-Unis : protéger la viabilité financière des régimes assurant les malades mentaux, et lutter contre une « tendance naturelle » visant à restreindre les prestations de soins en santé mentale. Car il existe une menace sur la « limitation d’accès de l’assurance-maladie » aux malades mentaux ayant pourtant besoin d’une «couverture plus importante. » Autrement dit, au pays de l’oncle Sam comme ailleurs, le coût des maladies mentales est-il compatible avec la pérennité économique de l’assurance-maladie ?

Faire la différence dans le monde réel

Une part importante de la pratique psychiatrique concerne la suppression de symptômes ciblés, par exemple des hallucinations chez un schizophrène. Et nos actions thérapeutiques ne peuvent être considérées comme efficaces que dans les cas où elles « font réellement la différence dans le monde réel », c’est-à-dire quand le traitement proposé permet une amélioration effective de la qualité de la vie pour l’intéressé. En 2012, une étude [2] a montré ainsi que cette amélioration se révèle meilleure chez des patients schizophrènes bénéficiant à la fois d’une remédiation cognitive et d’une formation professionnelle, comparativement à une seule de ces interventions. Aussi l’auteur espère-t-il qu’on pourra transposer un jour à la psychiatrie cette « question classique de la politique aux États-Unis » (« Vous sentez-vous mieux que vous ne l’étiez voilà quatre ans ? », un moyen efficace pour les électeurs de « résumer le bilan d’un président sortant et de décider s’ils approuvent le chemin pris par l’Amérique ») : « Êtes-vous mieux aujourd’hui qu’avant le début du traitement ? » Et que les schizophrènes pourront enfin répondre : « Oui ! »

Améliorer avec le temps la fiabilité des essais thérapeutiques

Une méta-analyse [3] publiée en 2012 a examiné 120 essais contrôlés randomisés sur l’efficacité des thérapies cognitivo-comportementalistes (TCC) dans la dépression, avec une confirmation attendue de l’efficacité des TCC et de leur non-supériorité à d’autres traitements actifs. Mais le point le plus intéressant réside dans le fait que les auteurs observent une baisse de la qualité méthodologique des études « en corrélation avec une magnitude de l’effet (effect-size) accrue et une plus grande variabilité. » Et à l’inverse, la qualité des recherches « s’améliore régulièrement au fil du temps », aussi bien pour les TCC que pour les psychothérapies dynamiques. Ainsi, huit études publiées depuis 2005 sont « meilleures que n’importe quelle étude publiée dans les 30 années précédentes. » Ce constat est heureux, car il montre que la validité des essais thérapeutiques s’accroît en permanence. Du moins en matière de psychothérapies, mais ces résultats semblent applicables bien au-delà de ce cadre, car l’auteur les estime « pertinents pour la psychiatrie et d’autres thérapies en général, comme pour la recherche psychothérapeutique en particulier. »

Avoir un suivi objectif du neurodéveloppement infantile

Depuis longtemps, les recherches sur le développement cérébral semblent essentielles pour progresser dans la connaissance des causes des maladies mentales. Mais les implications cliniques de ces travaux restaient jusqu’alors modestes, vu les difficultés évidentes pour accéder en toute sécurité au cerveau de l’enfant. Or cette tendance paraît désormais s’inverser, avec l’essor de l’imagerie du tenseur de diffusion [4] appliquée par Wolff et coll. [5] à 92 nourrissons « à risque d’autisme » (28 enfants ayant finalement le diagnostic d’autisme, comparativement aux 64 autres ne répondant pas aux critères attendus). Renseignant sur la connectivité cérébrale (notamment l’intégrité des faisceaux de la substance blanche), cette technique a permis de remarquer que des signes précliniques se manifestent dans le cerveau « avant l’évidence de toute symptomatologie clinique », et que « ces signes continuent d’évoluer au cours de l’enfance. » Pour la première fois, un examen complémentaire permet donc d’étayer un diagnostic en permettant aux spécialistes de la neuro-imagerie de joindre leurs efforts convergents à ceux des cliniciens. Et surtout, il suscite l’espoir de surveiller l’efficacité d’une action thérapeutique, en suggérant une pierre de touche objective pour éprouver un nouveau traitement.

Peser les stratégies thérapeutiques contre la boulimie

Si trop d’hommes souffrent encore de la faim sur la planète, la suralimentation fait aussi des ravages. Ainsi, « le taux général de l’obésité chez les jeunes adultes est actuellement de 35,7 % » aux États-Unis, et le taux d’obésité infantile y a « triplé depuis 1980 », avec une part importante de comorbidités physiques ou psychiques, en particulier une « augmentation de 25 % du risque de troubles thymiques et d’anxiété. » La boulimie constitue un tel problème de société qu’elle entraîne pratiquement, selon l’expression employée par l’auteur, une « épidémie d’obésité », avec incidence marquée sur la prise de poids et l’indice de masse corporelle. Mais contre ce fléau, plutôt que de se cantonner à la thérapie cognitivo-comportementaliste « standard », classiquement proposée contre la boulimie, les chercheurs développent désormais d’autres stratégies d’inspiration cognitivo-comportementaliste, adaptées pour fixer aux patient(e)s des « objectifs personnalisés » réhabilitant l’intérêt de l’exercice physique. La nécessité de contrecarrer une surcharge pondérale concerne également les personnes sous neuroleptiques (qui se trouvent, rappelle l’éditorialiste, « en grand risque d’obésité »), mais aussi d’autres catégories de patients. En particulier, dans un échantillon (ambulatoire) de 161 sujets bipolaires, une étude [6] constate un « indice moyen de masse corporelle de 30,8 », c’est-à-dire déjà « dans le registre de l’obésité. »

Oser recourir aux antidépresseurs durant la grossesse

S’il existe un temps où les risques thérapeutiques doivent être formellement évités, c’est bien l’époque de la grossesse. Aussi les prescriptions doivent-elles se résumer alors aux médicaments indispensables. Toutefois, (et en particulier dans une étude [7] parue en 2012), les chercheurs osent désormais comparer les conséquences des dépressions gravidiques non traitées à l’éventualité des risques iatrogènes (liés au traitement antidépresseur pris par la future mère), pour le neurodéveloppement futur de l’enfant. Et à la question « Quel est le danger le plus important pour le développement cognitif de l’enfant, la possibilité de risques médicamenteux ou l’incidence fâcheuse d’une dépression maternelle non traitée ? », on serait tenté de répondre qu’il faut entre ces deux maux, comme dans le dicton, choisir le moindre. Or, selon cette étude conduite à Toronto (Canada), le moindre mal pourrait se révéler la prescription (justifiée) du traitement antidépresseur chez la femme enceinte : en effet, « les enfants exposés à une dépression maternelle ont en moyenne un QI plus faible et des problèmes de comportement plus marqués » que les autres (ceux dont la mère n’a pas été déprimée ou a reçu un traitement en cas de dépression). Les auteurs de cette étude insistent sur le fait que « la dépression pendant la grossesse constitue un facteur de risque significatif de dépression du post-partum », laquelle perturbe manifestement une bonne relation mère/enfant. Constituant un obstacle pour ces échanges précoces, socles de tout processus relationnel et psycho-éducatif ultérieur, la dépression maternelle non traitée constitue ainsi l’assise d’une psychopathologie future. Comme les conséquences fâcheuses pour l’enfant semblent surtout liées « non à l’effet adverse du traitement, mais à la gravité de la dépression maternelle elle-même », la prescription d’un antidépresseur chez la femme enceinte deviendrait ainsi un sujet moins tabou.   

Redouter une épidémie émergente (?)  avec les “sels de bains”

Des faits divers tragiques survenus en 2012 (comme l’histoire médiatisée du « cannibale de Miami » [8]) ont attiré l’attention sur de nouvelles drogues de synthèse « très neurotoxiques » car elles interfèrent avec divers neuromédiateurs (noradrénaline, dopamine, sérotonine, transporteurs des monoamines). D’une redoutable dangerosité, ces produits (que les consommateurs «sniffent, fument ou s’injectent ») sont désignés par l’appellation faussement pittoresque de « sels de bains » (bath salts), en raison de leur ressemblance avec eux (aspect de poudres ou de cristaux). Encore « indétectables par les analyses toxicologiques standards dans les urines », lesdits « sels de bain » restaient jusqu’à récemment vendus en toute légalité. Ils comportent un ensemble de plusieurs molécules, en particulier la méphédrone (4-méthylméthcathinone) [9], une poudre de couleur jaune entraînant un fort effet désinhibiteur (sensation d’euphorie, exaltation, facilitation des contacts), et une substance susceptible de faire « planer » le toxicomane « presque deux fois plus longtemps que la méphédrone », la méthylène-dioxy-pyrovalérone (MDPV) [10] qui suscite aussi des sensations d’euphorie et d’excitation. Associée à « un large éventail d’effets indésirables y compris des psychoses », la méphédrone peut « conduire à la mort », et la MDPV provoque des « crises graves de panique, des comportements violents, et des psychoses –dont la paranoïa. » Cette inquiétante actualité des « sels de bains» montre que la réactivité des psychiatres reste essentielle pour leur permettre d’affronter une problématique nouvelle.

[1] http://fr.wikipedia.org/wiki/Patient_Protection_and_Affordable_Care_Act
[2] Bowie CR & col.: “Combined cognitive remediation and functional skills training for schizophrenia: effects on cognition, functional competence, and real-world behavior” Am J Psychiatry 2012; 169:710–718.
[3] Thoma NC & col.: “A quality-based review of randomized controlled trials of cognitive-behavioral therapy for depression: an assessment and metaregression” Am J Psychiatry 2012; 169:22–30.
[4] http://fr.wikipedia.org/wiki/IRM_de_diffusion#Imagerie_du_tenseur_de_diffusion
[5] Wolff JJ & col. : “Differences in white matter fiber tract development present from 6 to 24 months in infants with autism” Am J Psychiatry 2012; 169:589–600.
[6] Fiedorowicz JG & col.: “Elevated prevalence of obesity, metabolic syndrome, and cardiovascular risk factors in bipolar disorder” Ann Clin Psychiatry 2008; 20: 131–137.
[7] Nulman I & col.: “Neurodevelopment of children following prenatal exposure to venlafaxine, selective serotonin reuptake inhibitors, or untreated maternal depression” Am J Psychiatry 2012; 169:1165–1174.
[8] http://www.huffingtonpost.fr/2012/05/31/cannibale-floride-drogue-sels-bain-cannibalisme-rudy-eugene_n_1558483.html
[9] http://en.wikipedia.org/wiki/Mephedrone
[10] http://en.wikipedia.org/wiki/Methylenedioxypyrovalerone


Dr Alain Cohen

Freedman R et coll.: 2012 in review. Am J. Psychiatry, 2012; 169: 1233–1237.

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