mercredi 5 décembre 2012


Pauvre jeunesse (2) : Du chewing-gum pour combler les dents cariées

, par Pascale Krémer
Le docteur Joël Dutertre tient depuis six années à la Mission locale de Sénart (Seine-et-Marne) une consultation de généraliste gratuite et très fréquentée. Ce Point santé jeunes représente souvent le seul accès possible au soin pour une population de 16-25 ans en recherche, de plus en plus malaisée, d’emploi, et menacée par la précarité. Le médecin est ainsi aux premières loges pour mesurer la dégradation de l’état de santé de cette jeunesse non-insérée.
Le Dr Joël Dutertre, médecin à la Mission locale de Sénart. (Photo : Capucine Granier-Deferre pour Le Monde)
L’accès au soin
"Les jeunes que je reçois, les plus en difficulté sur un territoire, ne fréquentent pas les cabinets libéraux. Ils se 'débrouillent', se rendent à l’hôpital en urgence ou de façon inappropriée. Dans 60 % des cas, il y a un frein financier qui les empêche de consulter. Même quand ils ont une mutuelle, ils ne peuvent pas avancer les honoraires. Ils ont aussi l’impression de ne pas savoir s’y prendre, d’être mal accueillis, d’entendre un langage incompréhensible. Il y a une appréhension du rapport au monde médical qui leur semble très éloigné d’eux. Tout cela témoigne d’une fracture entre ces jeunes et la société. Du coup, le gamin qui se tord la cheville ou le genou au foot et ne consulte pas, donc n’immobilise pas son articulation, devra se faire opérer. Les ulcères non-soignés donnent des hémorragies digestives, etc." 
Les maux dentaires
"Aucun jeune n’arrive à décrocher de rendez-vous chez le dentiste. La petite carie se transforme en abcès. Au bout de trois semaines de douleur, le mal disparaît, la dent est mortifiée. Certains patientent en avalant des boîtes entières de Doliprane, d’autres se mettent la tête entre deux baffles, la musique poussée à fond. Pour combler le creux dans la dent, les jeunes mettent du chewing-gum, du coton et même de la colle !"
Les plaintes fonctionnelles
"Maux de tête, de ventre, de dos… C’est le cas des trois quarts des jeunes femmes que je reçois. Parfois, la douleur au ventre dissimule autre chose. Dans 15 % des cas, les jeunes femmes finissent par signaler des sévices sexuels. Les premiers rapports sexuels sont souvent une catastrophe, ils se déroulent 'à l’arrache', avec des pratiques de sodomie imposées."
La souffrance psychique
"40 % des jeunes reçus au Point santé présentent une souffrance explicite ou implicite qui nécessiterait un suivi psychologique ou psychiatrique – dont en fait seulement un sur dix bénéficie. Qu’ils aient des psychoses, dont beaucoup sont dépistées ici pour la première fois, ou des troubles de la personnalité qui vont compromettre l’insertion. Ou qu’ils soient en vraie dépression. Beaucoup de ces jeunes plus vulnérables que d’autres s’amélioreraient grâce à la seule insertion professionnelle, facteur d’autonomie et de séparation du milieu familial. Mais aujourd’hui, ils sont les premiers à rester sur la touche. La mise en échec socio-professionnelle alimente leur perte d’estime d’eux-mêmes."
(Photo : Capucine Granier-Deferre pour Le Monde)
L’obésité
"15 % de mes patients souffrent d’obésité sévère. C’est terrible, parce que si l’on n’agit pas à cet âge là, on sait que cela va s’aggraver. Cette obésité veut dire des choses. Elle fait écran, elle attire l’attention sur un mal-être, elle cache souvent chez les filles des violences sexuelles… Mes patients qui en sont atteints sont passifs, ils ne se sentent pas exister. Et depuis six ans, je n’ai jamais trouvé personne alentour chez qui les orienter ! Les diététiciens hospitaliers sont débordés, les médecins nutritionnistes libéraux pratiquent tous le dépassement d’honoraires."
Les maladies chroniques
"Elles sont mal suivies, mal stabilisées. Je n’ai jamais vu ici aucun diabétique convenablement soigné. Je suis également stupéfait du nombre de maladies auto-immunes. Ces maladies dans lesquelles on développe des anticorps contre soi. Je ne me l’explique pas, je constate."
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