mercredi 12 décembre 2012

La peur du fou
Publié le 03/12/2012
La vogue du « politiquement correct » (où les nains deviennent des « personnes d’un standard de taille inférieur » et les ivrognes des « sujets avec addiction à l’alcool ») remplace les termes « fous », « aliénés », « forcenés » par l’évocation « aseptisée » de « malades mentaux », mais elle ne change rien au rejet de la figure du fou dans l’imaginaire populaire. Consacrant une étude à cette question de la stigmatisation de la folie dans la population, une équipe australienne s’intéresse en particulier à la « croyance dans la dangerosité des malades mentaux », à travers l’analyse (via les bases de données bibliographiques PubMed et PsycINFO) de plus de mille articles (publiés entre 1970 et 2011) sur l’évaluation de la perception de cette dangerosité par le public.
Parmi les enseignements de cette recherche, on constate notamment que la croyance dans la dangerosité des aliénés :
–« N’est associée ni à l’âge ni au sexe » des personnes jetant ainsi un regard inquiet sur la folie.
–Est inversement proportionnelle au degré d’instruction, c’est-à-dire moins enracinée quand ce niveau augmente.
–Tend à s’estomper chez les gens « ayant eu un contact avec des malades mentaux », bien que cette influence « dépende de la qualité de ce contact. »
–Est « moindre chez les professionnels de santé mentale. » L’inverse eût été préoccupant !
–S’aggrave quand les médias évoquent un fait divers impliquant le « crime violent » d’un forcené.


Sans surprise, vu la référence séculaire à l’image du « sexe fort », les hommes avec des troubles mentaux sont considérés comme « plus dangereux que les femmes. » Plus curieusement (car sans portée effective sur la tolérance), le fait d’avoir vécu soi-même une « expérience personnelle de troubles » psychiatriques n’a qu’une « faible incidence » sur sa propre conviction de la dangerosité des (autres) malades mentaux. Dans la « hiérarchie » du péril fantasmé, les toxicomanes (de façon euphémique « les personnes avec une dépendance à une substance ») passent pour « les plus dangereux », suivis par « les sujets avec schizophrénie ou (une autre) psychose », puis les déprimés, les anxieux, et enfin les sujets avec des troubles du comportement alimentaire.
 Indirectement, cette étude révèle aussi la confiance dans l’effet bénéfique des médicaments, car le fait de « savoir qu’un malade mental reçoit un traitement » contribue à réduire la perception de sa dangerosité par le public. Mais les auteurs ne se contentent pas de dénoncer les effets négatifs de cette peur commune à l’encontre des « malades mentaux dangereux » : elle contribue certes à leur discrimination, mais présenterait paradoxalement un effet positif (potential benefit), car la crainte d’une stigmatisation blessante pourrait « inciter les intéressés à accepter de suivre un traitement. »
Cette étude souligne en tout cas une « grande priorité » : « trouver des interventions efficaces » pour réduire cette croyance trop répandue dans la dangerosité des malades mentaux, bien qu’il ne semble guère exister de travaux sur « l’efficacité de telles interventions » contre la stigmatisation, et encore moins sur « son maintien au fil du temps. »


Dr Alain Cohen


Jorm AF et coll.: Belief in the dangerousness of people with mental disorders: a review. Australian & New Zealand Journal of Psychiatry 2012; 46: 1029–1045.

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