mercredi 31 octobre 2012

Le directeur de la revue "Prescrire" souligne l'influence des laboratoires dans l'information sur les médicaments

LE MONDE | 


Bruno Toussaint, le 17 janvier à Paris.
Bruno Toussaint, le 17 janvier à Paris. | AFP/MIGUEL MEDINA

Le docteur Bruno Toussaint est directeur de la rédaction du mensuel indépendant Prescrire, destiné aux professionnels de santé. Considérée par certains comme Le Canard enchaîné de la médecine et des médicaments, cette publication à but non lucratif est financée uniquement par les abonnements et fonctionne sans subventions, sans publicité, sans actionnaires et sans sponsors.
Le "Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux" des professeurs Even et Debré, paru en septembre, est un succès de librairie mais fait l'objet de vives critiques dans le monde médical. En tant que spécialiste des médicaments, qu'en pensez-vous ?
Ce livre est un pavé dans la mare, et c'est salutaire pour ouvrir le débat. Avec l'affaire du Mediator, le public a pris conscience de l'emprise des firmes pharmaceutiques sur l'information à propos des médicaments, les effets thérapeutiques étant davantage mis en valeur que les effets indésirables. Il est ainsi apparu qu'un produit pouvait rester longtemps sur le marché alors même qu'il était dangereux...
Depuis ce désastre, qui a bien entamé la confiance dans les médicaments, beaucoup de personnes ressentent un besoin d'information critique dans ce domaine. Le succès de l'ouvrage des professeurs Even et Debré s'inscrit dans cette demande d'information critique, et c'est très sain. En revanche, je ne me prononce pas sur la qualité de son contenu, car il est trop tôt. A Prescrire, nous étudions sérieusement son contenu, mais à notre façon, c'est-à-dire collectivement et en prenant notre temps.
Vos articles mettent en moyenne six à neuf mois pour paraître dans "Prescrire", car le circuit de validation est très long et fait intervenir de nombreux relecteurs, internes et externes. A l'ère de l'information en temps réel, n'est-ce pas trop ?
Bien sûr, il peut y avoir des tentations de réagir rapidement à l'actualité, mais nous résistons à l'immédiateté, car nous voulons d'abord faire solide avant de faire vite. De plus, dans le domaine des médicaments, une bonne veille scientifique permet d'anticiper. La mise sur le marché de nouveaux médicaments est prévisible, de même, souvent, que les problèmes qu'ils vont poser. En ce qui concerne le Mediator, Prescrire a publié son premier article de synthèse en 1997, c'est effectivement longtemps après la mise sur le marché [en 1976], mais douze ans avant son retrait, en 2009.
Prescrire a-t-il un rôle à jouer dans cette information critique auprès du grand public ?
Notre but final est que les patients soient mieux soignés, cette mission est d'ailleurs inscrite dans le premier article des statuts de l'Association Mieux prescrire (AMP). Mais notre expérience et notre savoir-faire sont dans l'information des professionnels de santé, pas dans la communication directe vers le grand public. Prescrire n'a aucune prétention de monopole, mais on peut s'appuyer sur notre travail.
Depuis quelques années, nous développons des fiches d'information aux patients sur différents sujets, que nos abonnés peuvent télécharger sur notre site Internet et distribuer lors des consultations. Ces fiches sont révisées une fois par an, et nous allons continuer ainsi, car elles semblent intéresser beaucoup.
Les sources d'information sur les médicaments sont nombreuses. Quels conseils donner aux patients pour s'y retrouver ?
D'abord, toujours garder un esprit critique et avoir en tête qu'une grande partie de l'information est sous l'influence des laboratoires pharmaceutiques, qui sont à la fois juge et partie. D'une façon générale, qu'il s'agisse de livres, d'articles ou de sites Internet, il faut se poser les mêmes questions : qui apporte les informations, avec quels liens d'intérêts, selon quelles méthodes et avec quel financement ?
Le monde du médicament a-t-il changé depuis le Mediator ?
Je constate que les pratiques évoluent chez les professionnels de santé, et aussi d'ailleurs parmi les journalistes, qui se posent de plus en plus de questions et nous sollicitent davantage. Il faut mentionner le travail de revues grand public comme Que choisir Santé, qui ont une démarche complémentaire de la nôtre. La loi Bertrand [relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, adoptée le 29 décembre 2011] est aussi un pas en avant.
Quant à l'Agence du médicament, l'état d'esprit a changé, et l'intérêt des patients est mieux pris en compte. Des décisions bienvenues ont été prises, mais il reste beaucoup à faire. Les processus de réévaluation et de retrait de certains médicaments restent trop longs. C'est le cas par exemple des produits contenant des vasoconstricteurs nasaux, dont nous signalons depuis plusieurs années qu'ils peuvent être à l'origine d'effets indésirables graves comme des accidents vasculaires cérébraux.
Prendre de tels risques pour se déboucher le nez un moment en vaut-il la chandelle ? Il faut aussi faire évoluer le financement de la pharmacovigilance, qui, au niveau européen, reste trop dépendant des redevances des firmes pharmaceutiques.

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