jeudi 4 octobre 2012

"Donny", enfant du chaos

Ce petit Américain de 8 ans vit depuis toujours entre psychologues, classes adaptées et unités de soins. La photographe Brenda Ann Kenneally suit son parcours depuis sa naissance

Depuis quelques mois, Donny (le prénom a été changé) va mieux. En février, ce petit Américain de 8 ans a été retiré de la « classe spécialisée » où il avait été placé en raison de troubles du comportement, et transféré dans une unité de jour privée où il bénéficie d’un enseignement individuel. Il avale moins de médicaments et tisse des liens moins violents avec son entourage. Pour la première fois de sa vie, il se lève à l’aube en réclamant d’aller à l’école, lui qui n’a cessé d’être renvoyé des établissements qu’il a fréquentés. Une photo récente le montre même observant sereinement ses pieds trempés dans l’eau d’un lac, attendant que les poissons le mordillent. Une qualité d’attention qu’on ne lui connaissait pas.

Kayla, sa mère, avait tout juste 14 ans lorsqu’est né Don- ny, en 2004. Depuis cette date, la photographe Brenda Ann Kenneally suit chaque étape de son parcours (son portfolio « The Boy from Troy » est visible sur le site du Time, Lightbox.time.com). Le garçonnet a grandi dans un bloc d’habitation d’un quartier nord de Troy, une ville située au centre de l’Etat de New York, entre sa mère adolescente et ses compagnons successifs, sa grand-mère maternelle logée dans l’appartement du dessous avec ses propres enfants (les oncles et tantes de Donny) à peine plus âgés que lui, les gamins de la cité et ses jeux vidéo. A l’âge d’un an, le bébé a fait la connaissance de son père biologique, Jordan, qui venait d’être libéré de prison. Ce papa en pointillés alterne périodes de liberté et d’incarcération. En parallèle, Donny a amorcé son parcours cahotant, ballotté de psychologue en « classe adaptée ». A l’âge de 3 ans, il a commencé à « faire des colères » inexpliquées, en particulier aux moments des transitions de la vie quotidienne : à l’heure de s’habiller ou à celle de remonter chez lui depuis l’appartement de sa grand-mère. Il fallait alors traîner dans l’escalier une boule de nerfs incontrôlable.

Cercle vicieux
Dès la maternelle, Donny a été renvoyé à quatre reprises pendant l’année scolaire. En CP, le nombre de mesures d’exclusion a doublé : « handicap émotionnel », « troubles du comportement », « attitude asociale », ont diagnostiqué les experts qui l’ont déclaré dangereux et inadapté. On a com- mencé à lui administrer des médicaments matin et soir. Il a perdu l’appétit et recommencé à mouiller son lit.
C’était un cercle vicieux : ne supportant pas l’école, il se rendait insupportable pour en être évincé. Alors livré à lui- même, il passait des semaines entières en compagnie des chiens de la famille et surtout d’une console vidéo. Le nom de son jeu favori, « L’Appel du devoir », ne s’invente pas. C’est un jeu de guerre. On s’y bat à mort contre des zombies. A 7 ans, Donny a menacé de se jeter du deuxième étage. Une tutrice à domicile a été nommée par le bureau des affaires scolaires du comté de Rensselaer où est située la ville de Troy. Voulant attirer à tout prix l’attention de cette femme, l’enfant s’est allongé par terre et a fermé les yeux, « pour fai- re le mort »

Les périodes de déscolarisation se sont multi- pliées et leur durée s’est encore allongée. Jusqu’au placement de Donny, en février, dans cette école spécialisée. Une étude du Fonds américain pour la défense des enfants l’atteste : l’exclusion des écoliers perturbateurs – souvent issus des minorités ou souffrant de handicaps – n’est d’aucune efficacité pour améliorer leur comporte- ment. Fallait-il une enquête du bureau des droits civiques du ministère de l’éducation pour confirmer cette évidence ? Selon ce document, les élèves mis à la porte de l’école une première fois commencent souvent un parcours balisé d’exclusions successives qui s’achève en prison. 
Philippe Bernard Photos : Brenda Ann Kenneally 

« Facing Change »
Au plus fort de la crise des années 1930, la Farm Security Administra- tion avait engagé plusieurs des plus grands photographes du moment (notamment Walker Evans) dans le but de restituer en images les effets de la crise. Les membres du collectif Facing Change poursuivent le même objectif : mettre en lumière les visa- ges d’une Amérique plongée dans la dépression, et les efforts de millions d’Américains ordinaires à qui les principaux médias n’accordent que très peu d’attention. « Le Monde » a sélectionné dix volets de ce monu- mental projet documentaire, qu’il publiera jusqu’à l’élection du
6 novembre. www.facingchange.org 


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