jeudi 9 août 2012

L'Hôtel-Dieu de Paris doit rester un hôpital

LE MONDE | 

Pauvre Hôtel-Dieu de Paris ! Alors que l'administration hospitalière y cherche des bureaux, voici qu'on le propose comme point de vente de billets d'entrée pour Notre-Dame de Paris, entouré de salles d'animation pour enfants et d'une cafétéria : la Fnac de l'Archevêché en quelque sorte, le must moderne de la culture, probablement.
L'Hôtel-Dieu de Paris, dans sa forme actuelle, n'est plus aux normes d'un hôpital contemporain, alors qu'il reçoit encore cette année des dizaines de milliers de patients. Il ne peut plus remplir la fonction d'un hôpital moderne avec des activités d'hospitalisation aiguë, de blocs opératoires, d'interventions rapides et complexes, d'automatisation et d'équipes polyvalentes nombreuses. Le parc hospitalier français est suranné au regard des profondes transformations des pratiques médicales et chirurgicales qui ont marqué les trente dernières années. Et l'Hôtel-Dieu à cet égard est une caricature.
Les experts se penchent depuis plusieurs années sur ce problème, et de nombreux rapports, souvent très documentés et pertinents, ont vu le jour. Parmi les projets les plus crédibles, citons le transfert d'une partie des bureaux de l'Assistance publique (logique d'aménagement de l'entreprise), le transfert de différentes écoles pointues de spécialisation professionnelle, celui du Musée de l'Assistance publique (fort riche et pourtant bientôt sans domicile fixe), la mise en place d'un hôpital universitaire de santé publique (enseignement et recherche d'une spécialité encore très mal valorisée dans ce pays) qui a fait l'objet d'un vigoureux rapport présenté début juillet.
Et les soins dans tout ça ? La plupart des spécialités médicales, chirurgicales, biologiques et radiologiques ont été transférées à l'hôpital Cochin, ou sont sur le point de l'être, non sans conflits et controverses. Il reste des problèmes majeurs non résolus : l'activité considérable d'accueil des urgences, y compris les très nombreuses urgences médico-judiciaires, l'ophtalmologie et ses urgences, la médecine ambulatoire (le patient ne couche pas à l'hôpital).
C'est sur ce dernier point qu'il faut insister. Grâce aux progrès de la médecine, une proportion croissante de personnes sont porteuses de maladies chroniques dont la prise en charge nécessite différentes explorations et expertises médicales pluridisciplinaires souvent, mais rarement une hospitalisation. Dans un contexte d'étiolement de la démographie médicale, d'exercice médical de plus en plus technique, il y a de moins en moins de place pour la médecine de proximité qui comprend le souci de l'autre, le service rendu, le dialogue singulier et le professionnel référent identifié.
Cette médecine de proximité est d'autant plus nécessaire qu'une part de la population centre-urbaine vieillit, s'isole, s'appauvrit, alors que les praticiens accessibles en secteur 1 d'honoraires [au tarif conventionné et remboursable] sont de plus en plus rares et qu'une part croissante du soin est dévolue à la prévention. Pour faire un peu simple, disons que plus la prévention est efficace, distribuée dans les actes de proximité, moins les personnes sont malades, moins les urgences sont saturées, moins les prises en charge spécialisées sont tardives, lourdes et coûteuses.
En 2012, quand moins de 9 % des nouveaux médecins diplômés s'installent en "libéral" chaque année, il est indispensable de favoriser des centres de santé polyvalents en milieu urbain. La demande des habitants et des élus est justifiée. Un tel centre de santé a pour vocation de proposer la médecine générale de proximité, en secteur 1, avec et sans rendez-vous, sur des plages horaires très larges. L'Hôtel-Dieu est le lieu naturel d'un tel centre. Pas un centre charitable et négligé pour indigents, sans moyens et sans qualité. Non, un centre de santé exemplaire qui serait la vitrine de ce que l'on peut proposer de mieux en termes d'accueil, d'expertise, d'innovation, de fluidité, d'efficacité.
On y trouverait des consultations médicales sans rendez-vous, des consultations "précarité", l'ensemble des prestations de médecine générale, ainsi qu'une orientation particulière sur les grandes pathologies de santé publique, celles qui concernent beaucoup de malades et justifient une prévention très active.
Citons l'hypertension artérielle, le diabète, l'obésité, les troubles du sommeil, les maladies sexuellement transmissibles, y compris la maladie VIH, les addictions. Le dépistage des cancers génitaux et digestifs, la psychiatrie pourraient y être associés. Les spécialités non médicales comme la psychologie clinique et le travail social devraient y être intégrées. Ce serait le lieu idéal d'expérimentation de nouvelles approches basées sur l'individualisation : consultations de prévention et de dépistage pluridisciplinaires, éducation thérapeutique réalisée par des infirmières cliniciennes, consultations familiales, consultations multidisciplinaires...
Ce lieu de soins rayonnerait sur le centre historique de Paris, mais son "attractivité" serait bien plus étendue. Outre le soin de première ligne, il aurait une vocation de formation, animée par des internes et des chefs de clinique de médecine générale, confirmant ainsi l'histoire universitaire de l'Hôtel-Dieu.
Un tel projet novateur commence à intéresser les décideurs, l'Assistance publique, les doyens des facultés de médecine de Paris, car l'aspect formateur du projet est essentiel, les associations d'usagers avec lesquels la concertation est nécessaire à notre époque de démocratie sanitaire, les élus parisiens qui ont toujours manifesté un grand souci du maintien d'un lieu de soins sur ce site.
Il pourrait concilier l'innovation dans la prise en charge ambulatoire et la réponse aux besoins ordinaires de la population du secteur, l'expérimentation dans un esprit de "recherche-action" et un lieu d'exercice pour les jeunes généralistes et spécialistes désireux de travailler en équipe, l'exercice couplé du soin et de la prévention, la formation de terrain et l'éducation thérapeutique des personnes atteintes de maladies chroniques.
L'Hôtel-Dieu deviendrait le premier hôpital ambulatoire. Il serait donc économe, car dans l'Hôtel-Dieu, ce qui coûte cher c'est l'hôtel, Dieu n'a pas de prix !

Réponse à la tribune de Eugène Michel "Offrons un nouveau parvis à Notre-Dame de Paris" (Le Monde du 5 juillet).

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