mardi 14 août 2012

Les personnes dépendantes prennent trop de médicaments
Article paru dans l'édition du 08.08.12
Une expérience menée auprès de 203 résidences pour personnes âgées en Midi-Pyrénées essaie d'y remédier


eaucoup de médicaments, notamment des psychotropes, pas assez d'évaluation de la démence : pour la première fois, une enquête à grande échelle s'est penchée sur la prise en charge en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). L'étude, nommée Iquare, concerne 203 Ehpad en Midi-Pyrénées et 7 375 résidents. La moitié des Ehpad de la région se sont portés candidats pour y participer - le signe d'une attente de leur part. Le diagnostic est déroutant, même si tout n'est pas noir pour autant.

Chaque Ehpad a reçu - et c'est toute l'originalité de la démarche - une photographie de ses pratiques, avec les moyennes du bassin de santé, du département et de la région. Chacun sait désormais comment se situer, et là où il a fort à faire. Sur le bilan reçu par l'un d'eux ressortent bien des points faibles : pas de dentiste intervenant dans l'Ehpad, alors que 77 % des établissements autour en disposent ; la prescription de seulement 15 % des patients ayant fait une chute a été réexaminée, contre 51,3 % dans la région...
Après remise des résultats, 85 Ehpad ont été accompagnés par des gériatres hospitaliers. L'objectif est de savoir si une amélioration est possible. On en est là de l'expérience, lancée en 2010, qui se terminera fin 2012.
La première partie - consacrée au constat - sera publiée d'ici peu dans une revue scientifique, mais plusieurs chiffres ont été révélés au Monde. Ainsi, en moyenne, les résidents prennent près de 8 médicaments chaque jour. Et même, dans 22,2 % des cas, 11 ou plus. Un score préoccupant alors que l'Académie de médecine a récemment alerté sur les risques pour les personnes âgées d'effets indésirables dus à la prise de nombreux médicaments.
En outre, dans 21 % des cas, les patients prennent trois psychotropes ou plus, soit bien plus que les recommandations. Concernant les benzodiazépines, un patient sur deux s'en voit délivrer pour calmer l'anxiété ou contrôler les troubles du comportement (cris, agressivité), alors qu'on les sait peu efficaces et risquées chez les personnes âgées.
« C'est un problème de personnel. Quand on en manque, on calme les gens avec des médicaments, c'est la camisole chimique », réagit Gérard Bapt, député (PS) de Haute-Garonne et spécialiste de la santé, qui a eu vent des résultats et les réclame à l'Agence régionale de santé (ARS), l'organisme pilote de l'étude. Déjà, une enquête menée dans l'Aude et qui révélait des résultats assez proches n'a pas été publiée, s'agace-t-il. Or, rappelle-t-il, de nombreuses personnes âgées sont hospitalisées « pour une cause iatrogène », c'est-à-dire provoquée par le traitement lui-même (qui peut entraîner une chute ou une déshydratation par exemple). Une autre étude menée dans le Limousin a également relevé des prescriptions élevées, avec beaucoup de traitements inutiles, voire contre-indiqués.
Les initiateurs d'Iquare ne nient pas le constat du député mais ils le relativisent. « Il y a parfois un manque de personnel, mais aussi un problème de formation des professionnels ; les deux sujets sont indissociables », juge le docteur Jean-Jacques Morfoisse, pour l'ARS.
« Bien sûr, il faudrait plus de monde pour faire face à cette tâche », estime le professeur Yves Rolland, du Gérontopôle de Toulouse. Il cite en exemple les neuroleptiques, pris par 27 % des patients : ils ont peu démontré leur efficacité, mais sont tout de même prescrits car il est difficile de mettre en place des alternatives non médicamenteuses pour apaiser un patient. Le gériatre estime néanmoins qu'il est possible de faire mieux avec autant de moyens.
Mieux évaluer la douleur
Le professeur Rolland reconnaît que « 7 à 8 médicaments, ce n'est pas vraiment étonnant, mais c'est dans l'absolu effectivement élevé ». Il ne se montre pas sévère pour autant. Quand, dans un établissement, les psychotropes sont abondamment prescrits, les pratiques peuvent certes être en cause, mais il peut aussi s'agir d'un Ehpad qui accepte tous les résidents, même les plus difficiles.
Pour lui, « l'étude permet de s'interroger sur l'attention que porte notre société à ses personnes âgées ». Si l'on sait bien traiter les adultes, la recherche n'a pas encore assez avancé sur la complexité de la prise en charge des plus vieux, qui souffrent souvent de plusieurs pathologies. Il ajoute enfin que la sous-prescription de vitamine D ou de la vaccination contre le pneumocoque est tout aussi problématique alors que les pneumopathies sont la première cause de décès.
Sur certains points, déjà, des efforts ont été faits il y a plusieurs années. Dans la région, 96,8 % des patients ont été pesés entre une et trois fois au cours du trimestre, montre l'étude. Les quelques établissements récalcitrants se seront vite identifiés et pourront rectifier le tir.
Mais la liste est longue des progrès à faire. Ainsi, l'évaluation de la douleur est insuffisante, notamment chez les patients en fin de vie, alors que celle-ci est nécessaire pour pouvoir bien traiter. La moyenne s'affiche à 20,8 % et, sur ce point comme sur bien d'autres, les pratiques sont très différentes d'un Ehpad à l'autre.
Il faut aussi que tous s'attellent à l'évaluation de la démence, qui permet aux équipes de mieux comprendre un patient agité, voire de trouver des alternatives aux médicaments. Or seuls 14,3 % des patients ont eu une mesure des troubles du comportement. Tout aussi nécessaire est l'adaptation des doses de médicaments à chaque patient, en calculant comment son rein fonctionne. Un geste simple, mais pas systématique.
Sur ces points, le gériatre pense que des améliorations seront vite obtenues. Mais il ne cache pas que sur la surmédicalisation, ce sera plus difficile. Certes, les médecins coordonnateurs, formés à la gériatrie et désormais présents quelques heures au minimum par semaine dans tous les Ehpad, sont là pour ça. Mais ils ne délivrent que des conseils aux médecins traitants, seuls habilités à prescrire. Une position inconfortable.
Sans compter que les médecins traitants peuvent être soumis aux pressions de soignants débordés, par exemple par un patient qui refuse d'être lavé, mais aussi des familles ou des patients. Attachés à leurs médicaments.

Laetitia Clavreul

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